Sado masochisme

Publié par Rimbaud le 28.09.2017
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              J’ai toujours pensé que les plans d’un soir (ou d’une après-midi, je ne suis pas du matin) qui étaient les plus réussis étaient ceux fondés sur une connaissance, même minime de l’autre. Ce qu’on nomme le feeling (feeling, nothing more than feeling…). Je ne sais pas si on peut parler de tendresse mais de sensualité, certainement, de complicité. Les relations les plus excitantes, je les ai menées avec des amis, ou d’anciens amants. Il n’y avait aucune peur, aucun doute, aucune appréhension, comme la certitude de partir en voyage avec une vieille connaissance en sachant qu’on va passer de bons moments. Je me méfiais donc des mecs trop brutaux, trop directs, ceux pour qui le sexe se résume à un trou et à une queue. Pourtant, il y a quelques semaines, alors que mon homme et moi étions dans un sauna, allongé que j’étais – posey diraient les jeunes – devant un vieux film porno (alors qu’on trouve des films dernière génération gratuitement sur le net, ils s’obstinent à nous replonger dans les années 80 – mieux vaut aimer les moustachus, et ce n’est pas mon cas), un homme la cinquantaine bien passée débarque et se met à me lécher les pieds. Précisons, sans passer pour un pédophile, que je ne couche que rarement avec un homme plus âgé que moi, voire même jamais. Il saisit mon pied et commence à se frapper le visage. Comprenant ma passivité, il change de tactique et commence à me soumettre totalement. D’autres mecs viennent mater. Subitement, il m’assène une paire de gifles d’une violence incroyable. Ma tête pivote et je sens la brûlure. Il recommence. Il m’interdit de me toucher et après quelques autres actes brutaux dont je vous passe les détails il finit par me couvrir le visage de sperme. Durant tout ce temps, alors même qu’un autre gars beaucoup plus beau, beaucoup plus sensuel (il me l’avait prouvé un instant auparavant dans le jacuzzi) me faisait signe de le rejoindre, de me barrer de cette scène de torture (soft tout de même au regard des films que j’ai pu visionner), je n’ai pas bougé. Je me suis totalement laissé faire. Je ne dirais pas que j’ai éprouvé du plaisir, ce serait mentir, mais ce qui me stupéfait, c’est que je n’ai ressenti aucun déplaisir. Une sorte de Meursault, d’étranger à moi-même. Alors qu’il y a quelques mois de cela, j’aurais pris mes jambes à mon cou et je serais allé me réfugier dans des bras plus sécurisants, alors que je serais allé rechercher les caresses, je n’ai pas fait le moindre geste. On peut interpréter ça de plusieurs façons : la concrétisation d’un vieux désir enfoui ; le dépassement ultime de frontières jusqu’alors méconnues ; un manque de considération pour soi-même qui a trouvé son interlocuteur privilégié, comme une preuve qui dirait : voilà à quoi le VIH te réduit. Une auto flagellation en somme ?

J’ai pensé alors au philosophe Michel Foucault mort du SIDA le 25 juin 1984. Le récit de ses derniers moments à l’hôpital est bouleversant, le personnel intimant l’ordre à son compagnon, Daniel Defert (qui a ensuite créé l’association AIDES), de faire un communiqué de presse après lui avoir menti des mois durant sur la nature de la maladie, les journalistes, les étudiants, les intellectuels  massés devant l’entrée, des mesures lui interdisant de revoir une dernière fois ses amis les plus proches : Deleuze, Canguilhem, Mathieu Lindon, Hervé Guibert. Or, Foucault est de ceux qui ont fait l’apologie du sado-masochisme, loin des convenances et des postures intellectuelles. Ce n’était pas une expérimentation mais un mode de vie. Je tente de comprendre. Guibert lui aussi a exploré cette violence dans La Mort propagande : il y dévoile le plaisir de la douleur par la dégradation du corps et la mutilation. Plus tard, il décrira les sorties nocturnes du philosophe et indiquera que sera retrouvé chez lui « un grand sac rempli de fouets, de cagoules de cuir, de laisses, de mors et de menottes ». Il s’adonne à cette passion sulfureuse dans les saunas les plus glauques de San Francisco. Il s’entoure de tortionnaires, de garçons violés, de pédérastes chasseurs. Il affronte ses obsessions, ces envies qui, si elles ne sont pas assumées, empêchent l’être de se placer dans une posture stable et vraie face à lui-même. L’intellectuel n’est pas un être de papier, c’est un être de chair dont l’exigence est totale, dont les actes doivent rejoindre la pensée. La liberté d’être est entière. Il se tient dans une confrontation absolue et courageuse au réel. L’érection, l’orgie, la jouissance sont des preuves de l’existence. Je comprends dès lors que lorsque j’ai accepté ces baffes sans broncher, quelques semaines après la découverte de ma contamination, c’est la preuve de mon existence qui m’a été infligée. Je ne l’ai pas cherchée, je ne l’ai pas attendue mais elle est arrivée là, à point nommé. Dans la gueule. Décisive. Hurlant : Tu existes toujours !

Commentaires

Portrait de Dakota33

Et oui ça fait du bien de se prendre des claques dans la gueule où des coups de pieds au cul, au sens figuré bien sur, pour faire réagir parfois.

Après pour le reste, les histoires de sado masochisme, c'est un autre monde. Je parle du vrai sado masochisme, pas du gars qui se fait sévèrement baiser au coin d'un bois par un autre gars déguisé en racaille, ça c'est du folklore gay. Je suis sur que ça rappelle des souvenirs à certains n'est ce pas ?! Pour moi la sexualité c'est un échange et du plaisir, je suis peut être trop basique. Les histoires de Guibert et de Foucault je les ai lues ( raconté notement dans le bouquin de Lindon dont j'ai oublié le nom en ce qui concerne Foucault ) ça m'avait donné franchement la nausée, sans vouloir faire de jugement, car chacun vit ses expériences comme il l' entend, mais je me sens tellement loin de ces "gens".

Sinon c'est toujours bien écrit comme d'habitude ;-)

Portrait de Exit

On apprécie la violence sexuelle, ceci nous rappelle notre enfance, on appréciait se battre ou plutôt se chamailler avec ses amis et on souhaite tous un peu revivre ces moments passagers d'hyperactivité, revivre ces bagarres enfantines, alors on le retrouve dans nos rapports sexuels qui allient jeux d'enfance, et plaisirs adultes, tout ceci est tellement naturel, les animaux le font pour draguer, pour s'attirer, tout simplement s'aimer. 

La violence, cette manière d'exister, de ressentir des coups ou d'en apporter, des sensations, des émotions, ce contact tellement tactile, ce rapport sportif et d'amour, en somme de loisirs.

L'actif y trouve son rôle dans la domination, dans le pouvoir, dans la manière de diriger son propre soi qu'il n'arrive pas à faire dans sa propre vie. Le passif, quand à lui, y trouve son rôle d'être contrôlé, d'oublier sa vie, d'oublier sa dépression ou tout simplement son existence jusqu'à l'éjaculation, et là on se rend compte qu'on est seul avec nous même, mais qu'on a été un autre le temps de se sentir mieux. 

Enfin tout ceci n'est que circonstance...

Portrait de Dakota33

Oui vu comme ça, on peut comprendre . Je pense aussi qu'on a aussi besoin de tenter des expériences pour voir ou sont nos limites et puis finalement on en revient souvent à des pratiques plus banales. Il y a une constante évolution dans la vie par rapport aux pratiques sexuelles selon le parcours que l'on a. Chacun vit les choses différement mais par exemple en ce qui me concerne, depuis l'irruption de ce virus dans ma vie, je me rend compte que je fais un rejet du sexe par rapport à cette situation. Cependant j'ai conscience que c'est surement un état passager car chassez le naturel il revient au galop !

Portrait de jean-rene

J'ai été actif , en tout cas mentalement, pendant très longtemps et ce n'est que depuis quelques années que je me laisse aller à la passivité sexuelle. On ne peut pas encore parler de rapport sado/maso comme celui que tu as vécu, Rimbaud, mais je suis sur la pente. Et j'y prends un plaisir certain : celui d'être traité en objet, d'être humilié. Je le vis comme une cure de désintoxication de l'ego. Cet ego qui nous domine tant, durant toute notre vie.

Cependant, je me demande si, en me débarrassant de mon ego, mon dominateur ne m'enlève pas aussi un peu d'âme en me chosifiant; mais, après tout, l'"âme", je m'en méfie, car elle est constitutive, pour part, de ce mental qui nous mine.

Alors, oui à la chosification car ce qu'il reste de l'expérience passive, voire maso, c'est notre corps, ce merveilleux instrument incapable d'en faire souffrir un autre dès lors qu'il a été débarrassé de son âme.

C'est donc à une véritable expérience métaphysique qu'on se livre, en se laissant aller à la passivité et au masochisme.