Société du spectacle

Publié par Ferdy le 25.08.2012
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Ce matin, ce serait comme un petit blog en creux.

Tout en retrait, confiné dans la prudence extrême jusqu'à disparaître des écrans de controle. Car, je dois bien l'admettre, même toute en nuances et en langue de bois exotique, je ne voudrais pas heurter la sensibilité de certains de mes lecteurs.

Même si, à tout bien considérer, ce genre de lectorat n'a que très peu de chance de venir s'égarer ici-même, une erreur d'aiguillage est toujours possible surtout par ces temps de disette estivale sur le site.

Qu'est-ce donc que toutes ces précautions oratoires. Tel qu'on le connaît, il finira bien par vider son sac et ce sera pire encore. Il est déjà trop tard pour faire marche arrière. Enfin il se saisit de son sujet du jour avec des pincettes. Dire qu'il le renifle serait du plus mauvais effet.

Comme il se doit en pareille occasion, il se racle la gorge, s'essuie le front, dénoue la cravate qui aurait pu le gêner s'il en avait porté une tandis qu'on le retrouve en chemisette légère, largement déboutonnée, voire même pas boutonnée du tout, laissant apparaître un torse glabre et légèrement boudiné au niveau du ventre, juste au-dessus du bermuda taillé dans un jean 501 blanc qui a retrouvé une troisième jeunesse un peu avant l'été, par la grâce de quelques coups de ciseau inspirés, la panoplie serait incomplète sans les sandales en cuir... trop d'errance tue l'errance. Ces prolégomènes ne font qu'accentuer la suspiscion. Où veut-il en venir, saperlipopette ? 

Je vais essayer de m'en tenir à une approche froide et objective de la situation.

Le recours à Guy Debord saurait agir comme un épouvantail providentiel, malheureusement je n'ai pas l'ouvrage sous la main, mais j'ai encore en mémoire - au moins dans les grandes lignes, le texte de référence de son principal essai " La Société du spectacle" (paru en 1967), qui demeure sans aucun doute l'analyse prémonitoire la plus pertinente jamais consacrée au rôle des médias, et par extension, à l'aliénation du public.

Il ne vous aura donc pas échappé qu'un célèbre animateur français de télévision est décédé hier, 24 août, à l'âge de 47 ans. Je peux concevoir l'émotion, la tristesse, l'accablement des proches, mais ce n'est pas le sujet. Les journaux télévisés, toutes chaînes confondues, ont déployé une telle débauche d'éditions spéciales qu'il était impossible d'y échapper.

Le problème qui me taraude touche précisément à ce que peut être la sphère intime lorsque celle-ci est supposée s'étendre ou concerner plusieurs dizaines de milliers, voire plusieurs millions d'individus (télespectateurs) par ricochet.

Je préfère m'en tenir au ton habituel de mon billet d'humeur pour tenter de circonscrire ce que cet homme disparu prématurément avait bien pu apporter au paysage audiovisuel.

Empruntant à Guy Debord, la formule de "fétichisme de la marchandise" pourrait résumer une part de mon malaise.

L'animateur était parvenu à incarner à la fin du XXème s. ce que Socrate, en ces temps lointains où la philosophie intéressait encore une élite éclairée, définissait comme la maïeutique, méthode par laquelle il prétendait pouvoir accoucher les esprits des pensées qu'ils contenaient sans le savoir.

Plus prosaïquement, l'homme à l'oreillette était doué d'un talent indiscutable. Transformer un plateau-tv en un gigantesque confessionnal, bâti en forme de cirque, pour y décortiquer les méandres de la douleur sous la forme d'un spectacle hypnotique, c'était l'expression d'une "abondance de la dépossession", un exutoire providentiel qui parvenait à matérialiser, dans le cadre d'une mise en scène millimétrée, la souffrance d'une société laquelle, à défaut de pouvoir "dire" quelque chose, se mettait enfin à "parler".

L'exceptionnelle dramatisation orchestrée par les médias à la disparition de l'un des siens, je suis dans mon droit de la considérer comme une tyrannie aliénante, lorsque la focale de l'information déforme à dessein et avec autant de complaisance que d'autocélébration les personnages mythologiques créés de toute pièce, pour légitimer sa propre usurpation du pouvoir et, de fait, consolider son imposture.

"Mentir devient superflu quand le mensonge est devenu vrai"

G.D. 

Commentaires

Portrait de JIPETTE

la digression des premiers paragraphes completement gratuite mais tellement bien redigee qu on la lit

et pour en finir sur Delarue

tout ça pour ça !

En référé à Socrate, Debord pour évoquer "l'homme à l'oreillette" me laisse pantois

La dispariton de Delarue : c'est la vie ..................

Qui se souviendra de lui dans 3 mois

grandeur, décadence de la "societe du spectacle avant érodication des mémoires

Amen !

Portrait de brw40

Portrait de ouhlala

et marchandisation de l'humain...

Je ne crois pas avoir une seule émission de JLD et pourtant j'ai l'impression de le connaître intimement. Il était devenu lui-même le sujet souffrant médiatisé et exposé...

Il y a une forme de tragique là-dedans. Mephisto exige l'âme du pactisant après vingt ans de pouvoir total, et le metteur en scène crucifié est exposé sur les mêmes planches où il connut la gloire. Est-ce que la boucle est bouclée ? Des étoiles d'un côté, des choses de l'autre, notre mythologie et nos tragédies modernes...

Debord s'il avait pu aurait sûrement réfléchi sur la télé-réalité. Quelle fonctions, quels effets ? Socrate lui-même a bien dû disserter sur l'instrumentalisation politique et idéologique des arénes. Je me demande quelle idée a pu sortir de ces émissions. Bourdieu prétendait que le format et la nature même de la communication de masse, qui nivèle et généralise, étaient incompatible avec le développement et l'expression d'une démonstration, d'une idée, d'une nance, et frappés d'illégitimité. Les soi-disant spécialistes sont de pseudo-experts et la connaissance est ailleurs.

C'est un peu réducteur mais mes quelques visionnages de tels programmes me confortent plutôt dans ce sens. La fonction d'empathie, sans échange possible avec des personnages mis en scène de toutes façons... stimulée ? détournée ? dérisoire ?  

D'une certaine façon le destin de JLD me fait penser au Black Swan de Portman/Aronovsky, la technique froide et la raison ne trouve à exister que dans une incarnation qui signe le sacrifice de soi. Les unités de temps sont différentes, de même que les "techniques", mais le lieu est le même, la scène où on est personnellement exposé aux regards. Proust, mort guère plus vieux que JLD, a bien fait de passer sa vie au lit... Reposons-tous en paix... 

Portrait de Ferdy

j'aime bien ces commentaires, aussi la vignette de BRW40, comme une expression parallèle,

mes précautions exagérées visaient à ne pas froisser le deuil d'un autre blog qui se situe radicalement à l'opposé :

http://www.seronet.info/billet_blog/hommage-j-luc-delarue-53309 

c'est bon, il y a de la place pour chaque sensibilité, je n'irai pas contrarier leur chagrin, surtout pour un sujet aussi dérisoire,

bon week-end,

bises