Souvenir Grandiose !

Publié par jl06 le 22.11.2017
1 713 lectures

Maurice Béjart, un pas d'avance

Il y a dix ans mourait le plus célèbre des chorégraphes français. Un avant-gardiste, selon Ariane Dollfus, auteur de "Béjart le démiurge".

PAR BRIGITTE HERNANDEZ. Publié le 22/11/2017 à 16:25 | Le Point.frBéjart le démiurge, Ariane Dollfus, éd. Arthaud, 430 pages, 21,50 euros.Béjart le démiurge, Ariane Dollfus, éd. Arthaud, 430 pages, 21,50 euros. © ©Jack Mitchell /Getty imagesOn se souvient de son regard bleu, dont on ne savait jamais s'il allait tuer ou caresser. On se souvient de ses bras tendus vers le public, de sa voix qui, toujours, voulait convaincre. On se souvient du Sacre du printemps, du Boléro, de L'Oiseau de feu, de Messe pour temps présent, de Nijinsky clown de Dieu. Des chefs-d'œuvre font partie de notre patrimoine.Le 22 novembre 2007, Maurice Béjart mourait. Le plus populaire des chorégraphes avait marqué le XXe siècle par ses grands-messes, portant la danse là où on ne l'attendait pas, les stades, les palais des sports, les places publiques. Toute sa vie il s'était battu pour que la danse ne soit plus reléguée à un statut décoratif, inférieure à la musique, mais enfin soit reconnue comme un art à part entière. Et il a réussi. Béjart a connu une immense célébrité, son Ballet du XXe siècle a dansé partout, son Béjart Ballet Lausanne a pris le relais. Mais, à partir des années 90, l'artiste a commencé à ne plus plaire et ses ballets, jugés ringards, faisaient ricaner le petit monde de la danse.Dix ans après sa disparition, on s'aperçoit que Béjart était en avance sur tout : le spectacle total où tous les arts se répondent, la spiritualité (son père le philosophe Gaston Berger l'a habitué dès l'enfance à la découverte de nombreux modes de pensée), le « veganisme », le zen, la méditation, la barbe...

Béjart, le démiurge ©   ©Jack Mitchell /Getty imagesBéjart le démiurge, Ariane Dollfus, éd. Arthaud, 430 pages, 21,50 euros. © ©Jack Mitchell /Getty imagesLa journaliste Ariane Dollfus a enquêté, comme elle l'avait fait pour sa splendide biographie Noureev l'insoumis (*), sachant se tenir à la juste distance pour mettre en lumière, l'une après l'autre, les différentes facettes qui composent l'homme Béjart, fort complexe. Béjart le démiurge (*) dévoile un Béjart qui a construit son image comme son mythe… 

Le Point : En quoi Béjart était-il un démiurge ?

Ariane Dollfus : Béjart correspond à la définition du démiurge : un artisan et un dieu créateur. Comme il avait un côté « gourou », c'est un bon résumé de ce qu'il était, et ce mot est un peu énigmatique, comme il l'était lui-même. Mais, au fond, je ne sais pas s'il est aussi mystérieux que cela. Béjart faisait peur.

Béjart a été très critiqué dès l'arrivée de la jeune danse française. Votre livre montre combien il a été novateur. Tout ce qui est à la mode aujourd'hui, il l'a inventé. Vous dites : « Le monde de la danse étiré par Béjart s'est rétréci à nouveau. »

Il a été un catalyseur formidable. Son premier pas dans l'invention de la danse du XXe siècle fut son désir de travailler avec la musique concrète de Pierre Henry et la musique sérielle de Pierre Boulez. Ensuite, il a rompu avec la tradition de la danse classique. Même si le vocabulaire académique est resté sa base et qu'il n'a pas créé un langage comme ont pu le faire Martha GrahamMerce Cunningham ou William Forsythe, les thèmes qu'il traitait n'avaient plus rien à voir avec les princes charmants et les contes. Il parlait de la condition de l'homme hic et nunc, d'un point de vue existentialiste : l'exploration des obsessions personnelles (les siennes) et intimes (celles de tout le monde). Béjart a inauguré le « nouveau récit chorégraphique » comme l'époque le faisait avec Le Nouveau Roman ou le cinéma avec La Nouvelle Vague. C'est vrai que, lorsqu'il rencontre Godard avec Anne Wiazemsky, la rencontre est manquée, tous deux se taisent : Godard n'avait rien à dire à Béjart et celui-ci était trop timide. Il a aussi inventé un nouveau type de spectacle, par exemple la 9e symphonie de Beethoven en 1964, avec 120 choristes, musiciens, une centaine de danseurs, une multitude d'interprètes sur scène. On a pu dire qu'il surfait sur les modes, mais il a surtout créé la mode ! Et il a été le premier à faire danser autant d'hommes ensemble sur scène. Quant à ses mises en scène d'opéra, il en faisait des relectures d'une modernité impressionnante. Il a osé mettre des Poilus sur scène pour La Veuve joyeuse en 1963 ! D'une certaine façon, il a ouvert la voie aux metteurs en scène comme Peter Sellars.

Il aurait inventé le spectacle total ?

Béjart Faust © DR DRMaurice, à 12 ans, met en scène son premier Faust avec sa sœur Claude en Faust et lui, bien sûr, en Mephisto. Béjart reconstituera ces costumes dans son ballet souvenir Casse-Noisette, en 1998. Il créera Notre Faust avec Yan Le Gac, Donn en 1977 © DR DR

Lui dit que les Grecs le faisaient déjà et il revendiquera continuellement cette tradition, ce besoin de revenir aux sources. Il disait toujours : « Je ne suis pas un révolutionnaire. »

Quelles étaient ses sources ? L'influence du père a été capitale.

Béjart et la bande des cinq © DR DRVers 1944, Maurice au milieu est entouré de ses cousin Alain Capeillères,  Christian Marquand et Nadine Marquand (future Nadine Trintignant avec des lunettes) et de Joëlle Capellières. Alain et Joëlle travailleront avec Béjart au Ballet du XXème siècle pour la conception des costumes et décors. © DR DR

Béjart et sa famille © DR DRMaurice regarde son père Gaston Berger. Sur le banc : la grand-mère maternelle Eugénie Capeillères et Germaine, la mère qui mourra lorsque Maurice avait sept ans.  © DR DR

Gaston Berger était extraordinaire, un self-made-man qui savait tout faire : un scientifique, un philosophe, un business man, un musicien… qui a tenu pour ses enfants le rôle du père et de la mère puisque son épouse Germaine est morte quand Maurice avait 7 ans. Comme il s'est engagé à 18 ans, au premier jour de la déclaration de guerre en 1914, il n'a passé son bac qu'à 25 ans. Il fut ensuite un très grand résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a éduqué Maurice dans l'idée de l'ouverture au monde. Bien des philosophes et penseurs venaient le soir chez eux et le petit garçon les entendait parler. Que, plus tard, il ait découvert l'Inde et le Japon et fait siennes leurs philosophies n'a rien d'étonnant. Là aussi, il a été pionnier. Il avait même instauré des cours de yoga et de zazen dans sa compagnie et à son école Mudra.

Comment Béjart a-t-il pu dépasser cette image du père ?

Gaston Berger est le héros parfait. Difficile à égaler. Et, si Béjart choisit la danse, c'est certainement parce que c'était un domaine intouché par le père. Béjart a eu son bac à 15 ans et a commencé des études de philo à l'université d'Aix-en-Provence, où enseignait Gaston, mais il a vite arrêté. Lorsqu'il a été élu à l'Académie française, dans la section des beaux-arts, il était enfin au niveau de son père. Il dit dans ses mémoires que son plus grand regret fut de ne pas l'avoir cité dans son discours. Ce qui semble impensable, quel acte manqué ! Curieusement, dans ses ballets, il montre à plusieurs reprises sa mère, lui-même aussi, à travers le personnage de Bim, mais jamais son père.

À 20 ans, pour être danseur, il quitte Marseille et monte à Paris. Béjart a toujours soutenu que la France l'avait rejeté. Vous montrez que c'est faux.

Béjart au studio Wacker ©   DRAu studio Wacker, fameux studio de danse de la place de Clichy à Paris, Béjart avec son professeur Nora Kiss et le danseur Patrick Belda qui se tuera dans un accident de voiture. Béjart créera le ballet Messe pour temps présent sur la musique de Pierre Henry à Avignon en 67, à sa mémoire. © DR

Cette image servait son propos de « voyageur exilé », mais la France l'a toujours supplié de revenir, et ce, sous tous les gouvernements. C'est un fait qu'il n'a pas fait carrière ici lorsqu'il a commencé, mais aucun chorégraphe ne travaillait en France, sauf Roland Petit qui deviendra l'ennemi juré de Béjart. Même Janine Charrat, danseuse et chorégraphe très célèbre alors, faisait carrière à l'étranger. Et les subventions, personne n'en avait à l'époque sauf auprès des mécènes.

Il part en 1959 pour Bruxelles au théâtre de la Monnaie.

Béjart a beaucoup hésité à quitter Paris parce que la France lui proposait la salle Gémier à Chaillot, mais il a fini par partir sur les conseils de son père et de Germinal Casado, le « premier » danseur de Béjart, celui à partir duquel Béjart a créé sa typologie de danseur. Casado sera aussi son décorateur, et fut quelqu'un de déterminant dans la carrière de Béjart. Bruxelles va lui donner des moyens, des lieux de travail, des salles de spectacle et Maurice Huysmans, le directeur du théâtre de la Monnaie, lui laissera carte blanche. Leur entente sera prolifique. Ce qui ne sera pas le cas avec son successeur Gérard Mortier. Béjart quittera Bruxelles pour s'installer à Lausanne à cause de lui.

Vous réhabilitez aussi Jean Laurent, qui fut son amant et qui a veillé à l'essor de la carrière du chorégraphe.

Béjart Compagnie ©   DRBéjart sur les épaules du danseur au milieu de sa première compagnie, les Ballets de l'Etoile en 1955 l'année de la création de Symphonie pour un homme seul qui le fera connaître. © DR

Maurice Béjart n'en parlait pas souvent. Il a pourtant beaucoup fait pour lui en finançant sa première compagnie. Béjart n'a pas été tout seul, même s'il en bavé au début, comme danseur, puis avec sa compagnie à Paris. Il courait le cachet comme tous, vivait dans une chambre de bonne et ne mangeait pas tous les jours à sa faim.

Vous montrez la lettre que Jean Vilar a envoyée à Béjart après avoir vu sa pièce de théâtre La Reine verte. C'est assez étonnant que cet homme de théâtre si célèbre s'adresse à un artiste peu connu ?

Béjart lui-même en était étonné et flatté. Nous sommes en 1963. Vilar a déjà réussi le TNP à Chaillot, le Festival d'Avignon. Il est très admiratif du travail d'avant-garde qu'a réalisé Béjart. Il lui écrit : « Vous nous avez brusqué, en un mot. » Pour autant, il ne lui proposera jamais de mettre en scène du théâtre mais fera entrer la danse avec Béjart à Avignon en 1966.

Pourquoi Béjart voulait-il tant conquérir de nouveaux publics ?

Dans une interview à la télévision en 1964, alors qu'il montait un programme Stravinsky à l'Opéra de Paris, le temple du ballet, il déclare ouvertement : « Je déteste les balletomanes. » C'était gonflé ! Aux danseurs de l'Opéra de Paris qui s'adressaient à lui en disant « maître », comme il était d'usage, il répondait : « Appelez-moi Maurice… » Ça surprenait… Béjart n'était pas parisien et il détestait le parisianisme et l'élite bourgeoise. Il s'est focalisé sur la jeunesse : il avait pressenti et compris avant tout le monde les jeunes, les revendications de Mai 68. Alors, l'épisode de rejet à Avignon en 1968 lorsque les manifestants criaient « Béjart, Vilar, Salazar » l'a beaucoup meurtri.

Il veut ouvrir les portes, faire tomber les barrières…

Oui, son idée était de pousser les murs, d'aller danser dans les grands théâtres antiques, dans les palais des sports, etc. Il voulait sortir la danse du théâtre à l'italienne, la mettre à portée de tous, ceux qui n'osaient pas entrer dans un « beau » théâtre. Les foules qui se pressaient à ses spectacles lui ont donné raison.

Arrivé au théâtre de la Monnaie à Bruxelles, il a vite créé des ballets avec une foultitude d'interprètes sur scène. Le nombre ne lui faisait pas peur.

Béjart et le Ballet du XXème siècle ©  DREn répétition de la 9e symphonie, au Cirque royal de Bruxelles, en 1964. Un spectacle "total" avec 250 artistes sur scène, les spectateurs pouvant voir de partout. © DR

Je crois qu'il n'avait peur de rien. De nombreux témoins des années 50 le disent. Il n'avait pas peur de déplaire, mais il n'a pas eu peur de plaire non plus, c'est-à-dire qu'il n'avait pas peur de jouer de la séduction quand il le fallait auprès du public. Et avec les journalistes. Il avait compris qu'en s'adressant aux médias il touchait le grand public. On dirait aujourd'hui qu'il avait le sens de la communication. Il savait construire sa propre image : le regard bleu, la barbe, le look. Ça aussi, c'est avant-gardiste. Chez les barbiers, aujourd'hui, la barbe « Béjart » est encore demandée.

Dès ses débuts, il s'attaque au théâtre, à la mise en scène d'opéras très provocateurs et au cinéma.

Il a un goût très vif pour le cinéma : il règle et filme lui-même L e Sacre du printempsd'une manière très innovante. Il a envie de se confronter au mouvement à l'écran, au montage. Ce n'était pas fréquent : les chorégraphes s'occupaient de danse et seulement de danse.

Tout lui réussit, ou presque, sauf l'Amérique. Pourquoi ?

Béjart a été mal compris. Mais pouvait-il plaire au public américain ? Le réalisateur de documentaires sur la danse Dominique Delouche le dit très bien : « Béjart était trop érotique pour les Américains. » Sa danse était aux antipodes du puritanisme américain. Et le dieu de la danse aux États-Unis, à New York surtout à l'époque, c'est Balanchine, qui vénère la femme et fait de « beaux » ballets ! Ce que fait Béjart n'a rien de joli. Et, en plus, Suzanne Farrell, qui était la muse de Balanchine, a quitté son chorégraphe pour rejoindre Béjart !

La critique le taille en pièces, mais le public ?

C'est un succès : le public vient en masse voir les Ballets du XXe siècle. Mais Clive Barnes, le critique du New York Times, a écrit des horreurs sur lui. Pour certains critiques anglo-saxons, aujourd'hui encore, Le Boléro est considéré comme le comble de la vulgarité, alors que, pour le reste du monde, c'est un chef-d'œuvre.

En France, Béjart a été très critiqué à partir des années 90. Une nouvelle génération était arrivée avec la « jeune danse française », dont plusieurs chorégraphes étaient passés par l'école de Béjart, Mudra, comme Maguy Marin et Dominique Bagouet.

Et tant d'autres ! Les Belges Anne Teresa De Keersmaeker, Michèle Anne De Mey ou l'Espagnol Nacho Duato… C'est vrai, Béjart n'était plus dans l'air du temps. La perception de la danse avait évolué : Béjart sublimait le corps alors que la génération suivante n'hésitait pas à le mettre à l'épreuve sans souci du beau et dans un contexte plus intimiste. Ses grands-messes étaient trop démonstratives, mais le public était toujours là. Aujourd'hui, aussi.

Mudra a eu une importance considérable. Là aussi, il a été visionnaire…

Il a effectivement compris avant tout le monde qu'il y avait des lacunes dans l'enseignement de la danse, alors que lui-même n'était pas passé par une école institutionnelle. Il a proposé dès 1970 des cours très éclectiques, avec de la technique classique et contemporaine (Martha Graham), des danses de caractère et surtout des cours de théâtre et de rythmes donnés par Alfons Goris et Fernand Schirren. C'étaient d'ailleurs eux, les véritables stars de l'école. Tout « mudriste » a été marqué par cet enseignement. Béjart a fondé une autre école, Rudra, qu'il a associée au Béjart Ballet Lausanne. Il a d'ailleurs un moment été envisagé par l'État français de créer à Paris une école Mudra au théâtre de Chaillot que devait diriger Béjart. Plus de 7 millions de francs avaient déjà été engagés, mais Béjart a abandonné le projet. Le gouvernement a appris sa décision en lisant son interview dans Le Monde où il déclarait : « Je ne bande plus pour Paris. Je ne ferai pas cette école. La présente interview tient lieu de faire-part. »

Parlons de ses danseurs

Béjart, Shonah Mirk et Patrice Touron ©   DRPatrice Touron et Shonah Mirk dans le ballet Heliogabale : la chorégraphie était exactement la même pour la danseuse que pour le danseur. Le ballet fut créé en 1976 en Iran. © DR

Casado, le premier danseur, nous l'avons déjà dit, a tant fait pour Béjart, Béjart a créé sa danse sur lui. Il y a eu Paolo Bortoluzzi et puis Jorge Donn. Il l'a façonné. On peut dire que Donn fut une « créature béjartienne », une sorte de Ganymède du Zeus Béjart. Il n'était pas un très grand technicien, mais il dégageait quelque chose d'extraordinaire en scène. Il avait un côté lumineux et un côté noir.

Et ses danseuses ?

Elles avaient une place moins importante, moins forte que les garçons, c'est certain. Au début Michèle Seigneuret, Tania Bari, Duska Sifnios (la créatrice du Bolero), Tessa Beaumont avaient une personnalité marquante. Après Suzanne Farrell, qui était longiligne, Béjart a voulu que toutes les filles correspondent à sa ligne. C'était souvent dur pour les danseuses, certaines s'affamaient. Mais il y a eu des stars comme Shonach Mirk, qui m'a raconté combien Béjart et elle se comprenaient sans même se parler : « Il commençait un mouvement. Je le finissais. »

Vous revenez sur la querelle avec Noureev.

Ils se sont connus dans les années 70. Béjart attirait tout le monde. Toutes les stars voulaient danser avec lui. Noureev aussi, bien entendu. Il est venu à Bruxelles et Béjart a réglé en quelques jours l'un des plus beaux duos qui existent pour Noureev et Paolo Bortoluzzi, Le Chant du compagnon errant, sur les lieder de Mahler. Ce ballet a été un immense succès et Noureev l'a dansé longtemps. Lorsqu'il a été nommé directeur de la danse de l'Opéra de Paris en 1983, Béjart était prévu dans la programmation. Il devait créer Arepo, un ballet « ironique » sur l'Opéra de Paris, dans lequel était distribué Éric Vu-An. Et Béjart s'est arrogé le droit de « nommer » étoiles Éric Vu-An et Manuel Legris. Alors que seul l'administrateur, sur proposition du directeur de la danse, peut nommer les étoiles. Noureev faisait signe au public que ce n'était pas vrai. Le scandale a été énorme. Béjart a fait le lendemain des déclarations délirantes à la télévision, notamment au journal télévisé d'Yves Mourousi.

Aujourd'hui, le Béjart Ballet Lausanne est dirigé par un de ses anciens danseurs, Gil Roman.

Béjart a longtemps hésité quant à son héritage artistique. Il ne voulait pas que ses ballets lui survivent. Finalement, il a choisi Gil Roman, un de ses danseurs, qui défend ses ballets et a décidé d'en remonter certains qu'il jugeait intouchables, comme la 9e symphonie. Gil a claqué plusieurs fois la porte du Ballet du XXe siècle et Béjart l'a toujours fait revenir. Ils avaient en commun, outre l'amour de la danse, un certain côté dépressif. Gil Roman le dit d'ailleurs : « Nous nous sommes vraiment rencontrés à un moment où nous étions en dépression l'un et l'autre. »

À la fin, Béjart venait encore assister aux répétitions, en chaise roulante…

Oui et ses danseurs étaient stupéfaits par la clarté de son jugement, sa façon de rectifier, de corriger, de donner l'esprit du ballet. Béjart avait une image de père auprès d'eux. Lui disait « de père et de mère ». À sa mort, son ami François Weyergans avait placé sur la scène du théâtre Métropole à Lausanne tous ses objets fétiches autour du cercueil, dont le fameux rocking-chair de Barbara, sa grande amie qui est morte, comme lui, en novembre. Les gens, les intimes comme les admirateurs qui venaient lui rendre hommage, ont eu ainsi le sentiment que Béjart allait entrer sur scène, et les saluer, avec son éternelle écharpe rouge sur les épaules.