Un déménagement tout en douceur

Publié par Ferdy le 30.11.2012
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L'émotion était grande, hier lorsque, après des mois de chantier, le nouveau Seronet nous apparut enfin.

Bien sûr, l'image qui s'imposait à moi relevait autant du déménagement vers un logement, plus spacieux, plus moderne, avec ses odeurs prégnantes de peinture fraîche, et aussi dans le même temps, du désarroi inévitable devant tout le bazar des cartons indéchiffrables, ou égarés, dont on ne sait plus très bien ce qu'ils sont censés contenir.

A la place de mes antiques persiennes en bois, je découvrais la facilité déconcertante du volet roulant électrique télécommandé. Mais lorsque je voulais refermer celui du salon, c'était celui de la chambre qui s'ouvrait, ou inversement.

Tandis que je tenais pour acquis d'avoir placé mes affaires de toilette dans le carton n°26, je trouvais à la place un lot de vêtements de sport qui n'étaient pas les miens, ou lorsque je croyais devoir répondre à l'interphone, c'était en fait le signal vocal d'une cafetière qui m'annonçait que ma tasse était servie.

Je ne retrouvais plus mon panorama habituel, celui qui avait patiemment façonné mon imaginaire, ou mes fantasmes locatifs durant toutes ces dernières années, cette morne succession de plaisirs et de déplaisirs archaïques et qui avaient fini par constituer un horizon réconfortant et banal.

Même le voisinage, alors que nous avions migré ensemble, paraissait modifié.

L'ordre des sonnettes semblait avoir été tout chamboulé. Mes abonnements à différents magazines ne se retrouvaient plus dans la corbeille, près la porte d'entrée, mais directement sur mon bureau. Je piaffais d'impatience devant tout ce remue-ménage. L'ordre que je croyais éternel s'était ainsi évaporé. A la place de mon robinet d'eau froide à droite, de mon eau chaude à gauche, il fallait se faire à un mitigeur en inox qui fournissait, en plaçant le curseur bien au centre, une eau idéalement tiède et au débit constant. 

Ces sensations je les avais aussi déjà éprouvées dans des chambres d'hôtel. A la différence que je n'ai pas pour habitude de promener avec moi l'ensemble de ma garde-robes ni mes archives.

Le premier repérage généralement se contente de prendre mes repères : inspection de la salle de bain, goûter aux échantillons gracieusement offerts, savourer le nombre de serviettes, s'étonner de la propreté étincelante, puis un tour vers le mini-bar, tester les chaînes du câble ou du satellite, tester la résistance du matelas, le repassage des draps presque trop lisses, faire actionner les rideaux et doubles-rideaux d'une simple pression sur l'interrupteur ou, selon la catégorie, appeler le room-service pour un en-cas ou le concierge pour une réservation dans un restaurant. Je sais que je n'y passerai que quelques jours, et que les prestations proposées sont offertes à titre provisoire, comme une parenthèse singulière.

Je dois bien admettre aussi que je ne vis pas, à proprement parler, sur Seronet. Je ne m'attends donc pas à retrouver chaque matin ma brosse à dents posée à l'identique dans le même verre opaque, ni mon rond de serviette à la cantine.

J'y suis par intermittence, parfois aussi par inadvertance, ou par désoeuvrement. Le plus souvent par envie, par plaisir, par souci d'échanger et parfois même, pourquoi pas, pour rencontrer. En aucun cas, ce lieu familier ne saurait se substituer à mon gourbi.

Il me fallait donc en apprécier les nouvelles fonctionalités. Jeter un oeil aussi sur le cahier de doléances gentiment mis à la disposition des migrants. On y découvrait une alternance assez diversifiée de compliments prudents et de réserves outrées. La disparition de la cam sur le chat faisait déjà polémique. 

Même si ce changement offrait à chacun l'opportunité de rafraîchir sa galerie de photos, l'ensemble de ces petites manipulations en excédait certains, comme s'il leur fallait attraper la perceuse avant de tout pouvoir fixer à l'identique. Je comprends ces petites contrariétés, elles peuvent m'affecter moi aussi, en raison de mes petites habitudes si pieusement vénérées depuis que j'ai opté pour une existence sédentaire. 

Cependant, je ne boude pas mon plaisir. Il viendra un jour où j'aurai certainement à éprouver une tranche de nostalgie en repensant à la vieille bicoque qui faisait les délices de ma vie d'avant, avec son parquet qui grince, les portes qui se bloquent, les fuites d'eau intempestives, le tapage nocturne de certains colocataires... quand c'était mieux avant, quand nous pouvions encore gambader dans les terrains vagues, les cabanes en bambou, et dans l'insouciance d'une oisiveté que l'on croyait heureuse...