Un mammifère à trois pattes

Publié par Ferdy le 29.01.2012
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Enfant, j'étais triste, moche et solitaire. Je n'ai pas changé.

On me disait trop maigre, pas assez sportif et trop peureux. Le profil n'a que très peu changé, la peur en moins. J'avais en horreur la compétition, de quelque nature qu'elle puisse être.

Parvenir avant un concurrent ne m'avançait à rien. Je faisais semblant de courir, comme aujourd'hui, lorsque ce mode de locomotion plus rapide se trouve gravement handicapé par une neuropathie périphérique des membres inférieurs, j'adore cette terminologie médicale, émanant du neurologue qui teste parfois mon inaptitude avec des appareils sophistiqués, tout ça pour élucider ma nonchalance, mon égarement, ma paresse.

J'ai toujours rêvé de déambuler avec une canne, ça fait trois pattes au lieu de deux, et c'est un accessoire qui peut être assez beau à contempler lorsqu'il n'est pas remboursé par la sécurité sociale. Je me souviens de mon grand-père maternel qui l'utilisait, me semble-t-il, par pure coquetterie, afin d'affirmer son statut et son âge. Il l'oubliait parfois et cela nous faisait rire, nous les petits-enfants, cruels envers la vieillesse. 

Je commence à lui ressembler, ce qui ne me réjouit que moyennement. Il se réjouissait du retour des hirondelles et du bon fonctionnement de la chaudière, j'en suis déjà presque parvenu à ce stade, coincé entre la beauté de la nature et les performances de mon matériel informatique. En revanche, je ne suis pas encore parvenu à rédiger mes dernières volontés. Peut-être parce que je n'en ai jamais eu. La crémation, c'est sûr que c'est assez tentant. Occuper le moins d'espace possible, être répandu dans un parc ou jardin dédié à ce genre d'immondices, pourquoi pas. Le caveau familial, comme l'a chanté Georges Brassens, doit être plein comme un œuf et je n'apprécie pas tant que ça la promiscuité, surtout avec des ancêtres. Il faudra cependant que j'y réfléchisse, si d'aventure le ministre de la santé nous autorise à des soins funéraires, je serais peut-être heureux d'apparaître dans mon habit de lumière, radieux, étincelant.

Ce sera la première fois de mon existence que j'aurai l'air aussi tentant. Trop tard. Maquillé comme une pute, envahi de formol, libéré du contenu des viscères... je me tâte. 

Chacun d'entre nous a dû penser un jour s'adresser à un notaire afin de faire acte testamentaire. Autant la vie, c'est du léger, autant la mort doit être considérée avec sérieux. Je lègue à ma nièce les couverts en argent. A mon cousin germain, une sorbetière électrique n'ayant presque jamais servi. La bibliothèque, puisque plus personne dans cette famille n'est capable d'apprécier Beckett ou Cervantès, reviendra aux libraires auxquels ces malheureux ouvrages furent volés.

Mes araignées, fidèles compagnes d'une existence crépusculaire, devront se faire à l'idée que le nouveau propriétaire aura décidé de confier ce logement à une entreprise de rénovation qui ne leur laissera que peu de chance d'étendre leurs toiles admirables. Le mobilier sera réservé à Emmaüs. Toute une vie pour en arriver là.

Quel triste inventaire.

Commentaires

Portrait de badiane

l'organisation des vivants

après la mort de mon père, ma mère fut placée en Maison de Retraite, étant incapable de se débrouiller seule et ce fut la décision des grands frères et l'aînée, nous avions qu'à nous taire,

personnellement, je n'aime pas assez ma mère pour me battre pour elle, c'est comme ça, elle n'est pas mauvaise mais elle a engendré un mal-être souterrain chez ses enfants,

bref! qu'il est douleureux de ranger, classer, nettoyer, trier, jeter, ne pas savoir que faire de certains objets, sa maison d'enfance seule, je l'ai fait un week-end, j'ai compris ma douleur,après, j'étais souvent avec ma soeur,au début, je pensais que nous allions la garder pour que notre mère passe un peu de temps avec nous à quelques sorties et que nous rangions et vidions le superflu,

je nettoyais les massifs, papa avait horreur de voir les mauvaises herbes;non, il fallait vendre au plus vite, se débarasser de ce poids "mort", la maison d'enfance, là où mon père dormait, fumait, criait, regardait la télé, lisait son journal, faisait le jardin, là, où mes soeurs et moi avions fait les pires bêtises, glisser la tête en avant allongée les escaliers en bois, montée avec l'une de  mes soeurs dans le lavabo pour finir par le casser, punition: ramassage de pommes de terre pendant les vacances, nous planquer dans les escaliers lors des éclats de mon père, se cacher derrière le sapin au fil des années pris une taille de boule énorme, laisser échapper les lapins dans le jardin avec mon grand frère, se jeter dans la tonne de paille, jouer à massacrer nos poupées..

Voilà, il fallait plier tout cela, vite, mes parents vivaient difficilement et cette maison était leur véritable bien, le reste n'avait pas trop de valeur sinon affective, toute une vie à payer une maison et  pour ça...Que c'est douleureux de quitter à jamais sa maison d'enfance, de quitter le souvenir des gens que l'on a aimé, de ranger leurs affaires, d'être à 35 ans (bon en même temps ça n''est pas jeune) sans lien, sans repères et de tourner une page si lourde si vite.

Alors, mammifère à trois pattes, dis-toi que ce triste inventaire, les vivants qui t'aiment, tes amis, ceux qui restent, verrons dans cet inventaire des parties de toi à préserver et précieuses; nous laissons tous une trace que nous le voulons ou pas. T embrasse et reste encore longtemps parmi nous, j en ai un ptit marre des morts, badsad

Portrait de Outoftheworld

Nous sommes riches de dépossessions. Nos outils et nos objets, ne sont que le reflet d'une réalité plus profonde.
Les autres, inconnus ou pas, hériteront de nos restes.
Mais la vraie richesse consiste sans doute à se dépouiller sans s'appauvrir. Et que le cheminement de cette vie nous méne à une vérité viscérale.
Aimons le bonheur. Battons nous pour lui.
Et nous pourrons mourir la conscience sereine d'une existence bien remplie.
L'inventaire appartient à ceux qui restent. Ce qui t'appartient à toi est de savourer l'instant malgré les difficultés.
Tendre pensée.
Portrait de badiane

Outoftheworld,

 je me demande toujours quelle est cette lanterne interne qui t'éclaire et te rend si sage, est-ce inné ou l'as-tu travaillé ou les deux, mon capitaine;; je pense que tu réponds plus à Ferdy,

oui, tu as raison sur la question matérielle, je ne suis pas matérialiste et parfois peu réaliste, ce matin, je parlais avec mes souvenirs et mes yeux d'enfants, en fait, je me trompe, le problème dans le rangement effectué après la mort de mon père était du  à un non-inventaire, ses enfants étaient perdus par le manque de directives et il est dur de choisir à la place de quelqu'un, quel objet si dévalué soit-il est précieux ou pas??? comme un manque de communication et la peur de nous réunir nous aidait guère pour cela aussi, nous étions égarés, tel un papillon en pleine lumière, je m'en foutais des objets et  y en aurait il plus eu que ça m aurait arrangé mais dans ses objets se transféraient la mémoire de mes parents et mes aïeux, ce qu'il avait mis de temps à économiser pour l'avoir, était il heureux de l'acquisition, le plus dur ou "drôle" était les trouvailles écrites, le cahier "d'amour" de ma mère, je l'ai gardé, les cartes,les photos..

 Cependant, ces jours là, j'ai appris qu'il ne fallait pas négliger ceux qui restent, je ne voudrais certainement pas que mes amis se prennent la tête à débarrasser mon appartement, oui Outoftheworld, vivons maintenant et pleinement, ne partons pas l esprit vide c'est cela qui donne la peur de la mort,

 quant à Ferdy, tu as fait ton oraison funêbre avant l heure, avec beaucoup d autodérision et aussi de dureté, je t embrasse mon beau Ferdy, moi (la voix de l'enfance) je ne veux pas que tu t'en ailles... Na! tu me demandes mon autorisation d abord, bad

Portrait de badiane

opine du maître, mammifère et vampire à carpattes et très carpette (il a de longs crocs, c'est un peu flippant quand il est au dessus de toi et que tu te réveilles)

soyeux et noir de jais ,yoda t'envoie un vrou, miaou d'amour, toi qui sait apprécier sa fourrure MAgnifique, oui, maître...

Portrait de Ferdy

j'évoquais le sujet de la mort par anticipation, mais sans autre impatience, en outre je ne possède rien à l'exception de ces quelques bibelots mentionnés plus haut,

il y a un mois, j'étais confronté à un décès attendu, c'était d'abord un soulagement, puis et c'est probablement pourquoi j'évoque ce sujet testamentaire, l'homme ne possédait presque rien, j'héritais de son téléviseur extra-plat, la seule chose de quelque valeur, puis en regardant un peu dans son logement avant la remise des clés à sa propriétaire, je me suis intéressé à une bougie, une simple bougie un peu large comme on en trouve peut-être encore dans les églises, un cierge (mais je n'aime pas ce terme liturgique), personne n'en voulait, je l'allume parfois le soir non pas tant pour penser à lui, mais pour lui témoigner de mon affection, cela me réjouit, tout le reste n'est que baratin,

très touché par OTW et Badiane, cependant ce n'était pas encore mon oraison funèbre, une simple petite réflexion à propos des objets qui ne nous auront jamais appartenu, à peine dépositaires consentants, complices de recel, mais sans plus, j'imaginais une suite avec canne, partant vers une longue route encore bien mystérieuse et que j'espère joyeuse,

ps : une caresse pour Yoda, à vous autres je ne me le permettrais pas.

Portrait de badiane

tant mieux, une ballade en canne à cannes en perspective riant comme des ca..

Excuse, je suis trop réactive, épidermique à ce sujet,

yoda est trop heureux, y a quelqu'un qui me connait sur séronet, waouh! normal,ze suis EXtraaordinaire et blablamiaou, ça y est il réclame encore des faveurs, c'est du boulot, boule de poil,va!

mille bignoux à OTW et Ferdy

Portrait de Outoftheworld

Merci de me croire un peu sage. Cela me donne sans doute l'impression de l'être un peu. Même si je pense malgré tout être bien loin du compte.
En tous les cas cela ne me permet pas d'éviter les écueils qui sont notre lot commun, de  trouver un bonheur partagé, de ressentir les douleurs,...
J'ai aussi hérité d'un bon nombre de menus objets familiaux qui n'ont de valeur que par l'histoire dont ils sont dépositaires. Je les ai gardé.
Ce sont mes archives, mes souvenirs incarnés. Je laisserai aux suivants la responsabilité du choix quant à leur devenir. Et toc!! C'est un coup à la Ponce Pilate, mais tant mieux pour moi.
Sinon, Ferdy, je pense que nous avions enregistré ton questionnement à son juste sens, avec sa continuité du digne cabotin à la canne...
Nous l'avons prolongé chacun à notre manière, en retenant sans doute les points qui nous touchaient plus particulièrement.
A part cela, je te permets une caresse virtuelle à la Yoda (rire) mais ne t'attend tout de même pas à un doux ronron...
Merci Badiane. 
Et tendres pensées à tous les deux.