VIH, fruit de l'échec d'une possibilité d'être gay

Publié par Rimbaud le 10.10.2017
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              De plus en plus de gays baisent sans capote. La prise de risque est à son maximum, renforcée par la consommation toujours plus importante de drogues. Les messages fleurissent sur les applications : chemsex. C’est In, c’est fun, c’est le top du plaisir de se foutre la gueule en l’air, de se retourner le cerveau, de s’abandonner totalement pour qu’enfin, l’espace d’un instant, tout disparaisse. Tout. Comme un mythe absolu atteint. Comme une solution miracle. Tant qu’on se bornera à tenir des discours mièvres et moralisateurs en guise de prévention, l’épidémie se propagera à grande vitesse comme elle est en train de le faire chez les jeunes. On préfère ne pas faire face à la réalité. On préfère regarder ailleurs et produire des discours d’un autre temps. Le gay est seul, inconsciemment désespéré ou pleinement lucide des démons qui l’assaillent, sans plus aucun courage d’être ou de devenir, telle la pleureuse déçue qu’il est devenu, aigrie, solitaire, misanthrope, qui ne sort de sa tanière que pour se faire enculer et remplir tout en pianotant sur Grindr de l’autre main. La cause du VIH se trouve lovée dans cette forme d’ignorance crasse et sordide. Les gays ont abandonné la fête, la joie, la danse, le regroupement, la communauté illusoire qui avait au moins le mérite d’exister, la croyance en une vie possible qui ne soit pas tromperies, mensonges, trahisons, faux semblants, duperies. De fait, ils foncent, tête baissée et cul relevé, soit dans une débauche suicidaire, soit dans un conformisme maladif et voué à l’échec. Ils ont renié jusqu’à leur propre identité, et le virus l’a bien compris, lui qui se tient en embuscade, toujours prêt à fondre sur la proie. Ce qui cause la propagation du virus, c’est la mort de la poésie. C’est la mort de l’enfance, la mort des idéaux, la mort de l’énergie qui parcourait les corps et les portait vers des actes qui soient fédérateurs et productifs ; c’est la mort du langage, son stéréotypage : on a foutu le feu aux voyelles, et seules quelques consonnes trainent paresseusement, vieil S.O.S. que plus personne ne sait décrypter ; tu ch ? cv ? bm ? ; c’est la mort de la chanson qui unit les voix ; c’est la mort d’une compréhension possible et d’un geste fraternel ; l’absence d’un accueil ; comme on balaye de la main celui qui pensait trouver auprès de ceux qui lui ressemblent un frère, un ami, un amant ; c’est l’empilement lent des déceptions, des renoncements, des désillusions ; c’est la responsabilité d’un milieu qui a méprisé depuis des décennies tous ceux qui refusent de leur ressembler, et le non-conformisme est devenu un alignement ridicule qui tourne à vide, qui exclut ; c’est Paris qui a pissé sur la province depuis toujours en renforçant les murs de la honte ressentie ; ce sont les associations qui enferment, qui contrôlent, qui imposent quand tout en nous dit le besoin de singularité et d’échappement ; ce sont les contraintes sociales, politiques, économiques, financières face auxquelles l’être ne peut qu’abdiquer et sombrer, peu importe où, mais sombrer ; c’est la mort de la famille, la mort du père, la mort de la mère, la mort de tout ce qui aurait pu ressembler un jour à une caresse rassurante, à un amour inaliénable ; c’est la mort de la tolérance et le sacre du jugement, d’une main sévère qui ne vacille jamais ; et les responsables ne sont pas ceux qu’on croit mais bien les voisins les plus proches, ceux-là même qu’on rêvait d’enculer ou d’embrasser ; c’est la mort de la possibilité d’être un pédé accompli, heureux dans sa différence, accepté et respecté par sa différence, cultivant sa différence, la portant tel un étendard conquis de haute lutte ; alors oui, oui, oui, le VIH n’est pas mort et la capote ne sert plus qu’à fabriquer des ballons un premier décembre tandis que la foule fait semblant de danser sur des chars et de regarder au loin, sans voir que là, juste à côté, en bas, ils sont des milliers à ingurgiter les pires merdes qui soient, à mélanger les spermes les plus douteux, à se les refiler de bouche en bouche, comme un chien qui crie à la mort, dans le silence étale des plaines d’où chacun se tire en courant, un masque sur les yeux, les mains sur les oreilles, parce qu’au final, ils se disent, ils se disent tous, qu’il faut s’échapper… de tout. De tous. De soi-même. Et peu importe le prix à payer.

            Il est temps que d’autres voix se lèvent. Des voix sans naïveté, des voix compréhensives, et je veux croire que ce sont celles des séropositifs. Je veux croire que ce sont ceux qui sont tombés qui, parce qu’ils ont été à terre et qu’ils se sont relevés, portent le message lumineux et vivifiant de l’humanité. Ce n’est plus du lyrisme, ce n’est plus seulement du langage, ce sont des rapprochements plus subtils, des pas plus assurés, des pensées plus construites, des délires moins formatés, des senteurs plus suaves, des abandons inoffensifs. Que cesse un romantisme abscond, d’un autre temps. Qu’on mette fin à la culture malsaine d’une fascination morbide. Nos destins ne sont pas tracés. La liberté reste à conquérir et c’est un combat euphorisant. La mort n’est pas un refuge salutaire. La mort n’est pas le Graal à conquérir. La mort n’est pas le sommet de la philosophie : elle est échec, impuissance et bêtise. Cessons de réduire les sphères de notre inventivité en reproduisant le fatalisme des postures les plus désespérées. Il n’y a pas de grandeur à abandonner sa lucidité, à la regarder d’en haut, étalée sur le trottoir comme une merde de chien qu’on s’amusera à piétiner, contents de nous. Ils mentent, ceux qui décrivent l’extase d’une drogue car ils oublient tout ce qu’ils ont perdu : la possibilité de choisir ; le libre-arbitre ; la retenue avant l’abandon ; un abandon non plus subi mais consenti ; la conscience de goûter à chaque mouvement de chaque doigt, de chaque orteil, de chaque paupière ; la conscience enivrée par la douceur des lèvres, le battement du sang dans les veines, une érection totale, définitive, sans entrave, sans artifice, naturelle ; la pleine et totale conscience en lieu et place de l’oubli. Et les mecs se regardent alors vraiment dans les yeux, et leurs regards sont complexes, chargés d’histoires, et ils se comprennent. Alors et alors seulement, l’être peut véritablement jouir d’une jouissance totale, pleine, entière, inégalée. Sans renoncement. Non, ce n’est pas une chimère de plus. Non, ce n’est ni naïf, ni mièvre, ni faible, ni conventionnel, ni déjà-vu. C’est puissant, c’est fusionnel, c’est l’alchimie des émotions et des désirs jusqu’alors enfouis, et le pédé ne cogne plus aux portes d’une prison mythifiée. Il se tient bien droit, debout, sans avoir rien cédé à lui-même. Il accomplit un acte décisif. Il s’empare des corps, dans la protection nécessaire, évidente, non négociée de lui-même et des autres qui deviennent son avenir, sa condition merveilleuse, le champ immense des possibles à préserver pour que se produise encore et encore le miracle qu’il a construit, pour qu’adviennent à nouveau ces rencontres éphémères, dans la volonté de perpétuer à jamais les saveurs orgasmiques des plaisirs retrouvés.

            Nous nous tenons, comme des cons, dans l’attente les uns des autres.

Commentaires

Portrait de ballif

regardez ceux qui viennent s'inscrir sur ce site  dans les années 1990 c'était en majorité des homoxuels   puis des hétéro de 40/50 ans   maintenant les plus jeunes  et aujourd'hui des personnes âgées sont en consultation  a ma plus grande surprise

la fobit de la société face à la sexualité sera toujours caca boubin tant que la France n'aura pas compris qu'elle s'apprend dès la crèche  cela ne perturbe pas les enfants  et en plus évitte de voir appliquer les crétineries sur ce sujet vues à la TV

Nous sommes tous programmés pour avoir du sexe dans notre vie  chacun à son évolution   je le vois dans la rue la future tandance pour chacun

les infectiologues regardent les résultats sanguin  si il n'y a pas d'uminité  T4 ils prennent peur  avant sans traitement il ne savait quoi faire   j'ai vu une mère pleurer sur les marches de l'hôpital  sa fille partait pour les soins paliatifs   elle ne pouvait plus tenir sa cigarette

lors des consultations le sexe est évité  comment ont ils vécu leur prope sexualité  si c'est comme moi  où le caleçon était zone strictement interdite   comment font ils pour pouvoit l'expliquer    j'ai mis 25 ans avant de pouvoir dire ce que j'ai vécu   comme inconnu de la médecine   je suis fou  mais surprise toujours vivant    et avec moins difficultés pour l'orthographe

cette situation surprend même la justice   elle a pris peur  eux aussi   ma curatelle vient d'être levé sans passer devant un juge   selon la loi nous devons passer devant un médecin qui dit si nous sommes apte à gérer nos comptes  je leur ai répondu  quand je ne suis pas droguer par les psy oui   il n'apprécis pas cela

voilà notre douce France

Portrait de ouhlala

Merci. Très bien écrit, intéressant et soulevant de nombreuses questions... 

Ça manque quand même un peu de chair paradoxalement. Merci à Ballif pour ça.

Perso un peu dégoûté, et des produits psychoactifs, et du sexe, il me fallait l'intérêt pour ton style, non démenti, pour m'intéresser, un peu en diagonale je l'avoue, à ce sujet... faut que je relise... tu fulgures à n'en pas douter mais je ne vois pas trop le rapport (pour la discussion) avec les séropos... il me semble qu'il y a de tout dans "les séropos", et que la prise de conscience que tu réclames est plus transversale, en appelle aux face-à-face, aux face-à-la-mort, aux mourants, aux expérimentés, aux illuminés... Être séropo n'est ni nécessaire ni suffisant. Au contraire, on peut trouver chez nous une propension à l'échappatoire... Quant aux "couples" n'en parlons pas, atomes de la réalité normative, je pisse déjà assez froid pour certains je pense...

Non, pas d'échappatoire, cher Rimbaud, juste ta parole, que j'attends, comme un con, avec délectation.

(je re-lis le titre et me dis que je n'ai rien compris mais trop tard ou j'efface tout et je dit bravo bises)

Portrait de Rimbaud

Je trouve aussi que ça manque de chair. 

Je ne parle que des gays parce que je ne connais que ça et que je ne serais pas juste à essayer de parler de ce que je n'expérimente pas.

Sur les séropos, cela relève davantage d'un souhait que de la réalité, on est bien d'accord... et oui on peut élargir à tout un tas de personnes. Mais quand même la confrontation au virus ramène à l'essentiel... enfin je trouve en tout cas.

On prend toujours le risque de ne pas être compris, mais c'est pas grave... c'est juste un petit texte sur un blog. Je ne suis pas écrivain, pas au sens de celui qui a fait des livres et a eu des lecteurs (enfin quelques centaines mais c'est peu dans une vie) et nous sommes tous écrivains. C'est dur d'écrire, c'est un effort et quand le texte est fait, j'ai l'impression que quelqu'un d'autre l'a écrit. J'aime beaucoup ce sentiment. 

Je crois quand même à cette idée forte : les gays sont dans le reniement et le renoncement d'eux-mêmes, et ils ont tort. ;) 

Merci de tes encouragements. Je n'ai pas peur de dire que j'en ai besoin pour avancer, je ne suis pas du tout de ceux qui sont sûrs de leur talent ou savoir-faire. Merci donc. ;)

Portrait de Pierre75020

Bravo pour le lyrisme et la générosité de pensée. Je crains que le VIH soit considéré par beaucoup de gays comme un aléa dont on peut s'accommoder au moins avant de l'avoir attrapé.Aujourd'hui il est possible de remplacer la capote par une PREP ,Truvada que l'on prend et avant après l'acte, j'ignore l'efficacité de la méthode mais je pense que cela ne change pas grand chose à ce que tu dénonces.Ton discours est exaltant,il faudrait que l'amour, l'acte sexuel , les désirs brûlants s'accompagnent de conscience et de lucidité qui en rendraient l'accomplissement total, voilà un beau discours à tenir aux '" séro neg".

Merci et bonne soirée.

Pierre.