Vivre. Sinon quoi ?

Publié par detlevera le 04.11.2013
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J’ai 42 ans, je suis le 2ème d’une fratrie de 3 garçons.

Nous avons reçu une éducation stricte, au cours de laquelle le « moulin à calottes » (notre mère) a souvent frappé. Notre père était la plupart du temps absent, et je n’ai aucun souvenir de lui au cours de mon enfance, ne serait-ce qu’élevant la voix sur nous.

 

Je suis homosexuel, sexuellement ce qu’on nomme « passif ».

J’ai compris très tôt que j’étais différent de mes camarades. J’ai eu mes 1ers partenaires dans les années 80 alors que j’étais mineur .

Il faut dire que cela n’était pas pratique : mes parents n’étaient pas au courant,  et j’étais mineur.  Les quelques partenaires que j’ai pu alors dégotter sur des réseaux minitel devaient, la plupart du temps, avoir au mieux deux fois mon âge, et avaient au moins aussi peur que moi, moi parce que j’étais ignorant des ces pratiques, et eux, au regard de mon jeune âge.

 

Chez nous, on ne parlait pas de sexualité.

Une des rares fois où j’ai entendu ma mère évoquer le sujet, c’est justement lorsqu’on a commencé à parler de la découverte d’une nouvelle maladie, je pense que je devais avoir 13 ou 14 ans environ. Nous écoutions les informations à la radio, et à l’annonce de cette découverte, je me souviens que ma mère, infirmière, a fait une remarque sur le sujet, envisageant dès lors que notre avenir pourrait être menacé par cette maladie dont on ne savait rien sinon sa dangerosité potentielle, et qu’il nous faudrait nous en protéger.

Le SIDA.

Je ne suis plus certain aujourd’hui qu’on le nommait déjà ainsi à l’époque. Peut être même ne lui avait on pas encore donné de nom.

 

J’étais donc dans l’ensemble un garçon très sage, studieux, élevé dans le respect des autres. Et surtout, j’ai été élevé en entendant en permanence ma mère nous rabâcher de nous tenir correctement pour ne pas que l’on pense que nous étions des garçons mal élevés. Le regard des autres….

J’étais studieux, je n’allais pas en boum, mes loisirs étaient occupés par la lecture, un peu de tennis et beaucoup de travail scolaire jusqu’à ce que j’obtienne mon bac.

Cette éducation sévère, studieuse et solitaire ne m’a certainement pas apporté la confiance en moi.

Je n’ai jamais non plus entretenu de bonnes relations avec mes frères, dont je me sentais différent, et qui eux-mêmes devaient ressentir ma différence. Nous nous battions souvent.

 

Et puis l’année de mes 18 ans, j’ai quitté le domicile familial pour aller étudier à Besançon.

J’y ai subit un bizutage, passage obligé du cycle universitaire : 1ère rencontre avec la « fête », la nuit, et l’alcool.

Je me suis très vite aperçu que l’alcool me donnait la « force » que je n’avais pas habituellement pour m’affirmer. Il me désinhibait.

Puis rapidement, j’ai remplacé l’alcool par le cannabis : si j’avais pour ma part l’alcool joyeux, j’avais aussi remarqué combien il pouvait parfois rendre les autres agressifs. Et surtout, être « drogué » me semblait plus « classe », cela m’apporterait la considération des autres.

Très vite j’ai découvert la vie noctambule, et j’ai découvert aussi qu’il y avait une vie homosexuelle dans cette ville étudiante, et notamment une discothèque.

Il me fallait du courage, je ne savais pas comment me comporter en ces lieux, je fumais beaucoup, surtout du cannabis, et je passais pas mal de temps accoudé au comptoir. Je voyais bien que l’on me tournait autour, sans trop comprendre pourquoi : que pouvait-on bien me trouver, moi qui rêvais d’être quelqu’un d’autre ?

J’ai rencontré R. dont je suis tombé éperdument amoureux : il n’était pas spécialement beau, il avait surtout un corps magnifique, il représentait à mes yeux  ce que je recherchais, la « masculinité ». Tout le contraire de moi, tellement longiligne, avec ce visage tellement fin, aux traits presque féminins.

Et sous ses airs « macho », il était doux, gentil et attentionné. J’étais donc amoureux.

J’étais fidèle aussi, je n’envisageais même pas aller chercher l’aventure ailleurs, je n’avais même pas conscience des autres garçons. Tout cela me semblait tellement naturel.

R. est le 1er garçon à m’avoir donné suffisamment confiance pour avoir des rapports non protégés, après que nous ayons tous deux fait un test de dépistage au dispensaire.

Il a fallu 2 ans avant que mon rêve ne s’arrête : j’ai alors compris ce qu’était le monde homosexuel, à la sexualité exacerbée, la duplicité, le cocufiage, la nuit.

 

J’ai néanmoins également compris que je plaisais beaucoup, même si je ne savais pas exactement pourquoi puisque j’étais l’exact contraire de l’image « parfaite » que je me faisais de l’Homme.

Après cette rupture j’ai profité de mon « succès », mais il m’a fallu pour l’assumer fumer toujours plus de cannabis.

Je me suis remis à sortir beaucoup la nuit : discothèque, puis tournée des « tapins » si je n’avais rencontré personne à la discothèque : il ne fallait absolument pas rentrer seul ! En réalité, il ne fallait surtout pas rentrer sans avoir « tiré au moins 1 coup », même si cela devait se passer dans des endroits sordides…

On commençait à l’époque à entendre des rumeurs, toujours plus proches de nous, selon lesquelles untel ou untel « aurait le SIDA »…

Même si cela paraissait encore suffisamment éloigné ne connaissant personne « officiellement » touché, je me protégeais toujours sexuellement, n’ayant plus d’amoureux.

 

Je faisais désormais partie d’une bande : nous étions tous consommateurs de produits.

Et il y avait une surenchère entre nous, il nous en fallait toujours plus. J’ai dès lors multiplié les expériences : LSD (qui a eu ma préférence très longtemps), ecstasy, infusions de têtes de pavot, champignons hallucinogènes, herbe, huile, et un peu de cocaïne mais très peu car elle était encore très chère à l’époque. On parlait beaucoup d’héroïne, on fantasmait à son sujet, on jouait à se faire peur en en parlant, mais je n’en ai jamais pris.

Et puis je consommais du cannabis du matin au soir et du soir au matin. Le cannabis avait quasiment remplacé les cigarettes.

Et surtout, j’ai finalement découvert la chimie : j’ai donc repris la consommation d’alcool, en cocktail cette fois avec des pilules, sans savoir alors précisément ce que j’avalais, l’essentiel étant la défonce : Dinintel, Survector, Tranxène, Cantor, Valium, etc.…. et surtout, surtout,  l’Artane, le top du top à mes yeux à l’époque!

 

J’étais heureux, je « flottais » en permanence, j’étais protégé par cet état second, et par le fait d’avoir des « amis ».

Mon poids est descendu à 58 kg (je mesure 1m78).

Les rencontres sexuelles étaient faciles.

Je sortais beaucoup dans un bar qui venait d’ouvrir, dont la clientèle était assez hétéroclite. J’étais « connu », j’étais accepté, je fréquentais les « camés », les prostituées, les travestis, etc.

Et dans cet établissement, derrière le bar justement, il y avait W. le barman, à qui je plaisais beaucoup manifestement.

J’ai appris à le connaître, et de soirée en soirée, est arrivé le soir où j’ai fait la fermeture du bar et où il m’a raccompagné chez moi.

J’étais toujours méfiant suite à mon 1er « échec sentimental », d’autant plus que W. jouissait d’une certaine cote de popularité et qu’il travaillait dans le monde de la nuit…

Mais le temps a fait son travail, je me suis attaché, suis tombé amoureux, et est arrivé le moment au bout de 6 mois où nous avons envisagé la possibilité d’avoir des rapports non protégés. Nous nous sommes rendus dans un dispensaire, en bande.

Fallait il être insouciants ou tellement sûrs de nous à l’époque pour se risquer à aller en groupe de 8 personnes faire nos tests de dépistage.

En ce temps là, le dépistage en dispensaire était systématiquement anonyme, et il fallait attendre 15 jours pour l’obtention des résultats.

15 jours après, nous sommes retournés chercher nos résultats, toujours en bande. Les miens étaient négatifs, en revanche W. m’a alors expliqué que lui n’avait pas pu obtenir les siens, il y avait eu semble t’il un problème d’étiquetage et il avait dû refaire une prise de sang.

Il était le seul sur les 8 dans ce cas.

 

Je me souviens parfaitement avoir éprouvé un sentiment étrange à ce moment là, un moment de doute. Mais il avait l’air tellement fort, tellement sûr de lui, confiant, « sain » même… (l’image que l’on nous montrait des personnes infectées était alors des individus très décharnés, avec des tâches sur la peau)

Je ne sais pas exactement expliquer pourquoi, mais la petite voix dans ma tête s’est tue, ou plus exactement je l’ai chassée, et nous avons eu dès lors des relations non protégées, alors même qu’il n’avait pas ses résultats.

J’étais amoureux, il semblait l’être, nous avions une sexualité très active, à tout moment du jour ou de la nuit, un peu partout. Des lapins amoureux, en somme !!

 

J’étais heureux ! J’avais à nouveau confiance…

Et puis les semaines ont passé, puis les mois, et j’ai commencé à soupçonner des infidélités. Mais à ce moment là je n’ai jamais pensé « SIDA » : il était évident que si infidélités il y avait, les rapports étaient forcément protégés ! D’ailleurs, nous n’avions plus jamais reparlé de ce test, et je n’ai même jamais su s’il était allé récupérer ses résultats.

Nous nous sommes disputés, cela a été violent physiquement parfois, et moralement surtout. Nous nous sommes séparés en très mauvais termes.

Et puis j’ai découvert que j’avais des petites boules sous la peau dans la nuque, je ne savais pas alors ce dont il s’agissait.  

En réalité c’est ma mère, l’infirmière, qui la 1ère a remarqué ce changement dans mon cou, et qui a tordu le nez, signe d’inquiétude. Elle n’a rien dit de spécial si ce n’est me demander si je prenais soin de moi, j’avais l’air tellement maigre !

Et j’étais fatigué : pourtant j’avais réduit mes consommations de produits en tout genre lorsque j’étais avec W., j’en avais moins besoin puisque j’étais amoureux, et aimé !!!

Et parce qu’il fallait bien aller de l’avant, j’ai repris ma vie.

 

Très vite, je suis allé faire un dépistage en dispensaire, seul cette fois.

Les 15 jours d’attente des résultats m’ont semblé anormalement longs. Je ne me sentais pas comme d’habitude. Je pressentais quelque chose, sans savoir quoi.

Est arrivé le jour fatidique, et ce fut la 1ère fois que cela se déroulait ainsi : c’est un médecin qui m’a reçu (les fois précédentes, cela avait toujours été une infirmière qui m’avait reçu pour m’annoncer que les résultats étaient OK).

Et la femme médecin en question n'y est pas allée par 4 chemins pour me dire que le résultat était positif, que cependant, il fallait faire un second test pour confirmer le résultat.

Il m’est alors revenu en pleine figure cette fois où nous étions allés en bande chercher nos résultats, et que seul W., mon amoureux, avait eu un "problème d’étiquettes" et avait dû refaire un test.

 

C’était un jeudi de juin 1994, je devais avoir prochainement 24 ans, il faisait beau dehors.

 

On m’a pris à nouveau du sang, je ne me souviens pas du tout de ce qui m’a été dit ou non après l’annonce du médecin, j’avais pris un coup de masse sur la tête, j’étais sonné, complètement insensible au monde extérieur.

Je suis rentré chez moi, seul, et n’en suis plus ressorti pendant 2 semaines. Je ne suis jamais retourné au dispensaire chercher les résultats du second test.

Un copain, est passé me voir à cette période,  je lui ai confié que je venais d’apprendre ma séropositivité, il a passé la soirée avec moi, a fait de son mieux pour me réconforter, je l’ai même vu pleurer…. Depuis ce soir là, je ne l’ai plus jamais revu...

1ère mise à l’écart liée au VIH.

 

Je me suis replié sur moi, j’ai beaucoup pleuré, mais il a bien fallu ressortir, ne serait ce que pour retourner chez mes parents. Et puis les cours aussi.

Ma mère s’est doutée qu’il y avait un problème à l’époque : j’étais maigre, j’avais des ganglions dans le coup, j’étais agressif avec eux. Elle a parfois évoqué des problèmes de drogue, que j’ai toujours démentis bien entendu.

 

Et j’ai pris sur moi, je n’ai rien dit, je n’ai plus jamais pleuré sur mon sort depuis.

En août 1994 (2 mois après l’annonce) j’étais incorporé chez les fusiliers-commandos à Drachenbronn en Alsace, pour effectuer mon service national : avec mon gabarit, quelle angoisse !

J’étais séropo, et loin de ma bande…

Rasage de cheveux, douche collective, puis visite médicale.

Lorsque je lui ai annoncé que j’étais séropositif, j’ai été très surpris de l’humanité dont a fait preuve à mon égard le médecin militaire.

J’ai été envoyé immédiatement à l’hôpital militaire de Strasbourg où je suis resté 2 semaines étant arrivé après la dernière commission de réforme.

Ce fût ma 1ère expérience avec le monde de l’hôpital : batteries de tests, examen en présence d’internes, j’étais seul, on ne me parlait pas, on m’examinait comme un rat de laboratoire, et je n’avais absolument rien à faire d’autre qu’attendre.

2ème sentiment de rejet par les autres, le personnel médical de surcroît.

 

Mes parents me pensaient en train de faire mes classes….

Puis la commission de réforme m’a exempté du service national, je suis vite allé retrouver ma bande à Besançon.

A la différence près que je n’y avais plus de logement (puisque pour mes parents j’effectuais mon service militaire) : j’ai donc squatté chez les uns puis chez les autres, j’ai dormi chez des rencontres d’un soir, j’ai également passé plusieurs nuits dans la rue, sur un banc comme un SDF.

Je m’en moquais, j’étais à nouveau défoncé en permanence ! Je n’avais plus peur de rien, sauf mourir.

C’est d’ailleurs à cette période que je me suis mis en tête qu’il fallait que je tienne, que je vive encore 10 ans. Pourquoi 10 ans ? Je n’en ai aucune idée, mais c’est devenu mon unique objectif : faire « comme si » pendant 10 ans, avant de mourir. Ne rien dire à personne, jamais. Pour ne pas se sentir encore plus sale, et rejeté.

 

Ces 10 mois de « pseudo » service national ont été en réalité 10 mois de défonce et aussi de frénésie sexuelle.

Pourtant je n’ai jamais eu envie de me « venger » sur d’autres de ce que m’avait fait W., j’ai toujours eu des rapports protégés.

 

Et puis un concours de circonstances à l’issue de mes 10 mois de soi-disant service national a fait que j’ai eu l’opportunité de décrocher un CDD sur Lyon dans un grand groupe.

J’ai eu beaucoup de chance, car j’étais tellement dans l’inconscience que je ne me préoccupais absolument pas de chercher un travail.

 

Mais au début j’ai pris ce travail à la légère, je n’étais pas impliqué, et j’ai découvert la vie nocturne à Lyon, tellement plus « intense » qu’à Besançon.

C’était en 1995 : il était encore plus facile de trouver de la drogue, particulièrement du hasch, du LSD et des ecstas.

J’étais encore défoncé souvent, la nuit. La journée je devais faire semblant au travail, je me contentais de fumer des joints.

A nouvelle ville, nouvelles rencontres ! J’étais nouveau dans cette ville, on ne me connaissait pas, j’ai multiplié les rencontres sexuelles.

 

J’étais moins à l’aise dans les discothèques lyonnaises, j’avais déjà 25 ans et l’on pouvait voir que je n’étais plus de la « chair fraîche »… et je n’avais probablement pas le look qui convenait.

Il faut dire que le « milieu » homosexuel est particulièrement ingrat : l’on est vite hors course, l’on fait l’objet de rumeurs, l’on a systématiquement une réputation, l’on est jugé sur son apparence, c’est souvent très superficiel.

Pas de cadeau, pas de quartier, il faut « survivre » dans ce monde particulier. Je n’étais pas armé pour l’affronter.

 

Je me suis donc concentré sur les lieux de rencontres extérieurs, les « tapins ». J’y ai passé des nuits entières, j’ai beaucoup consommé de sexe, avec n’importe qui, parfois même avec des personnes qui me dégoûtaient. Je crois même que plus cela était dégradant pour moi, plus j’y trouvais du plaisir.

« La nuit, tout est permis » : ma séropositivité, dès lors qu’elle ne se voyait pas, n’était pas un problème pour faire des rencontres. J’avais toujours cette « gueule d’ange », et ma minceur ne semblait effrayer personne. En revanche je ne laissais personne passer une main sur ma nuque, de peur qu’il ne sente les ganglions.

J’y ai rencontré toute sorte de personnes : beaucoup d’hommes mariés qui ne pensaient même pas à se protéger et qu’il fallait rappeler à l’ordre, un homme d’église même, des hommes de tous âges, toutes corpulences, tous milieux, sympathiques ou pas, parfois menaçants.

 

Je n’avais pas peur, j’étais « détaché » grâce aux produits.

Si j’avais été animé d’un sentiment de vengeance, j’aurais pu faire beaucoup de mal… En réalité, je n’en voulais qu’à moi, je n’en veux toujours qu’à moi.

J’ai recroisé W., j’ai tenté de discuter avec lui de ce qu’il m’avait fait, pour comprendre. Je n’ai pas compris.

 

Nous avons pourtant recouché ensemble une fois : nous ne nous sommes pas protégés. A quoi bon ?

Par ailleurs, s’il m’avait demandé de partager à nouveau son quotidien, je suis certain que j’aurais accepté malgré ce qu’il m’a fait.

Faut il que je sois masochiste !?! Je crois que c’était un moyen de me punir.

 

J’ai appris son suicide quelques mois plus tard.

 

Et puis, au travail on a renouvelé mon CDD et donné des tâches plus intéressantes. J’ai été de plus en plus impliqué, je sortais moins le soir, je ne consommais plus rien d’autre que du cannabis ou de l’herbe. Enfin cela a pris du temps, cela n'a pas été facile du tout de réduire ma consommation et me limiter à la "fumette"...

 

C’est à cette époque que j’ai « attrapé » une hépatite, probablement en pratiquant une fellation. En réalité, je ne sais même pas quelle hépatite j’ai eu : je suis allé chez un médecin proche de chez moi, qui s’est d’abord montré très accueillant et je crois, pas insensible à mon joli minois d’alors.

Lorsque je lui ai annoncé que je pensais avoir une hépatite et qu’en plus j’étais séropositif, son comportement a changé radicalement : il a enfilé une paire de gants alors qu’il ne m’a même pas ausculté, et il est devenu très froid. Lorsque je suis retourné le voir pour les résultats des examens qu’il m’avait prescrit, il m’a annoncé, toujours très froidement, que les résultats étaient positifs pour les hépatites A, B et C !!!!!

Je ne suis jamais retourné le voir, je n’ai jamais su finalement s’il s’agissait d’une hépatite alimentaire ou d’une hépatite B ou C, ou si j’étais porteur des 3 (je ne sais même pas aujourd’hui encore si c’est possible), je n’ai pas suivi de traitement. La fuite !

Cela a été la seule fois où j’ai tenté de faire un pas vers l’acceptation en révélant ma séropositivité à un médecin et cela a été un vrai fiasco pour moi.

C’était la 3ème fois que j’ai eu ce sentiment très fort du rejet des gens atteints du SIDA.

Et surtout cela m’a conforté dans l’idée qu’être séropositif, c’est être une merde au regard de la plupart des autres.

 

J’ai finalement été embauché après 3 ans de CDD, je me suis alors réellement investi, je n’ai plus compté les heures, j’ai accepté toutes les activités supplémentaires, je suis allé au devant même, en demandant toujours plus de travail. J’ai obtenu des promotions, j’ai changé de statut.

Je suis devenu un vrai drogué du travail !

Je ne sortais plus du tout le soir.

J’avais néanmoins encore une sexualité, par d’autres biais : les réseaux téléphoniques de dialogues en direct, au début surtaxés, allaient très vite devenir accessibles grâce à l’avènement de l’Internet.

 

En apparence, j’avais une vie normale : je travaillais beaucoup, j’ai fini par ne plus fumer des joints qu’occasionnellement, j’ai repris du poids.

Je n’ai plus jamais eu de relation « stable » : le qualificatif me fait même sourire ! (jaune)

 

Mes parents semblaient contents : je commençais de plus en plus à ressembler à ce qu’ils attendaient de moi, il ne manquait plus que le mariage et les enfants, naturellement.

Je n’ai jamais rien fait pour démentir, pour leur dire qui je suis. Du reste, je n’ai jamais su qui je suis. Je me le demande encore aujourd’hui.

J’ai toujours vécu au travers des autres, en cherchant à leur plaire, sans d’abord comprendre ce qui me plaît ou pas.

 

J’avais fabriqué une muraille autour de moi, ce n’était plus la drogue qui me « protégeait » des autres cette fois, mais cette carapace qui s’est tellement endurcie au fil des ans…

Je suis devenu une sorte de collègue de travail idéal : impliqué, serviable, sérieux, et puis souvent le confident aussi, une oreille attentive qui n’attend rien en retour.

La vérité est que tant que je travaillais ou portait de l’intérêt aux autres, je ne pensais pas à moi. Et cela devait probablement satisfaire mon besoin viscéral d’être sinon aimé, au moins apprécié…

 

J’ai continué à avoir une vie sexuelle relativement remplie, mais j’étais plus exigeant sur la « qualité du produit » recherché : je cherchais désormais uniquement des gens à mon goût.  Pourtant, dès que certains ont manifesté un intérêt autre que sexuel, je les ai toujours repoussés. Je n’ai plus jamais eu de relation dite « stable ». Comment pourrais-je ?

 

J’ai tenu l’objectif que je m’étais fixé de vivre encore 10 ans, sans aucun suivi et sans traitement, je l’ai même dépassé .

 

Pourtant, au cours de l’été 2006, en vacances à la mer, j’ai eu mal à une oreille. J’ai pensé à une otite due à l’eau. J’étais un peu gêné, mais comme toujours jusqu’alors, j’ai choisi d’être « plus fort ».

Le problème persistant, j’ai fini par consulter : on m’a diagnostiqué une otite, et traité pour une otite. Régulièrement, j’ai eu mal à l’oreille, devenant de plus en plus sourd à chaque fois jusqu’en décembre 2006 où je n’entendais quasiment plus, j’étais contraint de tenter de lire sur les lèvres. Et puis j’étais « à plat ».

Pendant cette période, j’ai consulté 3 ORL différents qui m’ont tous traité pour des « otites ». Il faut dire à leur décharge que je ne leur ai jamais parlé de ma séropositivité.

Ce n’est que le 4ème ORL qui a été le plus avisé et qui a très vite soupçonné un problème plus important qu’une otite et m’a orienté vers un confrère, après avoir demandé des examens plus poussés.

 

En février 2007, l’on m’annonçait que j’avais un lymphôme du cavum.

Cela a été un nouveau choc : j’avais atteint et même dépassé mon objectif de tenir 10 ans, et maintenant l’on me présentait l’addition.

Cela a été un retour en arrière douloureux, sauf que je n’étais plus seulement séropositif, j’avais maintenant un cancer, en plus. Et cette fois, j’étais résigné : ma fin était proche, forcément.

Un traitement par trithérapie a immédiatement été mis en place pour remonter mes défenses immunitaires alors au plus bas. J’ai néanmoins refusé l’hospitalisation envisagée pour la chimiothérapie et demandé à bénéficier de l’hôpital de jour, considérant que si j’entrais à l’hôpital, j’en mourrais plus vite.

En réalité, cela me permettait de continuer à faire encore un peu « comme si » j’étais normal, et d’échapper à la fatalité.

J’ai annoncé à ma hiérarchie que j’avais un cancer, et leur ai demandé de ne rien changer lorsqu’on m’a proposé de me dégager d’une partie de mon travail : le travail était une nouvelle fois un moyen de m’échapper.

Je dois dire que j’ai été pris au mot par mes responsables hiérarchiques : rien n’a changé. Je crois que j’ai participé à quasiment tous les projets mis en route à cette époque.

Je suis allé de biopsie en pet-scan, de radios en IRM, de prélèvements sanguins en échographies diverses et chaque fois que je demandais de quoi il retournait, je me voyais prescrire un nouvel examen.

L’on ma posé des diabolos pour me permettre d’entendre à nouveau.

J’ai rencontré des médecins, un professeur, des infirmières, des radiologues, j’ai consulté dans plusieurs hôpitaux selon la nature des examens prescrits et l’on ne me disait rien….  Et puis les traitements…

Je travaillais, j’étais fatigué, mais je devais encore tenir et donner le change, notamment avec ma famille que je n’ai jamais informée de ma situation.

Lorsque je ne travaillais pas, je restais chez moi, seul. A cette époque, j’ai refusé toutes les invitations de mes amis, qui ont fini par se lasser et ne plus rien me proposer.

J’attendais le lendemain de retourner au travail.

 

J’étais à nouveau seul.

Tout ce que j’avais « construit » n’était que du vent. Tout pour ne pas regarder la réalité en face.

J’ai souvent pensé (je pense encore parfois) qu’il serait facile d’en finir, je n’avais qu’à reprendre des produits et forcer un peu la dose.

Mais je n’ai pas encore eu ce courage là.

 

Mon sommeil s’est dégradé, je n’arrivais plus à m’endormir, et lorsqu’enfin, je m’endormais, je me réveillais très fréquemment dans la nuit.

J’ai alors pris des traitements, tels que LEXOMIL ou STYLNOX, sans succès.

 

Et j’ai malgré tout remonté la pente, d’un point de vue médical au moins.

 

Cependant, la trithérapie a commencé par ailleurs à me faire sentir ses effets indésirables : prise de poids (après une maigreur excessive due à la chimio notamment), ballonnements, troubles digestifs.

A cette époque, j’ai commencé à ressentir des palpitations, et j’étais souvent angoissé.

J’avais souvent des douleurs musculaires et, articulaires.

Je me suis accroché encore, et j’ai accepté et même sollicité toujours plus de travail.

Néanmoins, je me sentais de plus en plus fatigué. Et je parvenais de moins en moins à « faire comme si » tout allait bien.

En janvier 2009, j’ai été promu. Je suppose que j’aurais dû me réjouir de cette promotion, cela devait être la reconnaissance de toutes ces heures données sans compter à mon employeur pendant 14 ans.

Seulement, je n’ai jamais été « carriériste », et si j’ai toujours beaucoup travaillé, ça n’était que pour sauver ma peau et ne surtout pas réfléchir à ma situation. Je n’ai jamais eu l’ambition de gravir des échelons. Mais cela ne se dit pas. Je me suis tu. Et puis c’était trop tard, c’était fait.

En réalité, cette promotion a permis à ma hiérarchie de légitimer le fait que je n’avais plus à solliciter des activités supplémentaires, j’étais désormais désigné d’office, systématiquement, pour toutes les nouvelles activités. J’ai appris à mes dépens que plus l’on donne plus l’on vous prend.

J’ai serré les dents, et j’ai continué à ramener du travail chez moi le soir et les week-end afin de parvenir à gérer mes activités multiples le mieux possible.

 

En août 2011, épuisé, j’ai « pêté un plomb » où et avec qui je n’aurais pas dû, c'est-à-dire dans le bureau de ma responsable n+2 : je n’en pouvais plus, je ne parvenais plus à me concentrer, je ne supportais plus de travailler au milieu de mes collègues, je ne parvenais plus à tout gérer, je ne supportais plus le bruit…

Elle a pourtant fait preuve d’empathie, m’a dit de profiter de mes congés prévus en septembre pour me reposer, etc.

Et lorsque je suis revenu de congés en septembre, j’étais convoqué dans son bureau pour me demander de prendre en charge en plus de mes activités déjà nombreuses, un nouveau processus en remplacement d’un responsable d’équipe débordé…

Et cela a continué ainsi jusqu’en janvier 2012 où après un arrêt maladie, j’ai été mis en mi-temps thérapeutique dès le mois de février pour finalement être mis en invalidité le 1er janvier 2013.

Je travaille désormais à mi-temps.

 

Telle est ma situation aujourd’hui.

Je suis séropo depuis 1994, sous trithérapie depuis 2007, sous antidépresseur depuis plus de 2 ans, et j’ai un traitement pour le sommeil depuis 3 ans 1/2.

A l’écrire, je me rends compte que je suis désormais légalement « shooté ». L’on revient toujours à ses premières amours….

 

J’ai des troubles de l’humeur : je suis « Det. qui rit, Det. qui pleure ». Bien que conscient, je n’arrive pas à trouver les ressources nécessaires pour « repartir du bon pied ». L’on me répète sans cesse que je dois apprendre le « lâcher prise ». Je n’y parviens pas, malgré les médocs.

J’ai de plus en plus de mal à me concentrer, qu’il s’agisse de mon travail, d’un livre, ou même plus simplement de ce qu’un collègue ou le médecin peuvent me dire. Je ne retiens plus grand-chose. Je m’oblige à noter tout ce qui me paraît important dans un agenda.

Je suis fatigué en permanence, lorsque je me lève le matin, il me faut bien entre 1/2 heure et 1 heure pour que mon corps se « dévérouille ».

Je me sens rouillé, j’ai des douleurs qui apparaissent spontanément et régulièrement, à des endroits différents, jambes, pied, bras, main, dos, et cervicales, cervicales pour lesquelles j’ai bénéficié de 2 séances hebdomadaires de kinésithérapie de janvier à juillet 2012.

L’on me parle d’arthrose…

Même s’ils sont nettement moindres depuis le changement de traitement, j’ai toujours des troubles digestifs.

Je ne supporte plus de rester 8 heures/jour assis face à mon ordinateur : j’ai mal au dos et au poignet. J’ai des maux de tête.

Je supporte de plus en plus mal de devoir ingérer toutes ces pilules (19 par jour actuellement).

Comme je me supporte de moins en moins, j’ai demandé de l’aide à un psychiatre. J’ai un suivi depuis 2 ans.

Je vis seul, je n’ai plus de vie affective depuis de nombreuses années maintenant, et mes amis se sont éloignés (la vérité est que c’est moi qui les ai éloignés depuis le diagnostic du lymphôme).

Ma famille ignore tout de ma situation.

Mon employeur également, hormis le « cancer », qui me permet de légitimer sans plus de questions mes absences pour réaliser mes bilans.

Je pense souvent que si je ne suis même plus capable d’assumer un emploi de bureau à priori moins pénible physiquement qu’un emploi de manutentionnaire par exemple, il ne me reste guère d’issue.

Je m’interroge parfois sur l’opportunité de changer d’environnement professionnel. La conjoncture ne se prête guère à de tels changements.

Je culpabilise aussi parce que je me dis que j’ai la chance d’avoir un emploi (même si c'est à mi-temps aujourd'hui). Je culpabilise de ne plus être à la hauteur. Je n’arrive pas à vivre avec ma maladie.

 

Voilà donc ma situation : j’ai aimé, j’ai fait confiance à tort (cela dépasse la confiance en réalité je pense que c’est plus compliqué), j’ai été contaminé.

Je me suis tout de suite senti repoussant, et repoussé.

J’ai enfoui cela très loin pendant plus d’une décennie, sans aucun suivi, même si bien entendu à la moindre angine, je craignais que cela ne me soit fatal. Je le sentais toujours tapi en moi ce maudit SIDA.

 

Si j’en ai d’abord voulu à mon partenaire, W., j’ai très vite retourné ce sentiment contre moi-même : j’avais été prévenu, j’avais entendu parler du SIDA, j’avais même eu un doute lorsque lui avait dû faire une nouvelle prise de sang, et malgré cela j’ai accepté !

Mon psy élève le ton lorsque je tiens ce genre de propos, au motif que « le criminel, c’est celui qui se sait malade et qui contamine l’autre » et non pas moi, « la victime ».

 

Personnellement, je persiste à croire que je suis d’abord victime de moi-même, même si bien entendu, W. a eu sa part de responsabilité.

 

Mes parents, ma famille, mes collègues de travail ne savent rien de moi. J’ai repoussé mes quelques amis en 2007.

 

Il est certain qu’être seul est pesant, de plus en plus.

 

Il reste le sexe, quelquefois. Le besoin finit toujours par se manifester… Cela recommencera.

 

Pourtant il me semble que j’aimerais bien réapprendre à vivre en fait.

 

Sinon quoi, quelle autre possibilité ?

Commentaires

Portrait de Koala75

Coucou, merci pour ce témoignage. Je suis toujours ému quand je lis comment les autres font face (tant bien que mal, et comme il le peuvent) à la maladie. Je n'ai pas de réponse à t'apporter, je suis probablement moi meme tout aussi perdu. On avance un peu à l'aveuglette en essayant de ne pas trop souffrir mais je ne pense pas qu'il éxiste de recette miracle. Cela fait bientot 20 ans que tu as été contaminé et on rescend bien que tu n'as toujours pas accepter. Cela fera bientot 2 ans pour moi donc evidemment ce n'est pas comparable. La seule chose que l'on puisse faire c'est se soutenir car il est vrai que ce n'est pas la société qui le fera (oui en 2013 c'est toujours pas le cas). Je suis tres touché par tes mots...

Portrait de romainparis

qui se situe, avec notamment quelques points communs, à la même époque de vie que j'ai traversé. Merci aussi pour la qualité du français.

Sinon, quelle autre possibilité ?

Je serais bien incapable de répondre puisque je ne me pose plus de questions, non pas que je sois abouti et heureux dans ma vie, mais parce que j'ai découvert que j'étais plus heureux en ne m'en posant pas.

Romain