Le labyrinthe des passions

Mots clés  : troubles de la sexualité

Y en a-t-il parmi vous pour qui le vih ne soit pas "le" problème, mais plutôt sa conséquence?

Ça fera bientôt trois mois que je suis séropositif et, même si encore par moments je peine à m'assumer comme tel, je pense que cette nouvelle "condition" peut m'aider à mettre certaines pendules à l'heure. J'ai eu depuis longtemps une sexualité où la quantité l'emporte sur la qualité, une sexualité motivée par l'anxiété plutôt que par le désir, débouchant le plus souvent sur la frustration et non sur le plaisir. Au cours des dernières années mes prises de risque se sont multipliées, jusqu'à devenir systématiques. Je cherchais une intensité et un lâcher prise qu'on trouve difficilement dans des rencontres sporadiques. J'ai perdu des journées entières sur des sites de rencontre. J'ai joué avec des drogues, qui font sauter les limites et remplacent une empathie qui n'est pas toujours au rendez-vous (et dont j'ai grand besoin).

Au cours de ces années, ça m'est arrivé de consulter des thérapeutes de tout poil, dont certains étaient très bien, humainement et professionnellement, mais leur capacité d'intervention est, à mon avis, limitée. Je voudrais changer, mais ne sais pas comment m'y prendre, et c'est clair que les mots ne suffisent pas.

Depuis l'annonce de ma séropositivité, plus de sexe, et c'est très bien ainsi. Il ne s'agit pas (ou pas seulement) d'une baisse de libido, et encore moins d'un projet de chasteté à long terme. Ça peut paraître naïf, mais j'aimerais profiter de ce tournant pour apprendre, avec le temps, à passer d'une sexualité "subie" à une sexualité "choisie" (beau détournement, hein ? ;-)

Mais j'ai aussi très peur de retourner à mes cercles vicieux dès que j'aurai pleinement encaissé la condition de séropo.

Si ces questionnements vous interpellent, n'hésitez pas à témoigner. Les réponses sont souvent collectives...

Salut et fraternité! ;-)

Commentaires

Portrait de didfie

Bonjour

J'ai 54 ans marié 4 enfants et séropo depuis juin 2013.

J'étais un addict du sexe à fond mais par plaisir.

Quand j'ai dit à un de mes amis que j'étais séropo et , compte tenu ds plans que je lui racontai , il n'a pas été surpris du résultat. Pour info il est seropo depuis 20 ans.

Les premiers mois ont été difficile et le cercle vicieux dont tu parles était aussi pour moi un risque.

Certains de mes amis gay se sont écartés de moi et  certains ont repris contact.

Je suis indétectable depuis 18 mois.

J'ai repris mes plans sex en septembre 2014 soit 1 an après.

Des plans de même teneur c'est à dire hard à plusieurs mais protégés à 100% contrairement à avant.

J'aime aussi les plans calins douche à 2 et caresses.

Cela m'a fait du bien de reprendre car je me suis rendu compte que les mecs qui voulaient finir un plan , si le plan et le mec leur plaisent , acceptent de mettre une Kpot.Et si ils n'en mettent pas je remballe.

Mais ma seropositivité m'a davantage orienté vers la qualité et le respect que la quantité.

Je ne te dis pas ça pour te pousser à recommencer mais cela dépend  de toi , de ta volonté , de ton intransigeance envers les autres sur la protection.

Je te souhaite bon courage.Bises.

Didier

Portrait de ballif

cella commence par non respect du secret médical c'est possible lorsque tout les midi vous montez dans  la mercedes du directeur de centre avec une pomotion automatique tout les ans

avant d'apprendre ma séropo je ne comprenais pas pourquoi je n'arrivais pas a être amoureux

j'ai eu enfant des jeux tout nu avec ma cousine puis ado pour voir si nous éjaculions

j'ai remarqué que j'avais une petite taille un autre un pieds de chaise et l'autre un crochet

puis le calme plat je part travailler aux pays bas et encore seul je demande ma mutation et au même instant la bonne nouvelle(1989)

je vois l'infectiologue demain pour lui montrer des plaques de croute aux mollets et aussi aux bourses(c'est interdit sur ce site)

une chose que je ne m'explique pas pourquoi ma verge c'est décidé de pendre normalement

sans parler que l'erection est terminées depuis l'arriver de la TRI

après 26 ans de sida connu je n'ai eu que des idiosies sexuelles avec des personnes non concernées

bon courage

Portrait de Antoine 1966

bonjour

j ai eux ce cas actuelement je refuse car j ai peur c est vrais que l amour est un plaisir mais je crois qu'ils faut aussi prendre du recul

bon courage

Portrait de Backonthestage

Je te trouve sincerement brillant et ceci dans les 2 sens du terme 

Portrait de Simbad75013

Merci pour vos témoignages,

et tout particulièrement à Backonthestage (j'adore les compliments ;-)

Je précise quelques questionnements:

le vih vous a-t-il fait vous intérroger sur votre sexualité?

Est-elle toujours faite de plaisir? S'est-elle usée avec le temps (et la surenchère)?

Êtes-vous satisfaits?

Portrait de sauveniere

J'ai pratiquement le même parcours de vie. Des étapes quasi identiques dans une recherche inlassable d'un absolu parfois rencontré.

Il est évident que le vih peut déstructurer une personne, ruiner des piliers de vie, ..même si la contamination a été clairement recherchée, une sorte de "courage d'avoir très peur". Des personnes vont être profondément anéanties par l'annonce de la séropositivité, la sensibilité humaine varie, tout comme l'humus où l'on pousse 

Le contexte actuel tenterait à nous faire croire que le bonheur ne peut surgir que dans une sexualité exprimée  en termes pornographiques, sans humanité, sans affects. J'ose prétendre le contraire (et pas seulement pour des personnes dont la sérologie a changé) mais lorsqu'une sorte d'autre évidence prend la place de cette sexualité qui était recherchée au prix d'un sabotage existentiel organisé.

La sexualité peut-elle s'exprimer de manière normative ? La raison a-t-elle un motif pour rechercher ce qui convient à l'un mais pas du tout à l'autre ? 

Le sociologue Alberoni exprime dans ses écrits la profondeur de "L'amour", "Du coup de foudre", de "L'amitié". Il n'est pas nécessaire  d'être séropositif pour pouvoir en quelque sorte assister à un basculement de la pensée.

La sexualité est la fibre la plus sensible de l'être humain même en 2015, s'exprime de multiples façons chez les individus et ne reste  certainement pas statique dans le temps d'une Vie. Le" Choc amoureux" est l'occasion de révolutions dans le plus profond de l'âme (je précise que je ne vis pas sur la planète Mars ou nourris exclusivement de la pensée des Pères de l'Eglise). D'autres chocs ou situations transforment les traits des plus carrapacés.

Le temps peut-il épuiser l'Amour véritable ? Le temps est-il obligatoirement un facteur d'usure en matière de sexualité humaine ? Un revirement de situation, tout comme une contamination par le vih peuvent tout à fat laisser place à d'autres concepts. "Quantité" , "Qualité"...peut importe, sauf le prix à payer pour endurer encore 30 ans cette quantité jamais inassouvie et proche du désespoir, proche de la date de péremption... 

Etais-je "heureux" lorsque je participais à des fist partys à Amsterdem, assommé par les chimies, prêt à n'importe quoi pour encore plus de plaisir ; songeant inlassablement au calendrier des plans à venir Je serais parfaitement incapable de faire machine arrière après les changements que ma réflexion m'a dictés, jusqu'à cette sorte de conviction qu'une seule personne puisse emplir mon désir.

Un cheminement avec le vih peut tout à fait aboutir à une ouverture radicalement différente. Certaines pseudo-cultures tendraient à rendre ridicules la fierté d'Aimer profondément, avec passion, ou le bonheur de vivre d'autres valeurs. 

La question fondamentale ne serait-elle pas simplement liée au vide provoqué par l'absence de qualité dans la relation ?

Les matins de solitude à la gare de Berlin, les descentes terribles après des nuits qui me donnent maintenant l'envie de fuir.

Ce sujet ne touche pas seulement quelques vétilles dans la "communication sexuelle post VIH", il m'interpelle et me rassure dans les choix qui se sont simplement imposés. Les questions fantasques ou posées nues n'ont pas leur place lorsque l'infectiologie s'impose. Un visage change avec le temps, une sexualité change avec le fil des années, un corps s'use à mesure d'aimer ou de pleurer. La fibre la plus fine de l'humain (avec la surenchère) n'a-t-elle pas ce droit à l'intelligence de penser différemment ? 

Portrait de jean-rene

Pour moi le VIH n'a rien changé à ma sexualité.

J'ai toujours utilisé la capote pour l'hétérosexualité (donc avec ma femme).

Par contre, quand, à 40 ans, j'ai décidé de vivre sexuellement mes attirances homos, j'ai abandonné la capote pour ces relations mais, au bout de 4 ans, je l'ai remise car j'en avais marre des chlamydiases. Trop tard, je venais de choper le VIH.

J'avais alors un amant et j'ai continué à faire l'amour avec lui avec capotes mais sans rien lui dire pendant 11ans. Je ne l'ai pas contaminé.

Quelques années après que ce premier amant m'ait largué, j'ai pris un autre amant. Je l'ai alors averti de ma séropositivité. Nous avons pratiqué le sexe sans pénétration, avec fellation, moi étant actif, pendant 13 ans. Mes érections n'étant plus suffisantes,  la pénétration même avec capote aurait été dangereuse pour lui.

A présent j'ai un troisième amant qui est séropo. Même type de sexualité qu'avec mon deuxième amant.

Quand je fais des extras avec des séronegs, je pratique comme avec mon deuxième amant.

Portrait de Simbad75013

Je suis touché par ta réflexion, Sauvenière. Cette recherche d'absolu (parfois, rarement, trouvé), cette espèce de boulimie qui devient un sabotage à sa propre vie... À force de multiplier les rencontres j'ai eu l'impression d'user ma sexualité. Dernièrement il n'y avait même plus cette excitation qui pousse vers l'autre, ne serait-ce qu'un moment. Tout était dans la tête: fallait juste baiser. Mais dans ces conditions, la baise ne peut être que routinière, au lieu d'explorer la vie, on se met à imiter le porno, jusqu'au l'ennui le plus profond, jusqu'au dégoût.

Il faut toujours plus pour essayer de combler une sexualitè au désir épuisé. Il y a quelque deux ans, à Londres, suite à un malentendu linguistique, je me suis retrouvé chez un mec à consommer des drogues et à baiser toute la nuit, avec une intensité que je ne retrouvais pas depuis longtemps. Superbe, étonnante et très longue nuit. Je fondais avec lui, je pouvais faire tout et n'importe quoi, car j'étais exactement là où je voulais être, entièrement libre et entièrement fait pour le plaisir.

Je n'ai jamais été attiré par des pratiques considérées extrêmes (ni même par les backrooms ou le sexe en groupe). Non, c'était exactement ça, fondre littéralement avec l'autre, ce dont j'avais besoin. Et ce soir-là, les drogues m'ont permis ce mirage. Le souci est que, évidemment, j'ai voulu reproduire l'expérience. Même si je me suis bien gardé de ne pas tomber dans l'addiction (aux substances), une fois à Paris j'ai commencé à chercher des plans "chems".

Et c'était bien triste... J'ai trouvé des mecs perdus dans leurs angoisses et dans leur solitude qui cherchaient, comme moi, une voie rapide vers l'extase (dans les meilleurs des cas) ou vers le simple oubli du quotidien (trop souvent). Des fois sans la moindre empathie, sans la moindre chaleur, on espérait que les drogues porteraient, automatiquement, ce désir tant attendu, qui nous faisait défaut.

Le vih a marqué un coup d'arrêt à tout ça, et a été en ce sens, presque salutaire pour moi. L'annonce n'a pas été facile, mais je l'ai assumée comme une conséquence prévisible de mon mode de vie. Et la possibilité de changer m'a donné une certaine sérénité.

Mais c'est difficile de changer. Comme pour toi, Sauvenière, mes évidences ont changé au fil du temps. Ça fait déjà des années que je suis conscient de répéter sans cesse des expériences qui ne me sont pas bénéfiques (pour reprendre une expression d'IMIM dans un autre fil) et que ma sexualité est "pervertie" au sens propre (c'est-à-dire, instrumentalisée). Mais ça ne suffit pas de savoir. Ça ne suffit même pas d'avoir des idées claires sur ce qu'il faudrait ou sur les principes qui devrait guider, en général, le rapport à l'autre. Je crois qu'il n'y a que les pratiques qui comptent, et il me faut réapprendre à faire et réapprendre à ressentir, concrètement.

Je n'ai pas encore ces clés et je sais que cette période d'accalmie peut finir sans réponses. Et ça m'inquiète…

Si tu as un peu de temps, parle un peu plus de ton vécu actuel, comment fais-tu vivre cette idée d'"Amour véritable" au jour le jour?

Jean-René, quelque part j'envie l'équilibre qui se dégage de ta petite histoire. On dirait que tu t'adaptes sans grande peine aux changements de la vie. Qu'est-ce que ta sexualité t'apporte ? Qu'est-ce que tu y cherches ?

Portrait de jean-rene

Non, Simbad, j'ai l'air serein comme ça parce que l'écriture d'un billet impose de mettre en ordre ses expériences, mais je ne l'ai jamais été car la sexualité a toujours été pour moi le lieu où je pouvais enfin briser le personnage que la société m'avait imposé de jouer.

Et qui dit "briser" dit prendre des risques parfois inconsidérés.

J'en veux pour preuve mon abandon de la capote lorsque j'ai enfin goûté à l'homosecualité. Jusqu'alors je l'avais toujours utilisée, soit pour me protéger dans mes relations avec des prostituées, soit pour protéger ma partenaire d'une grossesse.

Lorsque j'ai enfin décidé de vivre mon homosexualité, j'ai vécu cela comme une libération totale : j'étais enfin moi-même. L'abandon de la capote a donc été pour moi le symbole de cette libération quels qu'en soient les risques.

Par contre je suis très sensible à la narration de ton expérience fusionnelle.

Il y a en effet, pour moi, la sexualité pour le sexe, dans les backs-rooms où des corps se cherchent et où la désindividuation de la relation sexuelle lui donne, à mon avis, un sens cosmique.

Et puis il y a la relation à deux dans laquelle l'autre est bien autre chose qu'un partenaire sexuel. Il y a réellement, alors, pénétration de deux ames, fusion totale, et la relation sexuelle monte alors à un niveau où le "donner" et le "recevoir" se mèlent de façon proprement métaphysique.

C'est ce que je vis actuellement avec mon amant séropo.

Portrait de sauveniere

Mais c'est difficile de changer. Comme pour toi, Sauvenière, mes évidences ont changé au fil du temps. Ça fait déjà des années que je suis conscient de répéter sans cesse des expériences qui ne me sont pas bénéfiques (pour reprendre une expression d'IMIM dans un autre fil) et que ma sexualité est "pervertie" au sens propre (c'est-à-dire, instrumentalisée). Mais ça ne suffit pas de savoir. Ça ne suffit même pas d'avoir des idées claires sur ce qu'il faudrait ou sur les principes qui devrait guider, en général, le rapport à l'autre. Je crois qu'il n'y a que les pratiques qui comptent, et il me faut réapprendre à faire et réapprendre à ressentir, concrètement.

Je n'ai pas encore ces clés et je sais que cette période d'accalmie peut finir sans réponses. Et ça m'inquiète…

Si tu as un peu de temps, parle un peu plus de ton vécu actuel, comment fais-tu vivre cette idée d'"Amour véritable" au jour le jour?

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------En te lisant, je ne peux faire qu'un constat : ton vécu est très proche du mien, pour ne pas dire identique au mien.Lorsqu'on en vient à la douloureuse conclusion qu'on vit une vie qui n'est en rien bénéfique, où seules les pratiques comptent...Tout le monde n'arrive pas à des conclusions semblables, elles sont l'aboutissement de beaucoup de souffrance, où le corps a été mis à rude épreuve (déjà simplement avec les chimies), où le mental arrive au fond (comme s'il fallait simplement remonter à la surface, comme si une alarme rouge venait de sonner)Il est extrêmement difficile de changer, même en ayant clairement posé par écrit de si dramatiques conclusions. Un corps malmené et un esprit brisé qui foncent dans un mur ont encore beaucoup de ressources pourtant, une sorte d'instinct de survie pour justement parvenir à donner un sens à toute une histoire. Un moment vient où une décision s'impose En clair, mon corps m'avertissait par exemple que la prise d'un traitement antiviral n'était pas compatible avec la prise de chimies. Combien de fois n'ai-je pas assisté aux fameuses "descentes", où tel ou tel partenaire se retrouvait quasi inconscient, où tel ou tel vômissait à n'en plus finir Combien de fois n'ai-je pas entendu des personnes se lamenter d'une vie vide de sens. Je me sentais et me sens différent, pourquoi persévérer dans une voie qui ne me ressemble pas, dans une voie où je souffre dans tous les sens du terme (une voie tellement bien organisée qui semble la clé du "bonheur" ). Quelles sont les clés pour sortir d'un cercle infernal ? Ces clés se présentées à moi comme des évidences J'ai évité toutes les situations que je ne voulais plus endurer simplement parce qu'il s'agit bien d'endurance, j'ai coupé ce fil assez rapidementQuelques fausses notes ont confirmé mes choix.Depuis mes 2O ans, j'ai connu successivement des amis très bien qui sont arrivés dans ma vie à des moments assez précis.Je ne vis pas en ville mais à la campagne, c'est un paramètre important pour moi, l'agitation n'est pas pour moi, je fuis très vite ce qui n'est pas "authentique". Juger l'autre au nom d'une "pseudo culture gay" m'a semblé parfaitement ridicule, même si je suis toujours parvenu a trouver mes amis dans ce milieu d'où je me suis retiré.Je souris parce que ce changement de vie laisse beaucoup de temps ...où je me suis étonné moi-même. J'ai simplement perçu qu'un ami véritable est bien plus important que les exploits sexuels que je m'imposais, le registre n'est pas le même, le temps n'a pas la même vitesse...Je trouve un équilibre qui correspond à ma personnalité que je ne peux changer en vivant plus en accord avec moi-même. Si Tu ne détiens pas les clés, tu n'es pas loin de les trouver, elles sont là, pas loin de Toi.Je ne te connais pas mais il me semble te connaître car nos 2 vécus sont proches, et que ton expression me touche suffisamment que pour te répondre en parfaite honnêteté.

Portrait de Simbad75013

On le sait bien, et pourtant ça me surprend à chaque fois de constater que dans nos sexualités nous mettons tout ce que nous sommes, nos désirs comme nos peurs. Mais il reste difficile d'en parler parce qu'on n'ose pas, parce que les mots à notre disposition sont souvent galvaudés, parce qu'il est difficile de rompre avec la platitude des versions officielles. Ça arrive aussi avec d'autres grands "piliers", comme la famille et le couple. Mais, en sexualité, on est passé en 60 ans de la répression à la sacralisation, et le contraste entre les idées et les vécus est peut-être de ce fait encore plus frappant.

Dans ton récit, Jean-René, il semblerait qu'avec le temps tu aies réussi à être plus à l'aise avec ta vie et avec ta sexualité sans trop casser la baraque, c'est pour ça que je parlais d'équilibre. Tu sembles avoir résolu le conflit hétérosexualité-homosexualité par les faits (peut-être pas dans les idées) dans tes relations, mariage et hors-mariage. Et même aussi la tension entre consommation primaire (les backrooms) et partage d'expérience (ton deuxième amant).

C'est cette dernière question qui m'interroge le plus, ce qui s'y passe vraiment dans le sexe, ce qu'on cherche et ce qu'on trouve. Personnellement, je ne parlerais pas de métaphysique. J'ai toujours dissocié le sexuel du sentimental (à ce qu'il semble, en raison d'un mauvais apprentissage des deux…). La fusion pour moi est le fait d'être totalement en phase avec quelqu'un, sans peurs ni contraintes, mais sans projections d'avenir non plus, le temps d'une rencontre. J'ai eu la chance de vivre ce genre d'expériences, des fois avec des hommes avec qui il n'y avait aucune complicité dans d'autres domaines (l'humour, les idées, les envies…), mais nos corps ont inventé intuitivement leur propre langue, et ils se sont tout dit. Ils sont tellement magiques, tellement puissants, ces moments…

Beaucoup de personnes diront que la confiance se construit et que c'est dans une relation suivie qu'on a plus de chances de retrouver ce lâcher-prise total qu'exige la fusion avec l'autre. Elles ont certainement raison, ces personnes. Mais mon expérience ne me l'a pas encore prouvé. Et j'ai le défaut d'être un incroyant; j'ai un espoir immense mais pas de foi du tout. Je n'arrive pas à croire entièrement aux couples et aux familles; la plupart du temps j'ai l'impression que ce sont de buées de sauvetage, et que les personnes restent plus ou moins perdues à l'intérieur et projettent vers l'extérieur une version officielle des choses plus ou moins convenue.

En fait, dans la sexualité ou ailleurs, je pense que c'est la complicité que je cherche par dessus tout. Il y a longtemps, dans un train, quand il y avait encore des compartiments et que les gens osaient encore se parler, je me rappelle avoir lié conversation avec une inconnue. C'est étonnant comment une connexion si intense peut s'établir en si peu de temps. Rien de sexuel, mais une attention pleine à l'autre. Ça fusait et on avait tellement de choses à se dire… Elle est descendue dans une ville et au moment des adieux on a eu un geste maladroit et, puis, allé, on s'est fait la bise alors qu'on ne s'était même pas présentés. Peu de chances que je passe par sa ville et peu de chances quelle vienne dans la mienne. On s'est si bien compris qu'on n'a même pas fait le geste d'échanger les numéros de téléphone.

Bien sûr, il y a aussi les affects cuits à feu doux, les amitiés résistantes, et c'est merveilleux (je ne survivrais pas sans). La complicité a toutes ces formes et bien plus, mais les étiquettes (famille, couple…) ne servent qu'à donner une fausse image de stabilité à ce qui est nécessairement mouvant…

Et en parlant de complicités, justement, Sauvenière, ville ou campagne ? Je me suis aussi posé la question. J'aime la ville, mais elle m'agresse. Je crois aimer la campagne, mais je la connais si peu… Je médite, mais je crois que je ne serai jamais un méditant. L'impur, le bruit, la contradiction sont là pour quelque chose. Et en plus, dans l'idéal, j'aimerais retrouver des complicités diverses et fluides. Ça fait cliché, mais on vit dans un temps (et, particulièrement, dans un pays) ou tout le monde semble avoir peur de tout le monde et considérer l'indifférence comme l'attitude la moins déshonorante. On est trop sur ses gardes. Là aussi, il faudrait lâcher prise, mais comment ?

Je ne sais pas quelles réponses on va trouver pour nos sexualités et pour nos vies. Il est tentant, cet accord avec toi que tu as trouvé à la campagne. J'ai tendance à désirer un accord aussi avec les autres, tout fragile et imparfait qu'il puisse être.

Aïe, je m'écarte un peu du sujet, non?

Portrait de sauveniere

Mes réponses peuvent sembler très théoriques, j'ose parler de tout et n'ai pas souvent cette pudeur de ne pas oser dire, j'aime exprimer et dire ce que je vis. La communication humaine avec tous ses artifices pose des problèmes à tel point qu'on l'enseigne maintenant dans les universités, l'humain est pourtant fait pour communiquer ; les vocations à la solitude prolongée sont rares, la solitude prolongée n'est pas bénéfique si elle n'est pas voulue. Il faut pouvoir aussi s'exprimer de la juste façon lorsqu'on est séropositif, avec lucidité. Rechercher ce qu'il y a de mieux me semble très sain, le lâcher prise est facile, il suffit de se concentrer sur l'essentiel de ce qu'on désire et de ne pas prêter attention au reste. Les psychologues ont des théories très en vogue, les personnes peuvent s'y engager une vie entière sans être certain d'un résultat.

J'ai lu tes posts récents. Ta séropositivité est récente, la mienne date de 1996. Ma façon de voir et de percevoir les choses a subi des évolutions, au fil des années, au fil des différents traitements. Certaines personnes parviennent à vivre leur séropositivité sans soucis (du moins c'est ce qu'elles disent). Pour moi, c'est un peu différent peut-être parce que je connais bien tout ce qui est médical (les patients médicaux et paramédicaux sont différents en ce sens qu'ils ne se contentent pas de prendre un traitement à la légère. Ils cherchent, se documentent, vont faire des démarches auprès de spécialistes du comportement, et cherchent la petite bête partout). C'est tout sauf simple ; bah, c'est complexe un être humain.

Le VIH est la conséquence directe de mes comportements hautement à risques, c'est d'ailleurs la façon dont mon médecin me l'a annoncé, sans mettre de gants. Je n'ai pas modifié ces comportements après l'annonce de ma séropositivité, ce n'est que lentement que je suis parvenu à une prise de conscience. Il n'était plus nécessaire de rajouter des éléments dangereux à ma vie déjà désordonnée. Par exemple, je suis devenu beaucoup plus soucieux de mon hygiène de vie et très soucieux de ne pas compliquer mon traitement (en ajoutant une hépatite C ou une ist à ce vih). En parlant un peu, il ne fallait pas être grand clerc pour voir les complications d'un traitement chez un patient qui risque sa peau chaque soir, c'est alors que l'infectiologue se met à devoir jongler avec les molécules.

Pendant une longue période, je me suis identifié de façon consciente à une personne qui vit le vih en ayant de multiples partenaires, en multipliant les nuits blanches, en trompant mes amis successifs (des personnes très intéressantes qui m'ont apporté d'autres choses) et en travaillant dans des services médicaux de pointe. En fait, je ne rendais de compte à personne, et ce "personne" me le rendait bien !

Voir beaucoup de "malades", voir "la mort au quotidien" m'a hautement sensibilisé à ma propre maladie, c'est une certitude. Surtout dans les années 90 où l'on ne connaissait pas le HIV et où l'on soignait des séropositifs en fin de vie sans rien pouvoir faire. C'est simple, je ne parvenais plus à m'occuper de ce type de patients.

Après, je continuais ma vie nocturne non sans réfléchir de plus en plus...A quoi ? Au prix à payer pour rester dans la norme et ne pas tomber, à ce que m'ont apporté mes différents amis fixes (le rêve, la passion, le respect, la convivialité, l'amour, ...). Le bonheur n'est pas une succession de concept théoriques compliqués, je ne l'ai pas non plus trouvé dans une vie directement associée à une sexualité à risques avec des inconnus avec qui je n'avais pas de "relation" digne de ce nom. Il m'est difficile de séparer sentiments et sexe à présent, j'ai envie d'écrire que ce fut toujours le cas simplement parce que certaines personnes sont "généreuses de nature", je ris. Un être est construit et ne sépare pas chacun de ses systèmes comme les traités de physiologie. N'est-il pas simplement normal de chercher un être avec lequel la complicité est facile et vraie ? C'est une recherche de tout temps. C'est profondément humain, et peu importe la façon d'y parvenir, je pense qu'il n'y a pas d'endroit, ni de recette pour trouver ce que l'on recherche.

Lorsqu'on a déprogrammé le système (comme tu dis dans un de tes posts), le champ de vision change et pas forcément en mal.

Comment vivre autrement ? Tout comme je cherchais l'Absolu dans des endroits lugubres, je vis maintenant dans un concret bien plus proche de mon identité. Il faut être fort pour résister en terrain glissant, être accompagné par des personnes bienveillantes et ouvertes, limpides et généreuses. Un port d'attache renforce la stabilité ; il ne s'agit pas de prendre de "bonnes résolutions", c'est vraiment aux antipodes de ce que je veux exprimer. 

D'autres ne veulent pas vivre autrement, d'autres veulent changer mais s'y prennent mal, d'autres ne se posent pas de questions et ne s'en trouvent pas plus mal (c'est très individuel, très personnel).

Mon accord avec la campagne est essentiel, oui. En écrivant, j'entends les oiseaux. Il n'y a pas encore si longtemps je préférais Berlin à ma campagne, à présent, je marche facilement 42 km.  La Foi est essentielle dans une vie même si elle est fragile, c'est lorsqu'on tombe que cette foi est utile et aide à se relever. Personne n'a ce droit de qualifier de bonne ou mauvaise la vie intérieure d'un être lorsdqu'il médite ou pense avec honnêteté Ta sensibilité me frappe parce qu'elle resemble à la mienne, les clichés ont la seule valeur qu'on leur donne ! Ces clichés ne tiennent pas à l'usure...

Non, tu ne t'écartres pas du sujet.

Portrait de Simbad75013

C'est vrai que ma contamination est récente, et que pour l'instant il n'y a pas vraiment de complications dignes de ce nom. Elles viendront peut-être, j'essaie de ne pas me poser ces questions maintenant. Il me semble (et je suis sûr que tu me comprends) plus urgent de me concentrer sur mes vrais problèmes (mon mode de vie, la répétition systématique de comportements nuisibles, par exemple).

Quant à la foi… c'est vrai qu'elle peut être extrêmement efficace. Même les succès de certains groupes comme les alcooliques anonymes reposent en partie dans leur ancrage dans une sorte de "puissance supérieure", que chacun définit à sa manière. En plus, de nos jours il y a nombre de fois disponibles (religieuses, spirituelles, politiques, diététiques… et même purement individuelles, la fameuse "foi en soi"). C'est une sorte de puissance en soi, la foi.

Mais quand je dis que je ne l'ai pas, je crois être assez proche des faits:  je n'ai jamais su répondre à cette injonction (aie foi!). Cela a été un frein (une insécurité pathologique, malgré l'arrogance dont je peux faire preuve dans mes propos) mais aussi une chance. En doutant, j'ai pu changer. Car j'ai déjà changé et, en ce sens, vérifié concrètement que le changement était possible. C'est ça qui me donne espoir, un outil bien plus modeste que la foi, mais bon…

Je constate, oui, qu'on a tous deux tendance à glisser vers le théorique [pour ceux qui liraient ceci et qui trouveraient le procédé saoulant, s'il vous plaît: ne le dites pas! On le sait, on le sait bien… ;-)].  Est-ce que je peux te demander des détails concrets de ta vie ? Tu vis seul ou accompagné? intégré dans un village ou en maison isolée ? Comment vis-tu ta sexualité actuellement ? Qu'est-ce que tu y trouves concrètement ?

Pas besoin de te justifier si la réponse est non (moi le premier, j'ai du mal à mettre ces choses sur la place publique). En même temps, les témoignages directs et honnêtes m'ont souvent permis de comprendre beaucoup de choses, chez moi et chez les autres.

Portrait de sauveniere

Tu exprimes bien ta pensée, elle est limpide et agréable à lire. J'ai envie de dire que ton sujet demande beaucoup de théorie , de vécu, et de clairvoyance pour te répondre loyalement. Il faut connaître les ambiances dont tu parles, les sujets qu'on y rencontre, le HIV, la sensibilité qui est la tienne (et la mienne).

Honnêtement, je ne perçois pas bien "les problèmes "mais je vois évidemment de quoi tu parles. Il ne faut pas trop se frotter aux complications en infectiologie (tu sembles les connaître). En ce moment, les hépatites C explosent, les ist sont fréquentes..avis aux amateurs, nous n'en sommes qu'à l'apéritif des réjouissances. 

Au départ d'un traitement, il faut être conscient. Ce n'est pas à banaliser. Personnellement, c'est un ami séropositif de longue date qui m'a profondément rassuré et expliqué(toujours avec brio et empathie, ça collait bien). 

Avoir foi en soi est déjà pas mal, croire en soi, croire aux autres...puis le cercle s'élargit. Si des changements se sont produits pour Toi, pourquoi t'inquiéter. Tu me donnes l'impression d'être trop sévère avec Toi. 

Je ne me suis jamais trop mis dans la tête des autres (penser pour les autres). A tous les coups, on se trompe :)

Les détails d'une vie ne s'exposent pas sur la place mais peuvent s'échanger via des messages :) ; tes posts sont structurés et se terminent toujours par des questions plus précises. C'est intéressant.Cool