L’auras, l’auras pas ?

Publié par Maripic le 21.12.2009
897 lectures
Notez l'article : 
0
 
“Et il faudra certainement vous vacciner contre LA ou LES grippes, bien sûr... à moins que vous l’attrapiez maintenant, ha ha, ce qui résoudrait le problème !” “Ha ha, en effet, ce serait une bonne chose de faite !”

Voilà le dernier dialogue entre mon médecin et moi lorsqu’il me raccompagne au sortir de la consultation et que nous nous serrons vigoureusement la main. Tout va bien, le bilan est bon, je suis contente et lui aussi. Légère, je marche dans les rues de cette fin d’été, la vie est belle. Je pense à ses derniers propos, dits sur le ton de la plaisanterie. C’est rigolo, cette idée, attraper la grippe aux beaux jours, maintenant qu’elle n’a pas l’air trop méchante et que je suis en forme, pas bête du tout, séduisante même... Mais pas de voyage en vue, j’ai déjà pris mes vacances, alors c’est pas pour moi me dis-je et je n’y pense plus. Quelques jours après, au boulot, c’est la fin de la semaine et nous échangeons les rituels “bon-week-end-à-lundi” quand un collègue lance, goguenard : “Et est-ce que quelqu’un va à une flu-party ?” Une partie de flou, c’est quoi ça, un jeu ? On m’explique. Les “swine-flu-parties” ou “fêtes de la grippe porcine”, c’est le dernier truc en vogue chez les Anglo-saxons, sur le modèle des “chickenpox-parties” (ou fêtes de la varicelle) pratiquées avant le vaccin (ou après par les anti-vaccins) par des parents désireux de se débarrasser de cette maladie chez leur progéniture. Un gamin a la varicelle ? Aubaine, vite un goûter d’enfants, on y mêle contagieux et bien portants, et si ça marche comme escompté, hop tout le monde est malade en même temps, c’est fait et on n'en parle plus ! Là, même principe : on se réunit à plusieurs autour d’une ou plusieurs personnes déjà infectées par le virus A (H1N1) donc contagieuses, on fait la fête, l’élu tousse sur tout le monde, on boit tous dans son verre et qu’est-ce qu’on rigole. Le but ? S’infecter (donc s’immuniser) avec le virus à un moment où celui-ci ne semble pas (encore ?) dangereux. Oui, on tombe malade, mais pas grave hein, sinon on ferait pas ! Simplissime et irresponsable, car on participe à la dissémination du virus en s’infectant d’abord soi-même et aussi à coup sûr une partie de son entourage. Une contamination volontaire pour une “vaccination” dite “naturelle” ?
Au 18e siècle déjà, il y avait un peu cette démarche (le terme de “vaccination” n’existait pas encore) en bien plus hardos, genre roulette russe car ça passait (souvent) ou ça cassait (souvent aussi) : on inoculait la variole (avec du pus pris sur les pustules d’un enfant du peuple infecté mais pas trop gravement) vers l’âge de 10 ans aux enfants biens nés mais qui n’avaient pas attrapé la “petite vérole” en bas âge, ce qui les aurait immunisés, et dont la survie avait suffisamment d’importance pour prendre ce risque bien réel. Geste médical considéré alors comme progressiste et pratiqué par les chirurgiens (médecins de l’époque) dans les hautes sphères de la société, jusqu’à la famille royale. Méfions-nous de ce qu’on vénère comme “naturel”, terme hélas devenu fourre-tout et porte ouverte à bien des dérives monstrueuses et intégristes ! Je repense aux mots de mon médecin, dits en l’air comme ça, mais de là à organiser la chose et de cette façon... malaise ! Internet, les médias se relayent, s’emballent, en deux jours on ne parle plus que de ça. Même les très sérieux centres des maladies américains, les CDC, communiquent dessus, pour essayer d’enrayer cette fausse bonne idée. Et puis soudain pffuiit la baudruche se dégonfle, ce serait un canular, une information non vérifiée partie en vrille dans les voraces médias tous confondus tous coupables même les plus réputés ! Ah. Bon. Et on fait quoi maintenant ? On réfléchit. Il semblerait que l’imprévisible soit devenu inconcevable dans notre monde occidental si cartésien, où tout est catégorié-ciblé-planifié-formaté-sécurisé-assuré contre tout et n’importe quoi. Une petite case pour chaque chose et si ça dépasse, bonjour l’affolement, on est perdu !


Toute contamination volontaire résulte d’une grande détresse, d’un désespoir sans fond. Nos pauvres soldats poilus de 14-18 avaient organisé un trafic de pansements souillés par la gangrène pour s’auto-infecter, tablant sur l’amputation quasi-certaine donc la réforme, car tout sauf l’horreur des tranchées, même si des chirurgiens militaires soupçonneux et zélés pouvaient les confondre et les envoyer en plus au peloton d’exécution, fusillés comme déserteurs. Il paraît que cela se répète dans toutes les guerres. On comprend. Plus près de nous, au tout début de l’épidémie de VIH : Cuba avait décidé de parquer les malades (je rappelle qu’il n’y avait AUCUN traitement) dans des sortes de “sidatoriums”
fermés, pensant ainsi limiter le désastre. Les pensionnaires y seraient nourris en plus d’y être logés, détail immense ! Combien de jeunes Cubains affamés se sont alors contaminés volontairement, appâtés par le gîte et surtout le couvert, se disant dans leur naïf désespoir, car ils survivaient au jour le jour, que le temps que le remède/vaccin soit trouvé ils auraient mangé à leur faim ?


Et cette histoire, il y a une douzaine d’années, que je n’oublierai jamais : à l’accueil d’une association, un jeune homme très mince, très fatigué vient chercher son courrier domicilié, ouvre et parcourt une lettre, et se met à pleurer. M’approchant, je reconnais sur
l’enveloppe le nom d’un labo que nous connaissons tous. Aïe, une contamination ? Je peine à le comprendre, il est secoué de sanglots et parle mal français. Je commence à sortir mon artillerie de mots qui se veulent consolants. Il m’interrompt, me tend le papier :
“Lis !” C‘est bien un test VIH, mais c’est écrit “négatif”, je ne comprends pas et le montre. Alors il explose : Oui c’est négatif ! Et c’est dramatique ! Car il va être expulsé ! Et son pays, c’est l’Algérie ! Et si il y retourne il va être tué ! Car il est travesti ! Et il se prostitue ! Et en Algérie les gens comme lui n’ont pas le droit d’exister, on les tue. Il me raconte qu’il fait tout, mais alors TOUT pour se faire contaminer, et qu’il n’y arrive pas, que le test est toujours négatif... et qu’il est désespéré. Pour lui, VIH = vie, car titre de séjour pour soins en France. Accablée, je me suis dit que le monde marchait sur la tête.
Et la grippe dans tout ça ? Ah oui. Ben on verra. Si on est vaccinés ou non. Si c’est la pandémie-cata ou pas. Un grand médecin visionnaire avait prédit au siècle dernier : “Le 21e siècle sera le siècle des virus.” On en sait quelque chose, non ? Mondialisation des échanges multiples et toujours plus rapides, réchauffement climatique bousculant les fragiles équilibres de notre planète et j’en passe, cela fait des niches pour toutes ces petites bêtes. Va-t-il falloir apprendre à vivre avec ? Nous on le fait déjà, avec notre virus CONTAMINANT alors que celui de la grippe est CONTAGIEUX, grande différence. A fortiori quand il s’agit de contagion, on ne peut rester à l’échelle individuelle, on pense collectif. Attraper le virus de la grippe A volontairement, c’est accélérer et augmenter la dynamique d’expansion de la maladie, et faire prendre des risques à son entourage. Se protéger (une fois malade ou pas), c’est protéger aussi les autres, proches, voisins, vulnérables ou non. A quelle sauce grippale serons-nous assaisonnés ? Quand ces lignes seront lues, on le saura.”
Illustration : Jacqueline L'Hénaff