La perte d'une île

Publié par Ferdy le 21.12.2011
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Quoique déjà illégale, mais largement tolérée, une résidence à l'année dans un camping, a priori ce n'est pas la destination rêvée.
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Or, une proposition de loi adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale (16 novembre 2011), obligerait les gérants à signaler auprès des autorités municipales leurs hôtes à demeure, au prétexte de vagues mesures de précaution et d'hygiène assorties d'une tentante petite rentrée fiscale.

Les députés UMP ont eu cette inspiration soudaine, en pleine débandade économique, sur fond de crise et de chômage accru pour s'en prendre à ce mode d'habitat économique et précaire.

Selon ses auteurs, le risque de sédentarisation sur un lieu de loisir va à l'encontre du principe de loisir. En d'autres termes, même si votre choix aurait été de vivre en caravane ou en mobile home, ceci serait contraire à un autre choix que l'on aurait fait pour vous. Car si tout le monde ne rêve pas de vivre dans un 2 pièces étriqué et ruineux, ce ne doit pas être une raison pour inciter la piétaille à occuper durablement les espaces réservés aux loisirs.

Le locataire d'un espace en camping devrait, selon cette loi qui n'a pas encore été examinée par le Sénat, produire un justificatif de sa résidence principale s'il compte s'y installer pour une durée supérieure à trois mois. Entre 70.000 et 120.000 personnes en France seraient ainsi concernées. Pour Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre, "ce renforcement de la législation est inquiétant car cet habitat alternatif, qui est loin d'être idéal, est néanmoins un des amortisseurs de la crise du logement. Cette proposition de loi est un arsenal supplémentaire qui permettra aux pouvoirs publics d'intervenir plus vite et par exemple accélérer des procédures d'expulsion". (1)

Qu'il soit nécessaire, en ce début du XXIe s., de légiférer à propos de l'installation d'une caravane, d'un mobile home, d'une yourte ou d'un tipi, lorsque le droit au logement n'a jamais été appliqué et tandis que le nombre de sans-abri ne cesse d'augmenter, cette dernière trouvaille parlementaire a quelque chose de profondément indigeste.

Aussi, je repensais avec tendresse à notre aimable et généreuse shampouineuse de Neuilly. Cette pauvre dame a fait l'acquisition d'une île aux Seychelles, mais ne se souvient plus du coffre dans lequel elle aurait pu ranger son titre de propriété. La planète a toujours été pour Mme B. une aire d'attractions, une sorte de Monopoly où il était amusant de s'offrir une île, un quartier de Neuilly ou un penthouse à Manhattan. Elle mettait un peu de sous de côté chaque mois au Luxembourg, en Suisse, et dans de nombreux paradis terrestres. Son île d'Arros, qu'elle n'apercevait qu'une à deux fois par an à travers les hublots de son jet, c'était sa petite lucarne sur le monde simple, les barbecues entre amis, les bains dans sa piscine chauffée, marcher un peu sur la dune... Loin de sa méchante fille jalouse, des cabinets d'avocats et des interminables conseils d'administration. En pyjama, elle se sentait enfin chez elle. Par un curieux tour de passe-passe orchestré par ses hommes d'affaires et ses gigolos, le titre de propriété s'est volatilisé, et voilà notre pauvre vieille milliardaire sans domicile fiscal aux Seychelles.

La perle d'une île

 Plus sérieusement, je ne saurai terminer cette rubrique insulaire sans manifester mon émotion face à la disparition de Cesaria Evora (17 décembre). Je m'aperçois que je l'avais un peu négligée depuis quelques années, comme si ses couplets chaloupés m'étaient déjà si connus ou plutôt, comme s'ils étaient trop intimement liés aux tristes souvenirs des années 90. Par cette voix si particulière, cette grande dame qui passa l'essentiel de son existence dans la misère, était parvenue à faire entrer le Cap-Vert, cet archipel méconnu dérivant au large du Sénégal, au cœur même de l'univers musical planétaire, mêlant tourbillons malgaches, rythmes cubains, blues caraïbe et la morna dans une insolente tristesse entêtante.

Cesaria Evora avait affirmé que lorsqu'elle a rencontré le succès international, il était déjà trop tard. Elle n'en fut ni particulièrement malheureuse, ni flattée. Cela ne l'empêcha pas de continuer à draguer tous les beaux garçons qui traînaient autour d'elle.

La diva aux pieds nus avait fait de son île une roulotte.

(1) Le Monde, Catherine Rollot (18/12/11).