La solitude, cet arbre sans fruits

Publié par Ferdy le 11.01.2012
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La proportion de personnes résidant seules dans leur logement a augmenté régulièrement depuis cinquante ans, passant en moyenne de 6% en 1962 à 14% en 2007. Près de 9 millions d'individus seraient ainsi concernés, soit une personne sur sept. C'est ce que nous révèle le dernier bulletin mensuel de l'Institut national d'études démographiques (INED).
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Sois sage ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille.
 
Charles Baudelaire.


Je sais, ce n'est pas drôle de commencer l'année par un constat aussi peu réjouissant. D'autant que depuis le dernier recensement (2007), le phénomène n'a fait que s'accentuer. Comme on pouvait s'en douter, ce sont les femmes qui arrivent en tête de ce palmarès (16,2%), tandis qu'elles ne représentaient que 8,2% de la population en 1962. Les hommes, plus prompts à s'en plaindre sur ce site comme ailleurs, ont triplé en quarante-cinq ans leur aptitude à passer l'aspirateur, faire les courses, garnir leurs placards et leurs réfrigérateurs à leur seul usage (passant de 4,0% à 12%). Je vous laisserai apprécier dans le détail les statistiques qui accompagnent froidement cette étude.

L'INSEE, à l'origine de l'enquête, n'étant pas habilité à appréhender les orientations sexuelles des personnes recensées n'aura pas eu à évaluer la mutation - pourtant essentielle - qui aurait pu contribuer à ce nouvel état des lieux.

N'empêche, la solitude nous guette. Il suffit de feuilleter les catalogues des grandes enseignes d'ameublement pour comprendre que la cellule individuelle, recroquevillée dans un espace de plus en plus restreint, triomphe désormais sans panache. Tout y est calculé pour permettre d'inclure, dans une superficie étriquée, un mobilier offrant parmi ses multiples avantages supposés celui de pouvoir déplier exceptionnellement un lit discret pour deux personnes, j'oserai dire aussi à  titre expérimental et sans engagement. Les jeunes adultes, tous genres confondus, n'aspirent plus tant à meubler leur espace pour le partager que de recevoir occasionnellement un(e) partenaire qui saura très bien se débrouiller seul avec la machine à café située à portée de main. Tout, dans ce nouveau logement, sera facilement accessible au premier inconnu de passage. Les mêmes placards dans lesquels on puisera les mêmes céréales, les mêmes dosettes, les mêmes insouciances avec, accessoirement, un bloc de post-it près de la sortie destiné à recevoir un numéro de téléphone improbable.

Il est devenu tellement plus facile d'édifier durablement sa solitude, plutôt que de tenter de construire quoi que ce soit avec un(e) partenaire qui n'aura pas su répondre à nos critères. Trop grand, trop maigre, trop corpulent, trop bavard ou silencieux, pas assez disponible, fumeur de surcroît ou presque alcoolique, chômeur et dépressif, une seule nuit aura suffi à satisfaire un fantasme sans parvenir à s'accrocher, même provisoirement, à cet être idéal et charmant dont on a déjà oublié le prénom avant même que la porte se soit refermée derrière lui (ou elle).

"Mon enfant est mort hier – c'était aussi ton enfant. C'était aussi ton enfant, ô mon bien-aimé, l'enfant d'une de ces trois nuits, je te le jure, et l'on ne ment pas dans l'ombre de la mort". C'est, en substance, ce que déclare l'auteure de cette Lettre d'une inconnue, de Stefan Zweig (1881-1942). C'est aussi ce que souligne Elsa Zylberstein, dans cette belle préface à la nouvelle traduction parue chez Stock d'une œuvre à pleurer de chagrin : "Cet homme qui ne la reconnaît jamais et qui la baise et la rebaise plusieurs fois sa vie durant, sans ne jamais la reconnaître".

Me serais-je ainsi, bien involontairement, éloigné du sujet initial pour rappeler que l'amour n'est pas une marchandise offerte à nos désirs, mais un engagement qui peut aussi se vivre et s'épanouir à distance et dans des lieux distincts.

Le corrélat direct de la solitude aujourd'hui se trouve être bien sûr la précarité, l'exclusion involontaire ; pas facile en effet d'avoir une vie sociale quand on vit sous le seuil de pauvreté où prospère le sentiment d'abandon. La peur de l'isolement qui en est l'aboutissement paroxystique ne saurait être compensé par l'internet, un outil encore rare parmi des populations en voie de paupérisation.

Avant de conclure cette triste chronique, il me paraît utile ou honnête de reconnaître qu'elle n'aura fait que survoler un sujet qui mériterait un développement plus approfondi, nourri de vos expériences, de vos témoignages et de vos réflexions.

Commentaires

Portrait de frabro

Et lui souhaite une bonne année pleine de turbullences suscitant des débats aussi vifs que passionnés.

Clin d'oeil

Je reviendrai sur le sujet de celle-ci, qui mérite que j'y réfléchisse et que je tourne sept fois mes doigts sur le clavier !

Portrait de romainparis

La solitude est aussi afférente à l'appartenance de sa classe sociale, classes sociales bien compartimentées pour qu'elle ne se croisent généralement que si la plus pauvre vienne travailler pour la plus riche, tout en faisant croire à celle du bas, à travers quelques exceptions qui ne font pas la règle, à l'Américan dream. Trop rêver n'est pas un défaut en soi, puisque que si tu veux atteindre le haut de la dune, vise la lune. Mais, parfois, souvent, la lune est hors de portée et savoir l'admettre est preuve de sagesse.

Oups, pas certain d'avoir été clair sur ce coup-là -:)

Portrait de filigrane

Tu réussis encore à croquer l'esprit du temps. J'aime bien ta petite chronique mélancolique et distanciée. 
Portrait de frabro

En cet instant ou je refait des projets à deux, il m'est aussi nécessaire de me pencher sur le passé et d'en tirer quelques orientations sur ce sujet de la solitude vécue, choisie ou imposée, moindre mal ou contrainte insupportable.

J'ai quitté le cocon familial à 18 ans, j'en ai aujourd'hui 57. Sur ces presques quarante années, je ne compte que 5 années (et encore en comptant large !) de vie commune avec l'un de mes partenaires. J'ai donc vécu seul ( au sens du logement en tous cas) 35 ans.  Pourtant, je n'ai pas l'impression d'avoir souffert de solitude au sens où la décrit Ferdy, comme une absence de lien social, un enfermement dans sa misère affective, un repli sur une vie étriquée par la force des choses.

 Toute mon histoire est faite de recherche de vie sociale, malgré les coups du sort, les retournements de situation, les périodes de deuil, celles de vaches maigres. J'ai toujours essayé de maintenir un équilibre entre la préservation de mon espace privé et le  partage avec les autres de mes vies professionnelles, militantes, culturelles, affectives, voir amoureuses.

 Le modèle imposé (le couple, les enfants etc...) a implosé dans nos sociétés modernes. Ce que nous impose la séropositivité nous incite à réfléchir  à cet indispensable et impérieuse obligation : "inventer la vie qui va avec".

 Ce qui me parait le plus important aujourd'hui est cet équilibre  entre le "soi" et le "partage", dans le respect de moi-même comme dans celui de l'Autre et des autres.

François