Le Baclofène et moi

Publié par Denis Mechali le 14.11.2012
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"J’ai parfois, des coups de cœur, des "coups de foudre de la conviction"…
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Mais, étant, par ailleurs, esprit plutôt rationnel et plutôt méfiant, je me teste moi-même en voyant, au fil du temps, ce que devient l’objet de mon coup de cœur…

Je suis ainsi assez féru de musique classique, et parfois, je repère un ou une jeune artiste encore peu connu, au concert ou à la radio, qui m’enthousiasme. Je garde souvent cela pour moi, un peu solitairement. Mais je ne suis pas peu fier si, progressivement, l’élu-e de mon cœur se fait connaître et reconnaître, devient artiste connu et reconnu…

En médecine, je suis plutôt du genre prudent et méfiant. Je m’emballe rarement pour une nouveauté, un progrès, et je sais être plus volontiers, plus souvent, du style "vieux grincheux", attendant confirmation, ou au contraire redescente de l’enthousiasme par mise en évidence d’effets secondaires venant contrebalancer l’efficacité, ou l’efficacité limitée ou transitoire… Et pourtant, je me souviens avoir eu ainsi un "coup de cœur de la conviction", à la lecture, en 2008, de l’article du cardiologue Olivier Ameisen, qui expliquait comment un vieux médicament, le Baclofène avait été merveilleusement efficace pour contrôler sa propre dépendance alcoolique, et d’expliquer pourquoi il fallait s’intéresser à cette molécule. Du coup, je me suis mis à suivre l’affaire. Toujours pas réglée, même si les arguments des utilisateurs convaincus et convaincants, mais aussi des scientifiques prescripteurs deviennent de plus en plus forts et nombreux ; au point de faire parler à certains, en ce moment, de "prochain scandale sanitaire" si on tardait trop à reconnaître une évidence d’efficacité et à en priver trop de bénéficiaires potentiels.

Il y avait plusieurs raisons à mon sentiment instantané de : "Il a raison ce gars, ce qu’il dit est convaincant". Certaines sont marginales, mais ont joué leur rôle : Olivier est le frère de Jean-Claude Ameisen, lui-même médecin brillant, aux dons multiples, très proche d’une amie, Chantal Deschamps, que j’admire beaucoup, pour de multiples raisons. Mais la principale raison était celle-ci : J’ai immédiatement associé ce qu’il disait du Baclofène et de son efficacité, à mon "admiration convaincue" ancienne pour les années d’avance de l’Angleterre par rapport à la France pour contrôler les douleurs chroniques intenses, via les mises en œuvre efficaces du "San Christofer Hospice" et de "Dame" Cicely Saunders.

Olivier Ameisen expliquait, en effet, avoir lu un article américain, signalant cet effet positif possible du Baclofène pour contrôler la dépendance alcoolique, mais en même temps que les doses efficaces étaient souvent assez élevées, et pas toujours tolérées, la somnolence étant parfois trop intense. Son idée avait alors été de tester – sur lui-même, après des années de souffrance et de dépendance à l’alcool – le produit en démarrant à doses faibles, et en augmentant petit à petit pour trouver la dose à la fois efficace et tolérée de façon acceptable, même sur une longue durée….  Il n’est pas anodin de préciser aussi que le Baclofène est, par ailleurs, un vieux produit, coutant et rapportant à la firme le produisant… des clopinettes.


Il y a 20 ans, maintenant, j’avais été fasciné par mes lectures (puis en ayant la chance d’aller brièvement sur place) par l’histoire de "la potion San Christofer". Cicely Saunders qui a été, je crois, assistante sociale avant de faire ses études de médecine, avait eu une idée artisanale et géniale : Utiliser une potion de morphine donnée à intervalles réguliers et à doses progressivement croissantes… Les intervalles de prise empêchaient une douleur trop intense de revenir, et la montée progressive limitait les effets secondaires, en utilisant la fonction de "mithridatisation", d’accoutumance de l’organisme au produit…  Bien sûr, il n’y avait pas beaucoup de retombées "financières" à attendre de cette mise en œuvre, la morphine – sous la forme de l’époque en tout cas – ne pouvant guère générer de bénéfices substantiels….

En "vieil enfant", en admirateur du "Petit Prince" que je suis, en "médecin artisan" aussi, je savais pourquoi cela avait marché, et pourquoi cela a été très longtemps refusé par les "esprits scientifiques universitaires", pourquoi il s’agissait de ces vérités qu’on ne peut comprendre avec son esprit seul, qu’il faut aussi "comprendre avec son cœur".

La technique antalgique du "San Christofer Hospice" supposait que la personne concernée soit "co-prescripteur", co-évaluatrice du médicament, de son efficacité et de sa tolérance. Qu’il y ait une vraie "équipe", un vrai partage à respect mutuel, entre le prescripteur et le "patient", la personne malade…


La douleur, la souffrance, sont des expériences subjectives et on ne peut pas le changer, et en tout cas pas complètement. Les techniques d’objectivation, les échelles de la douleur, les diverses mesures sont utiles pour aider, ajuster, mais ne peuvent modifier cette subjectivité, et cette extrême complexité de la douleur, et des relations entre la douleur physique "anatomique" ou "physiologique" et la souffrance, avec ses composantes multiples où la solitude, l’humiliation, la peur, et bien d’autres affects peuvent jouer leur rôle (aggravant ou limitant). Et la conciliation de registres divers, celui du médicament, et celui de la relation, font partie de cet "artisanat  fécond" qui n’aura cessé de me mobiliser au fil du temps et de mon exercice professionnel. Et c’était donc cela, dont j’avais vu le succès, puis la "récupération savante et scientifique" concernant le contrôle des douleurs chroniques sévères, avec les formes de morphine retard, puis les pompes permettant l’auto administration, etc., etc. qui me poussait fortement à croire, à espérer en tout cas, que ce produit, le Baclofène, ne finirait pas aux oubliettes, des faux progrès, des fausses bonnes idées, et que Olivier Ameisen, comme Cicely Saunders en son temps, auraient plutôt joué un rôle de pionnier, d’éclaireur d’un chemin. Edgar Morin, un de mes "phares personnels", dont je reparlerai à coup sûr, cite souvent le poète espagnol Antonio Machado disant : "Ami, il n’y a pas de chemin : Le chemin se fait en cheminant, en marchant…"

Commentaires

Portrait de Ferdy

de l'intérêt de l'étude qui sera lancée afin d'en évaluer l'efficacité à une grande échelle, il y a dans le papier du Quotidien du médecin, mis en ligne par les bons soins de Frabro, une information concernant son financement qui me turlupine : si la sécurité sociale y investit 750.000 euros, il y a un "mécène anonyme" (sic) qui participe à hauteur de 500.000 euros.

Curieuse empathie spontanée, ou marque d'un conflit d'intérêt bien opaque, faut-il voir en ce généreux donateur le bras doré d'un puissant labo exerçant une forme de lobbying pour le moins intéressé ?

Après les Alcooliques Anonymes, les mécènes ... ? On peut être certains d'une chose : il ne s'agit vraisemblablement pas du groupe Pernod-Ricard.

Portrait de reivilo

Pour rester dans le sujet de l'addictologie.  J'aimerai faire partagé cette article paru dans le monde sur une plante  L'iboga. Qu'un connait vous en pensez quoi ?

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/11/29/une-racine-aux-pouvoir...