Mademoiselle, ou questions de civilité

Publié par Maripic le 05.05.2010
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Au cœur de tous les épisodes de l'histoire de l'épidémie, Maripic a pris l'habitude de transcrire ses (més)aventures du quotidien dans de petits billets destinés d'abord à ses proches. Nous les avons lus. Ils nous ont plu. En voici un nouveau !
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Et voilà. Rebelote, ça recommence. Je râle et bougonne tout haut en prenant cette lettre dans ma boîte. Mais, c'est pas vrai ! Encore ! C’est pourtant un courrier très important et que j’attendais : la réponse de la Cotorep, pardon, maintenant MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) à ma demande de renouvellement de RQTH (pour Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Voilà pour le jargon et, au passage, je souligne que “travailleur handicapé” est bien une qualité, non mais ! Le renouvellement m’est accordé. Ouf, tout va bien, alors pourquoi tant de rage ? C’est que l’excellente nouvelle contenue dans l’enveloppe est quasi éclipsée par l’intitulé de l’adressage : MADEMOISELLE Maripic. Je ne sais plus à combien de dossiers j’en suis chez eux depuis le temps, mais que ce soit pour la carte d’invalidité ou la RQTH et leurs renouvellements, je remplis l’imprimé de demande toujours de la même façon, à savoir : état civil, ligne “civilité” (oui, cela s’appelle comme ça) je coche naturellement “Madame” parmi les trois choix proposés. Puis à “situation familiale”, c’est “célibataire”, puisque c’est la vérité. C’est là que la machine se grippe. Une célibataire qui se fait appeler “Madame” ? Impossible. Ne se peut. Et la machine administrative droite dans ses bottes et sa grande logique corrige ce qui ne peut exister. Comme elle ne peut pas me marier, alors vlan, ce sera “Mademoiselle”. Je recommence à chaque dossier et cela fait des années que dure ce cirque. Oui et alors, c’est tout ? Elle nous fait un caca nerveux, là ou quoi ? Pour un détail ? Et bien non, que nenni, si vous me permettez. Etre “Mademoiselle” à l’âge adulte m’est insupportable et me l’a toujours été. Bien sûr, on peut toujours gloser sur la stupidité de la mécanique administrative qui, par définition, n’a pas de cerveau, mais elle est bien programmée je trouve. Car où donc le bât blesse ? C’est très simple : je ne me suis JAMAIS mariée, voilà. Par choix, et partagé toujours. Notamment avec le père de mon fils, dont il porte le nom, nous avons choisi d’avoir un enfant, pas de nous marier. J’ai eu plusieurs vies maritales, et maintenant l’âge d’être grand-mère. Mon nom, je le garde, il est à moi et c’est mon identité. Je suis devenue “mère célibataire” (mieux que “fille-mère” !) après la loi de 1974 sur les parents naturels, et je n’ai eu alors aucune difficulté à être appelée “Madame”, sécu, caisses d'allocations familiales, impôts, employeurs, bailleurs, tout le monde au parfum. Nous avons eu un livret de famille à nous trois, que la mairie se repassait de bureau en bureau car personne n’en avait encore jamais vu de comme ça, tout beau, tout nouveau, une révolution, et c’en était une. Peu de couacs ou de fausses notes pendant, en gros, les vingt années qui ont suivi. Je croyais que c’était une affaire entendue, comme quoi rien n’est jamais acquis. Puis mon fils est parti vivre sa vie, je n’ai plus eu “d’enfant à charge” à déclarer, alors escamoté, effacé le statut paravent de mère de famille, et le sournois “Mademoiselle” a repointé le bout de son nez. Mais en quoi ça me défrise à ce point ? Voilà : le fait qu’il existe deux termes différents selon son statut matrimonial pour s’adresser à une femme adulte me paraît une effraction caractérisée de la sphère sacrée de sa vie très privée. Car cela revient à renseigner si elle est “maquée” ou non, à déclarer publiquement sa situation à la société, et qu’est-ce cela, je vais être crue, sinon indiquer avec précision si elle est vierge ou pas à un patriarcat sourcilleux, comme
les draps ensanglantés brandis victorieusement au lendemain des noces,
pour signaler que tout est conforme…


Les hommes, eux, passent sous silence leur statut marital, familial, leur orientation sexuelle. Hétéros, homos, pères ou non, rien ne filtre, ils sont tous regroupés sous la bannière “Monsieur”, du petit garçon au quatrième âge. Il y a les termes “jeune homme”, “jeune fille” quand on ne sait pas trop ou qu’on veut rester léger, à l’enfance et l’adolescence. Mais après, l’usage de la différenciation s’impose pour les filles. Car oui, ce n’est qu’un usage, une tradition qui ne repose sur aucune base légale, aucune disposition législative ou réglementaire n’existe prévoyant de distinguer les femmes mariées des autres. C’est uniquement la survivance d’une époque pas si lointaine (en France, les femmes ont le droit de vote depuis 1945) où les femmes mariées étaient considérées comme des “incapables civiles”. Demander un passeport, passer un examen, ouvrir un compte bancaire, travailler (jusqu’en 1965 !) tout passait par le mari qui autorisait ou non... Aujourd’hui, les femmes ont obtenu l’égalité juridique et le mariage n’est plus l’institution incontournable qu’il était jadis pour avoir des enfants. Mais la règle demeure : formulaires administratifs, carnets de chèques, inscriptions ou achats sur sites Internet, et j’en passe, tout quoi, il faut toujours cocher une des deux cases “Madame” ou “Mademoiselle”. Et bien soit, mais au moins que le choix en soit respecté ! D’ailleurs, je me demande si ce souci que j’ai depuis toujours à dénoncer cette tradition ridicule qui révèle - ô combien - pour moi l’esprit d’un groupe social, est bien partagé par les jeunes générations. En face ou au téléphone, je donne systématiquement du “Madame” à la jeune femme à laquelle je m’adresse. Bon nombre d’entre elles rectifient gentiment : “Non, Mademoiselle” ou carrément se présentent comme “Mademoiselle X”. La distinction a de l’importance pour elles, et ce quelle que soit leur vie... sexuelle, puisqu’il s’agit de cela. Manifestation d’indépendance par rapport justement à un ou des partenaires éventuels ? Le “Madame” étant fortement identifié à l’institution du mariage, s’appeler “Mademoiselle” serait à l’inverse devenu une revendication de liberté, d’autonomie ? Cela me laisse perplexe à chaque fois. D’autres femmes, plus proches de moi en âge, tiennent à leur “Mademoiselle” et repoussent énergiquement le “Madame” parce que ça sonne vieux ! Impression de jeunesse, refus de vieillir ? Et on fait quoi à 60 ans ? Le “Madame” très jeune règle ce dilemme une fois pour toutes me semble-t-il, y compris pour les vraies vieilles demoiselles dites “vieilles filles” : l’intime cesse enfin d’être public.


Les Anglo-Saxons, toujours en avance, ont trouvé une solution, eux : il y avait le “Miss” (Mademoiselle) et le “Mrs” (Madame). Ils ont inventé le “Ms” (prononcer “miz”) qui indique simplement qu’il s’agit d’une femme, qu’elle soit mariée ou non. Et puis chaque être humain a un nom et un prénom, non ? Pourquoi ne pas s’en servir tout simplement, cela ne suffit-il pas ?


“Plains-toi, moi j’aimerais bien qu’on m’appelle “Mademoiselle”, soupire rêveusement une de mes collègues au boulot, qui est trans, d’allure vraiment féminine, mais à laquelle bien sûr on sert des tonitruants “Monsieur” en veux-tu en voilà à chaque fois qu’elle doit sortir ses papiers d’identité. “T’as raison”, je lui dis : “La prochaine fois que tu as une démarche à faire, je t’accompagne, mais habillée en homme et là, on m’appellera “Madame” !
A méditer, en ces temps où l’on parle d’identité (nationale), de discrimination (positive), de parité... et de genre.

Illustration : Yul Studio

Commentaires

Portrait de ian-kemper

pour illustrer et soutenir votre propos. 
Se présente un jour, dans le Centre d'Accueil où je travaille, une jeune personne en difficulté, avec une demande d'aide peu précise, à clarifier, que je me charge d'accueillir et d'orienter. 

Premier contact :  25 ans environ, d'origine antillaise peut-être,  personne grande et un peu forte, un visage pas très joli mais beaucoup de douceur, un beau sourire, beaucoup de charme, jupe, corsage, de grands pendentifs d'oreilles, très féminine, je suis sous le charme.
Nous sommes dans la salle d'attente, elle s'est levée à mon entrée, m'a tendu la main et murmuré :

"Bonjour, je suis Monsieur N.."

Je réponds :

"Bonjour Mademoiselle." 

Je m'adresse à ce que je vois, à ce que mes sens et mon esprit, plus ou moins ouverts selon ma nature ou mon humeur, m'indiquent de voir, de repérer, de cataloguer, de mettre dans une petite boite bien rassurante qui se range bien dans ma petite tête bien ordonnée. 

Après, le pour qui, le pour quoi de cette discorde entre son discours et son allure vestimentaire, c'est un autre problème (pour lequel d'ailleurs ce monsieur venait consulter), mon propos, pour soutenir le votre, est de dire que l'autre mérite d'être mieux écouté.  

 

 

 

 

 


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