Mille et un… ou la valse des T4

Publié par Maripic le 02.09.2009
2 439 lectures
Notez l'article : 
0
 
Depuis plusieurs moi, Maripic a pris l'habitude de transcrire ses (més)aventures du quotidien dans de petits billets publiées dans le journal Remaides et sur Seronet. C'est l'heure du bilan.
maripic_T4_bing_bang.png

Mille et une nuits, mille et une raisons, mille et une… Je suis groggy : je suis en consultation à l’hôpital et mon médecin vient de m’annoncer les résultats de mon dernier bilan. “Et les T4, vous en avez… (inintelligible)” Je n’entends pas, pardon ? Je lui fais répéter et il se marre : “Mille et un, vous avez MILLE ET UN T4 !” Stoned, la Maripic. Première pensée : mais c’est trop, ça, je suis même un peu angoissée, incrédule…Bien sûr, je sais que ce chiffre est comme une photo de ma formule sanguine à un moment donné, celui de la prise de sang, et que si celle-ci avait été faite un peu avant ou après, le résultat aurait été différent. Tout est mouvant et change tout le temps. Et que le prochain bilan dans six mois sera autre. C’est d’ailleurs pourquoi le pourcentage de T4 est bien plus important que leur nombre réel. Mais quand même. C’est symbolique aussi. Mille et un. Surtout mille ET un. Ce petit “un” qui donne toute sa saveur, sa force à toutes les mille unités de ce mille. Ce petit “un” qui les fait exister chacune l’une après l’autre, bien davantage que noyées dans la masse de “mille” tout court qui s’écrit invariablement au singulier car devenu unité de mesure à son tour. Un petit “un” magique. Mille T4 bof, mille et un, ça vous parle !
Et me voilà cata- pultée dans mon passé un peu lointain, une vingtaine d’années mettons, une autre planète, la préhistoire de la maladie, une époque où nous n’avions pas ou très peu de médicaments et où les T4 se faisaient la malle plus vite qu’il n'en faut pour le dire… Les souvenirs surgissent, comme si c’était hier : J’étais en vacances chez mon père, sur son île de l’Atlantique. Au téléphone, une amie proche qui me souffle dans un sanglot : “J’en ai plus !” (de T4, s’entend). “Viens”, je réponds. Le lendemain, elle était là. Pendant une semaine, nous nous sommes gavées d’embruns salés, enivrées des parfums de la forêt, vélo le long des grèves désertées hors saison, bâfrées de coquillages et crustacés, cramponnées à la vie, quoi. L’océan, ça booste les globules blancs, je lui disais. Pour moi, cela a toujours été. Pour elle, ce ne fut pas le cas. Un autre, il lui en restait trois, des T4. Il les avait baptisés Riri, Fifi et Loulou, des noms des neveux délurés du Donald de Disney. “Comment vont les neveux ?”, on lui demandait… Moi, forte de mon “nadir” de soixante-dix, je me pensais riche, et je leur en aurais volontiers donné quelques-uns. Ce joli mot à consonance orientale de “nadir” signifie le nombre de T4 le plus bas où vous êtes jamais descendu dans votre vie de plombé(e). Donc tout le monde a un nadir ! Maintenant, les toubibs s’en servent pour faire des projections de calculs de probabilités de prédictions de (mal)chances de voir arriver, plus ou moins rapidement, des événements désagréables dans notre longue vie de séropo. Pour faire vite, plus bas on est descendu, moins c’est bon, en général même avec la restauration immunitaire. Mais ça on ne le savait pas, on savait pas grand’chose d’ailleurs en ces temps antédiluviens où même la mesure de la charge virale n’existait pas, vous imaginez !! … Adieu, mes chers disparus, j’arrête de faire mon ancienne combattante, et je refais le voyage spatio-temporel dans l’autre sens. Hop, me revoilà au temps des mille et un T4, en 2009, où les choses ont bien changé dans nos pays du Nord (mais pas tellement ailleurs) puisqu’on y apprend désormais à “bien” vieillir avec le VIH, entre autres. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises, le virus est vicelard…


L’autre jour, recevant Remaides, je parcours les petites annonces, comme vous, comme nous tous, et une chose me frappe : les termes “pleine santé”, “en pleine forme”, “très bonne santé”, “super forme” y apparaissent si souvent, comme un refrain, que je me mets à les compter. Un tiers des petites annonces comportent cette description, en plus des “sous tri/quadri”, “séropo depuis X”, “sous traitement” et autres “CV indétectable” ou déclinaisons, parfois reliés par un “mais”. Comme pour atténuer le contenu de la liste ? Ah bon, super, ils vont tous très bien, quel progrès c’est fou…mais est-ce bien la réalité ? Je me le demande, car on a parfois comme l’impression que ce séropo-là serait plus “en forme” que le séroneg lambda. Puis, j’ai l’idée d’aller voir dans un vieux Remaides. 1997. J’ai pas plus ancien sous la main, mais c’est plus récent que mes souvenirs sus-cités. Et là…d’abord les annonces sont beaucoup plus courtes, beaucoup moins bavardes, sentiment d’urgence ? Pourtant c’est un an après l’arrivée des trithérapies en 1996, mais rien n’a vraiment changé encore, car je lis : “La nuit, j’ai peur de sombrer dans le noir, la mort serait une délivrance ? Mais j’aime la vie” (jeune homme, 38 ans). “On me dit sympa, plein de vie. Je travaille. Mais seul, trop seul” (jeune homme, 33 ans). “J’aime les voyages et la vie, comme tout le monde” (jeune homme, 25 ans). “Atteinte cérébrale, hémiplégie droite, cherche correspondant(e)s” (Stéphane, 32 ans). Celle-ci, droit au but et sans ambages, vite, vite : “Recherche petite amie” (David, 25 ans). Et celle-là, déchirante : “Recherche JF motivée acceptant mon VIH déclaré pour fin de vie heureuse” (Pascal). Très peu d’annonces de femmes séropos, mais l’épidémie s’est féminisée depuis…


Que s’est-il passé en douze ans ? Tout a changé. L’espérance de vie et sa qualité, y compris sexuelle. Etre des parents vivants d’enfants sains. Retravailler. Pouvoir parfois choisir entre différents traitements. Vivre, presque normalement. Mais tout est dans le “presque” justement. Nous sommes malades, ne l’oublions pas (qui y arrive ?), nous sommes fatigués et fatigables, fragiles, nous vieillissons maintenant certes comme tout le monde, mais plus vite à cause du virus, à cause des traitements qui nous sauvent la vie, à cause de la synergie des deux, etc. Nous sommes des
survivants, à tous les âges. Alors oui, on peut être “en forme”, mais en regardant la réalité en face, faire front en acceptant nos défaillances, le coup de pompe soudain qui nous terrasse sans prévenir, loin du “politically correct” de certaines affirmations trop jolies pour être honnêtes et qui ne trompent personne…
Nous sommes entre nous, non ?

Maripic vit et travaille à Paris. Elle est coinfectée VIH et VHC depuis plus de vingt ans.

Illustration : Jacqueline L'Hénaff

Commentaires

Portrait de sonia

très joli témoignage maripic, j'ajouterais qu'il ne faut surtout pas se plaindre des traitements anti rétroviraux, grâce à eux et à certaines vedettes comme l'atripla, une personne contaminée par le vih peut vivre normalement , plus tôt elle prendra son traitement , mieux ça ira pour soi, les autres.(je répète bêtement le discours officiel..).

La prévention médicamenteuse est certainenemt le fait marquant de ces dernières décennies consacrées à la lutte contre le sida. En matière de solidarité, malheureusement il reste un fossé entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement, la maladie renforce aussi beaucoup de préjugés qu'on croyait éteints....