Pour une empathie bien régulée

Publié par Ferdy le 02.05.2012
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C'est un terme qui a été très utilisé ici-même et qui semble se faire plus rare depuis quelque temps. Pourtant le sentiment n'a jamais disparu.
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Le concept d'empathie a été créé en 1873 par un philosophe allemand, Robert Fischer, pour désigner la relation permettant à un individu d'accéder au sens d'une œuvre artistique : l'Einfühlung, "ressenti de l'intérieur".

"Dans l'empathie, on quitte soi-même pour éprouver l'émotion d'autrui. Cela exige un changement de perspective. Mais on doit aussi pouvoir inhiber ses propres émotions si l'on veut secourir autrui.

L'empathie ne se limite pas à un phénomène de résonance émotionnelle. Trois autres processus interviennent :
- une prise de perspective, pour se représenter l'état mental d'autrui ;
- une régulation émotionnelle, pour ne pas se laisser submerger par les émotions de l'autre ;
- et une capacité de distinguer soi d'autrui, pour partager l'émotion de l'autre en sachant qu'il n'est pas soi-même
". (1)

C'est donc à la fois un savant dosage émotionnel et une faculté qui porte en elle ses propres limites.

Certains d'entre nous y sont plus prédisposés, parfois du fait de leur expérience, de la connaissance du sujet et d'une envie de transmettre un réconfort à celui ou celle qui par son message paraît en faire la demande.

Il s'agit d'une capacité qui peut sembler aller de soi sur un site qui affirme la solidarité entre ses utilisateurs. Nous avons presque chaque jour l'occasion de percevoir ce secours altruiste à l'égard d'un membre qui témoigne de son mal-être. Par expérience aussi, je sais ne pas toujours en être capable.

Certaines situations me sont difficiles à appréhender, soit parce qu'elles me rappellent des blessures pas totalement cicatrisées, soit au contraire parce qu'elles me paraissent si lointaines de mes préoccupations du moment. L'internet me permet d'être si proche, si je peux et si je veux et en même temps totalement inaccessible, sans me tourmenter davantage. Dans le pire des cas, je sais aussi pouvoir m'en remettre à d'autres, qui sauront apporter le témoignage d'une adhésion qui à cet instant me fait défaut.

Souvent, je souhaiterais pouvoir le faire et je m'abstiens car je ne crois pas avoir trouvé les mots qui apporteraient le soutien attendu. Sans doute aussi suis-je parfois lassé de l'expression de certaines souffrances récurrentes. Mes capacités d'empathie se trouvent naturellement limitées par ma propre horloge biologique ou par le fait que je me sens impuissant à répondre concrètement à une douleur trop spécifique, morale ou physique, qui sort de mes compétences.

C'est souvent assez difficile d'intervenir, au-delà des phrases convenues, du genre : "t'inquiète pas, ça va passer", si c'est pour écrire ça, je préfère encore me terrer dans un mutisme de pierre.

Pourtant, ce secours banal reçu au moment où l'autre s'y attend le moins peut le toucher mieux qu'un joli discours circonstancié et plein d'égards. Allez savoir. Comment discerner dans ce qui s'échange la part de ce qui nous serait déjà destiné si nous nous trouvions dans la même situation.

Selon une étude américaine (2), nos comportements prosociaux pourraient dépendre en partie d'une variation minime du gène du récepteur de l'ocytonine qui agit, dans des régions cérébrales assez primitives, dans le traitement des émotions et dans le déclenchement des soins parentaux.

Sans ce capteur, l'indifférence générale nous aurait peut-être déjà anéanti. Il est toujours assez saisissant de réaliser que le vivant est constitué d'une savante et encore très secrète combinaison chimique qui régule ses comportements les plus intimes. Il faut croire aussi que certains individus en sont malheureusement dépourvus.

Ce dérèglement génétique pourrait ainsi avoir des conséquences dramatiques. Si l'incapacité à éprouver toute forme d'empathie était à mettre sur le compte d'un précipité chimique, nos belles aspirations généreuses s'en trouveraient elles aussi un peu écornées.

(1) Dr Cedric Lemogne, psychiatre à l'hôpital Georges Pompidou (in Le Monde, 28/01/12)
(2) PNAS, (en anglais, 14 novembre 2011)

Commentaires

Portrait de maya

je t'embrasse

maya 

Portrait de joeydebxl

Bonjour,
C'est magnifique comme article, on en apprend tout les jours... :) :)
Oui, bien, alors, excusez-moi les filles, mais, alors, pour moi, il y en a beaucoup sur notre basse Terre qui ont subis cette modification génétique...
Mais, en effet, ici l'on retrouve ce phénomène plus souvent...
Et pourquoi ?
Tout simplement et très certainement, car, bien souvent, les gens se retrouvent dans les situations et donc peuvent plus aisément s'y intégrer...
Il faut pouvoir déposer "sa petite valise", la mettre sur le côté et s'occuper vraiment de l'autre, pas toujours facile...
Excellente journée!! :)
Portrait de Meliah

quand tu dis que le fameux "t'inquiète pas ça va passer " est un leîtmotiv tout simplement impossible, nul ,voire honteux puisqu'il te repousserait vers un mutisme de pierre .....j'entends à longueur de films ou de séries Américaines ,ce redoutable

 "ça va aller ,ne t'inquiète pas ,ça va aller " qui ponctue chaque moment d'intenses

frustrations ,douleurs ou malheurs U.S . C'est la formule magique qui me fait hurler de rire quand je l'entends ,car les personnages de la vie virtuelle télévisuelle ont vraiment l'air d'aller mieux après cette simple tournure de phrase .Qu'en est-il de fait?

Je n'ai pas la réponse mais je crois davantage aux carresses ,calins ,toucher de cheveux et autres effusions plus intimes ; beaucoup de gens ne reçoivent pas ce toucher de l'autre ,altruiste , et en souffrent . C'est vrai que caresser son propre corps n'est guère satisfaisant et souvent stérile .

salut à tous et vive les "free hugs"!

bonne nuit ,Meliah Innocent

Portrait de jean-rene

Joey écrit: "Il faut pouvoir déposer "sa petite valise", la mettre sur le côté et s'occuper vraiment de l'autre, pas toujours facile...".

Pour moi, ça ne se passe pas tout à fait comme ça.
Certains témoignages résonnent en moi, d'autres me semblent très lointains.
Je préfère me consacrer aux premiers car je sais que je m'exprimerai alors par des mots dont l'autre percevra immédiatement la sincérité, dont il sera touché.
Si je me risque, devant les seconds témoignages, ceux qui me semblent lointains, à "déposer ma petite valise pour m'occuper de l'autre", je sais que cet autre percevra immédiatement que je me penche vers lui au risque d'attraper ce qu'un curé que j'aimais bien appelait un "lumbago caritatif".

Portrait de frabro

Cher Ferdy,

Pardon pour ce titre provocateur, mais comme tu le sais depuis longtemps j'ai l'empathie génétiquement provoc...

Arnaud Marty-Lavauzelle, alors président de Aides, avait utilisé cette formule pour parler des gens bien pensants toujours prêts à aider les pauvres séropo : 'de l'humanitaire gluant et du caritatisme visqueux..." C'est justement ce qui doit à mon sens différencier la position empathique de la condescendance  et du "ça va aller" que dénonce Méliah, souvent suivi dans d'ailleurs du "je serais toujours là pour toi !" qui est la seconde béquille du mensonge des auto proclamés aidants.

J'ai éprouvé aussi le "lumbago caritatif" dont nous parle Jean-René, car lorsqu'on prends en charge les valises des autres, non seulement ça n'allège pas la nôtre mais ça nous surcharge assez vite.

Il me faut donc trouver la bonne "posture", car l'empathie n'est pas naturelle et reste bien une posture, à un moment donné, sur un sujet particulier, et envers une personne unique. Ce qui ne sera peut être pas possible envers une autre personne, à un autre moment, ou sur un autre sujet.  Si le thème abordé fait retentir ma propre souffrance passée ou actuelle, je ne tiendrai pas longtemps dans l'empathie car mes émotions me submergeront. Si je suis séduit par l'autre ou tente de le séduire, ça ne marchera pas non plus, le rapport amoureux ne peux pas être empathique. Il faut donc que les sujets (le sujet qui s'exprime et celui sur lequel il s'exprime..) me touchent le moins possible pour que ça marche.

Inutile d'être spécialiste du problème abordé : l'empathie, c'est travailler avec les émotions de l'interlocuteur et non sur le fond du sujet abordé.

Enfin, l'empathie, ce n'est pas forcémment dire à l'autre qu'il a raison : il m'arrive aussi, et c'est souvent souligné ici par ceux que ça offusque, d'avoir le coup de pied au cul empathique. Un homme que j'aime bien, l'Abbé Gilbert, curé des exclus, parle lui de sa "droite évangélique". C'est la même saine réaction.

Empathiquement vôtre...

François 

Portrait de lilo42

je n'aime pas les gens, je fais au cas par cas  :D 

  donc je ne peux pas ressentir de l'empathie pour tout le monde . il y a des histoires qui ne me touchent pas .

pourquoi ??? j'en sais rien !!!

pis j'ai horreur de ces gens qui , ont toujours le mot , la phrase . pour tout , tout le temps .

les supers héros des relations humaines!!!!

ça sonne faux :(

je sais pas faire ça ( l'empathie) ou alors si je le fais, bah je le fais  pas exprès ;) 

Portrait de brw40

Je n'ai jamais sus pourquoi mais je suis par défaut en "mode empathique" des que je dialogue avec quelqu'un de vive voix ou alors dans toute discussion serieuse quand c'est du virtuel. C'est evidement pas en discutant avec la boulangére en allant chercher mon pain mais c'est quasiment tout le temps lors d'une discussion approfondie et je me demande d'ailleurs si ca n'est pas en partie culturelle et pas uniquement génétique car ça a fait parti de mon education. J'arrive a couper ce pont maintenant avec l'age mais il faut vraiment que la personne me soit "antipathique" et j'arrete même tout dialogue. J'ai beaucoup du mal a discuter de maniére froide sans que rien ne se passe...je préfére alors me taire.

Ce mode de fonctionnement est parfois douloureux car on ne le contrôle pas toujours et contrairement à fabro je suis incapable de ne pas eprouver d'empathie lors d'une relation amoureuse ce qui a declenché des situations trés peinibles par le passé et une souffrance accrue pour les deux, mais je ne me sens pas capable d'etre amoureux sans comprendre l'autre et son ressenti, c'est d'ailleurs la raison de l'origine de ma présence sur seronet

Portrait de joeydebxl

JUstement je disais de déposer la valise, de sorte à s'éloigner de ce que l'on est, de ce que l'on pense, et de ce que ce que dit l'autre pourrait nous renvoyer...; Ca permet de se "mouler" à l'autre...!

Portrait de jean-rene

"S'éloigner de ce que l'on pense", oui, c'est indispensable puisque l'écoute empathique implique que l'on s'abstienne de tout jugement et même de tout conseil.

"S'éloigner de ce que l'on est" me paraît impossible car l'autre perçoit immédiatement une image de toi, dont tu ne pourras jamais te défaire, image qui n'a peut-être d'ailleurs rien à voir avec ce que tu crois "être".

"S'éloigner  de ce que ce que dit l'autre pourrait nous renvoyer" peut se faire avec les conseils d'un superviseur, car tu ne peux pas empêcher que ce que l'autre te dit, te renvoie quelque chose de très fort qui est en relation avec ton passé. Cette mise en résonnance de l'inconscient de l'autre avec ton propre inconscient, je ne pense pas que tu puisses la régler tout seul, Joey; il faut l'intervention d'un tiers auquel tu pourras expliquer ce que tu ressens quand l'autre te parle.

Portrait de joeydebxl

tout à fait, pas évident mais pas tout à fait impossible! :) Allez, excellente soirée à tous!
Portrait de maya

on a en tous on est plus ou moins bien servis comme pour le reste..

je ne sais pas reguler comme le fait frabro, j'agis et écrit à l'instinct, si qq chose me touche ...mais je crains qu'avec le temps on se blinde pour se protéger.

mais pour en revenir au site c'est vrai qu'après plusieurs années de pratique et de conseils écoute en tous genre de nouveaux arrivants il arrive qu'on ne sache plus quoi écrire et on a le sentiment d'avoir deja raconté sa vie 100 x(car il faut s'impliquer un minimum dans ce qu'on renvoie à l'autre)..et comme ferdy l'explique à un moment la source se tarit, on est à sec de rassurer etant nous mêmes dans un certain flou avec nos propres soucis de vieux séropos...

je vous bise jeunes et vieux ;-)

Portrait de joeydebxl

bises, la vielle! :)