Thanatos mon amour

Si le terme de thanatopraxie, (créé vers 1960, à partir de Thanatos – divinité grecque de la mort, et praxein – opération manuelle) recouvre l'ensemble des soins visant à conserver provisoirement l'aspect du corps d'un défunt, il ne doit pas être confondu avec celui d'embaumement, réservé aux pratiques funéraires de l'Antiquité ou la conservation de longue durée de certains "dignitaires" (Lénine, Abraham Lincoln, etc.).

On suppose que les premiers procédés chimiques de momification remontent aux débuts de l'Antiquité égyptienne et à l'empire Inca, mais c'est en Chine, sur le site archéologique de Mawangdui que les corps les mieux préservés ont pu être découverts (1972), approximativement datés de la dynastie des Han (190-168 av. J.-C.).

Cependant, si l'on a longtemps cru que les sels de mercure et d'antimoine pouvaient expliquer l'état de préservation des corps, ce sont plutôt aux conditions de température et d'hygrométrie constantes des tombes, enfouies à une quinzaine de mètres sous terre, recouvertes de charbon de bois et d'argile, que l'on attribue aujourd'hui cette conservation exceptionnelle.

Pour le thanatopracteur contemporain, son rôle consiste essentiellement en l'injection artérielle de six à dix litres dans le corps du défunt d'un dérivé à base de formol, de fongicides, de bactéricides et de virucides, un produit (le formaldéhyde) excessivement toxique et cancérigène pour l'utilisateur et potentiellement nuisible pour l'environnement. S'ajoutent ensuite, après le lavage du corps, les soins cosmétiques (manucure, maquillage et coiffure). L'opération totale requiert environ une heure et demie et doit être accomplie idéalement dans les heures ou les trois jours qui suivent le décès.

Elle permet de fixer temporairement le processus naturel de putréfaction du cadavre, en éliminant environ 90% des germes qui se développent spontanément après la mort.

Certaines confessions y sont opposées (musulmane, judaïque, orthodoxe), d'autres la tolèrent, mais si la thanatopraxie se développe en Amérique du Nord, elle ne concernerait en Europe que 3% des défunts (100 000 actes en France – 2003 – dont 23% réalisés à domicile). Elle y est interdite en Belgique, au Danemark, en Hollande, au Luxembourg, dans les Pays scandinaves, à l'exception du rapatriement d'un cercueil vers certains pays.

En France, l'article R.2213-2-2 en définit strictement la procédure légale, excluant dans son arrêté du 20/07/1998 les décès liés aux maladies contagieuses suivantes : Charbon, Choléra, Fièvres hémorragiques virales, Hépatites virales (sauf A), Peste (!), Rage, Variole (pourtant éradiquée) et, bien entendu - ce qui fait débat actuellement : VIH/Sida/VHC. (1)

Si j'ai cru utile d'intervenir via mon blog afin d'exprimer une opinion personnelle, par ailleurs très largement partagée par de nombreux séronautes, je me suis aussi fendu d'une petite investigation auprès d'un certain nombre d'entreprises de pompes funèbres de ma ville, au prétexte d'un décès encore tiède survenu dans ma famille, afin de connaître le coût de cette opération lourdement intrusive.

Sans vouloir me vanter, j'ai endossé le rôle de l'endeuillé avec une telle conviction que j'ai eu droit en retour à des témoignages de condoléances qui m'ont réellement ému, et il m'aura fallu quelques heures pour me remettre de cette supercherie à visée éditoriale.

Il faudra donc compter entre 305 et 350 euros, en sus des frais d'obsèques conventionnels, pour offrir au cadavre cet aspect de vivant dans la mort.

Il ne s'agit pas ici de faire polémique à propos d'un accès à l'au-delà en bonne et due forme, ce qui nous est globalement refusé au prétexte fallacieux d'une contagion tout à fait improbable, lorsque les règles d’hygiène universelles auront été scrupuleusement respectées et sous réserve que le défunt n'y ait pas été opposé ni, a fortiori, avant une crémation, en raison de l'émanation de la dioxine dans l'air provoquée par la combustion des produits formolés utilisés pour cette intervention.

La mise en bière immédiate, inhérente à l'interdiction des soins funéraires, devrait nous inquiéter davantage. Car, si l'option du cercueil simple ou hermétique se trouve le plus souvent réservée aux praticiens hospitaliers, les proches auront à faire leur deuil devant une boîte en sapin munie de quelques poignées rutilantes, et assortie d'une sobre plaque métallique nominative aussi aguichante qu'un code-barres.
Bonjour le recueillement virtuel.

Il existe pourtant une alternative simple à cette pratique intrusive et chimique pour le moins discutable, c'est l'emploi de glace carbonique (carboglace), écologique et traditionnelle, laquelle ne requiert aucune démarche administrative, ni demande d'autorisation, ni présence d'un agent de police, ni de garde champêtre (sic).

Son résultat est presque comparable, pour un coût modique, elle consiste à appliquer simplement de la glace carbonique sur différentes parties du corps qui gèle à son contact (-78°C).

Il faut croire que la corporation des thanatopracteurs (700 professionnels environ recensés en France), a si bien réussi son action de lobbying auprès des pouvoirs publics, qu'elle est parvenue à faire adhérer à son petit marché prospère de nombreuses associations de lutte contre le VIH/VHC, inquiètes de se voir interdire un procédé de conservation des corps au même titre que certaines pathologies rares et peu flatteuses, comme la peste ou le choléra.

Ainsi que j'avais cru utile de le souligner dans mon blog, il me paraît plus judicieux de mobiliser cette énergie si précieuse pour la défense des droits des malades, vivant le plus souvent avec des ressources dérisoires (AAH) et parfois aussi dans un état de solitude accablant.
Je veux bien reconnaître que cette situation législative aberrante témoigne d'une exclusion dont on aurait raison de se plaindre, et qui reflète assez fidèlement l'image d'une société qui parvient si mal à concilier la vie, la souffrance, la dignité et la mort.

(1) projet d'arrêté ministériel "fixant les listes des infections transmissibles prescrivant ou portant interdiction de certaines opérations funéraires", où se trouvèrent réunis les représentants des associations de lutte contre le VIH/hépatites, le Conseil national du sida, médecins légistes, thanatopracteurs, Conseil national des opérations funéraires (CNOF), experts du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), représentants du ministère chargé de l’Intérieur (DGCL) et direction générale du Travail.
(réunion du 10/01/12, Direction Générale de la Santé, Paris.)