Travailler c'est trop dur et se droguer c'est pas beau

Publié par Ferdy le 01.02.2012
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Radio France a recueilli, d'avril à septembre 2011, les témoignages de 5 000 auditeurs sur leur rapport au travail. Un bilan mitigé qui fait état d'un profond malaise même parmi les cadres, les professions intellectuelles et intermédiaires, autant de catégories jusqu'alors plutôt épargnées.
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Ils seraient environ 30% à ne pas être contents de se rendre à leur travail chaque matin. Cette enquête "Quel travail voulons-nous ?" (1), décryptée par Dominique Méda (2), ne prétend pas à la rigueur scientifique habituellement requise lors des sondages d'opinion car son panel, délibérément restreint aux auditeurs des chaînes de radio du service public, ne reflète pas la réalité nationale. Les cadres et les professions intellectuelles y sont surreprésentées, mais les résultats n'en sont pas moins probants quant à la dégradation de l'image du travail.

Ce chiffre réunissant les mécontents doit être comparé à celui des 55% qui se disent satisfaits d'aller au taf. Car si la valeur travail continue à incarner un épanouissement personnel avec la reconnaissance sociale qui va de pair, ce sont surtout les conditions d'exercice qui posent problème aujourd'hui : l'absence de perspectives, le manque d'effectifs, l'obsession de la rentabilité sont les trois principales difficultés rencontrées par ces sondés CSP+.

La logique managériale triomphante, jugée complètement inefficace, ainsi que les modalités d'évaluation du travail dans les secteurs de la santé ou de l'éducation notamment, altèrent gravement la perception de participer à une œuvre utile pour la société.

La progression du chômage (un million de chômeurs de plus depuis 2007) a renforcé l'attachement des Français au travail, comme à la valeur d'un bien qui se raréfie. Ils sont encore 30% à déclarer (j'ignore si ce sont les mêmes) ne pas vivre correctement de leur boulot, alors même qu'il s'agit dans cette étude d'une population très diplômée. Les écarts de salaires sont jugés insupportables et les femmes auraient raison de s'en indigner en premier lieu.

Ce n'est pas par goût des sondages et autres statistiques, mais il sera assez amusant de constater aussi que dans une étude déjà assez ancienne (ISSP 2005), 47% des personnes interrogées en France estimaient que leur travail était "toujours" ou "souvent" stressant. En tête du palmarès européen, bien au-dessus des résultats enregistrés en Grande-Bretagne (33,3%), en Allemagne (33,5%) ou au Portugal (39,3%).

Le chroniqueur hebdomadaire s'accordera, en toute liberté, à faire un parallèle assez audacieux entre cette perception du stress au travail et la consommation d'anxiolytiques.
Un Français sur cinq, selon l'Afssaps, consomme chaque année au moins une benzodiazépine ou une molécule apparentée.

Ainsi, juste après le Portugal, la France se situe en deuxième position des pays européens pour les anxiolytiques. Pas moins de 134 millions de boîtes vendues en 2010. Ce n'est pas tout à fait anodin. Selon le Pr. Bernard Bégaud "Cinq études montrent qu'un usage prolongé chez les sujets âgés peut favoriser la survenue de démences de type de maladie d'Alzeihmer". Sans négliger non plus le risque accru d'un accident de la route.
Voilà qui ne sera pas fait pour rassurer les anxieux chroniques comme moi.

Je me demandais s'il était envisageable en croisant ces données de mettre, au moins partiellement, cette part d'addiction aux anxiolytiques sur le dos des nouvelles contraintes managériales. La population française y serait-elle plus sensible qu'ailleurs au sein de l'Union européenne ? Sa prescription moins encadrée et pour une durée de traitement largement supérieure aux recommandations des autorités sanitaires ?

Serions-nous, dans ce joli petit pays autrefois prospère, par une espèce d'atavisme curieux, plus enclins à l'anxiété, à broyer du noir, à avoir peur de la peur ? Nous n'avons pas, a priori, comme en Suède, à nous rabattre derrière la faible durée quotidienne d'ensoleillement pour tenter de justifier notre boulimie pour les anxiolytiques et les hypnotiques.

Notre ciel qui êtes aux cieux, serait-il devenu à son tour économe des bienfaits supposés du rayonnement solaire pour confier à une pharmacopée, par ailleurs assez discutable, la délicate mission de faire revenir la confiance en soi, la sérénité, la joie et l'espérance ?

(1) Quel travail voulons-nous ? (éd. Les Arènes/Radio France – 240 pages - 18,50 euros)

(2) Dominique Méda, professeure de sociologie à l'université Paris-Dauphine et chercheuse associée au Centre d'études de l'emploi (source : Le Monde, 24/01/12).