Un été 2011 (# 09)

Publié par Ferdy le 24.08.2011
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Street Art, de l'infraction à la récup ?
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La langue française serait-elle devenue à ce point archaïque pour qu'il ne lui soit plus permis de désigner quelque innovation que ce soit, apparue depuis moins d'un demi-siècle, sans dénaturer involontairement son objet ? Il en va ainsi pour ce courant de la création contemporaine, issu du hip-hop new-yorkais dans les années soixante-dix, le Street Art, qu'il serait pourtant facile de traduire par Art urbain ou Art de la rue. Formule malheureuse et confuse qui risquerait d'englober, malgré elle, toutes ces vieilleries en ferraille héritées de Gustave Eiffel ou d'Hector Guimard. Ou, pire encore, comme à travers l'expression Arts de la rue qui nous conduit tout droit dans ce hors-les-murs du spectacle vivant, avec son lot de saltimbanques intermittents en quête d'un public débonnaire.

A ne surtout pas confondre non plus avec le tout-venant des graffitis et autres tags bâclés, qui sont à la création artistique ce que la pisse d'un chat est au balisage du territoire, le Street Art est avant tout une démarche de plasticiens téméraires et obstinés, qui sèment sur leur passage les fragments élaborés d'une fresque murale envahissante et fragile.

Diversement appréciée par les tribunaux qui l'assimilent encore à une "dégradation de biens appartenant à autrui" (Art. R.635-1 du Code Pénal), cette contribution esthétique peut être tour à tour considérée comme un acte gratuit (1), une pulsion poétique irrépressible, une transgression volontaire de son créateur en mal de vitrine, un acte politique ou la patiente contamination anonyme de l'espace public par une souche virale parfaitement identifiée. Il y aurait un peu de tout ça à la fois, si le regard des passants ne finissait par y percevoir une connivence "de façades", comme charmé par les effets bienfaisants d'un antidote au racolage des panneaux publicitaires et autres sollicitations commerciales.

Sauf à vivre reclus depuis 25 ans dans un ordre contemplatif au fin fond de la Drôme, nombre de ces créations nous sont devenues aussi familières que l'énigmatique sourire de la Joconde, les sérigraphies d'Andy Warhol ou les colonnes de Buren. Avec cet avantage toutefois, c'est qu'ici elles se renouvellent régulièrement et contribuent à faire d'une simple balade quotidienne un jeu dont la partie semble à jamais inachevée.
A force de talent et d'opiniâtreté (sans oublier de nombreuses nuits passées dans les commissariats), certaines signatures ont acquis une notoriété internationale. Pour ne citer que les plus connues : la poétique rebelle et sensible des pochoirs de Miss.Tic ; les silhouettes blanches et désarticulées de Jérôme Mesnager ; les collages in-situ de Ernest Pignon-Ernest et de Blek le Rat ; ou encore les mosaïques pixelisées de Space Invader (parisien, né en 1969, le benjamin de cette liste abrégée), librement inspirées du jeu vidéo éponyme et vintage créé en 1978.

Soit une génération de quinquagénaires bien éloignée de la caricature des bombeurs exaltés par le dérèglement de leurs sécrétions hormonales. A contrario, ces plasticiens appliqués sont parvenus à imposer patiemment leur style. Ils ont élaboré un système, édicté leurs propres règles, construit un réseau ambitieux et cohérent, développé enfin une dialectique qui interroge notre société sur son rapport à l'art et sur ses supports. Internet a bien sûr été un formidable accélérateur de développement, offrant une mise à jour instantanée de la cartographie de leurs interventions. Des fan-clubs, des blogs, des forums et des liens commerciaux se sont créés.

Le marché de l'art, les musées, la pub, les médias, les milieux de la mode et du show-biz ont compris tout le bénéfice qu'ils pouvaient tirer de cette notoriété à la fois transgressive et incontournable, comme le pop-art a pu l'incarner dans les années 60-70 : une déclinaison quasi infinie de produits dérivés, de l'édition au textile, de l'événementiel au lifting d'une marque ou d'une institution menacée par la ménopause.

Ainsi, le prestigieux Victoria & Albert Museum (Londres), a récemment fait l'acquisition de plusieurs pochoirs signés Miss.Tic ; le Museum of Contemporary Art (MoCA, Los Angeles), en partenariat avec le non moins fameux Brooklyn Museum (New York), accueille en 2011, les très proliférants et médiatiques Space Invaders, à l'occasion de la première exposition officielle consacrée aux Street Arts aux États-Unis.

Le glissement progressif du "vandalisme" originel, commis sur la voie publique et sanctionné par la Loi, vers l'ingestion institutionnelle pourrait être assimilée à une récupération par le système, si elle n'obéissait à ce nécessaire et louable inventaire de la création contemporaine saisie dans son geste.

On pourra toujours s'interroger sur l'opportunité et les conséquences de cette assimilation artificielle au sein des collections publiques. Que restera-t-il de l'âme insoumise dès lors qu'elle devient assujettie, comme tout le reste, aux lois du marché, avec ses pièges et ses avantages apparents ? L'effet de mode ne risque-t-il pas de corrompre cet infra-langage qui avait su jusque-là se maintenir dans une espèce de clandestinité opaque, qui lui conférait à la fois un statut de résistance et par là-même une singularité farouchement assumée ?
Enfin, last but not least, le visiteur n'aura-t-il pas à éprouver cette sensation inconfortable qui l'étreint parfois en pénétrant dans un zoo pour y admirer des fauves rendus abrutis par la captivité ?

Pour citer Paul Klee, cet aphorisme apparemment paradoxal suffira à nous convaincre, s'il en était besoin, du caractère incorruptible de toute œuvre : "Ce sont les tableaux qui nous regardent".

(1) "Les actes gratuits ont-ils un prix ?" s'interroge Miss.Tic, condamnée en 1997 par la Cour d'appel de Paris à 4.500 euros d'amende, pour "détérioration d'un bien public". Ajoutant, non sans ironie : "Dire que la poésie est un sport dangereux est tout sauf accessoire".

Commentaires

Portrait de maya

 

Portrait de petite puce

petite puce

j'adore les pochoir de misstic,et je viens d'en découvrir une que je ne connaissais pas.MERCI POUR CE PARTAGE MAYA.petite puceBisou 

Portrait de drive

"A ne surtout pas confondre non plus avec le tout-venant des graffitis et autres tags bâclés, qui sont à la création artistique ce que la pisse d'un chat est au balisage du territoire".

"Soit une génération de quinquagénaires bien éloignée de la caricature des bombeurs exaltés par le dérèglement de leurs sécrétions hormonales".

"Enfin, last but not least, le visiteur n'aura-t-il pas à éprouver cette sensation inconfortable qui l'étreint parfois en pénétrant dans un zoo pour y admirer des fauves rendus abrutis par la captivité ?"

J't'imagine bien en arbitre du bon goût. Pas un peu ptit bourgeois ?

Portrait de lilit88

le street art est devenu "commun" des beaux arts,il y a,certes,la première génération (des quinquas ,enfin ceux qui ont survécu ,nombreux sont morts de leur street life).et puis tous les petits nouveaux ,c'est un mouvement d'art  vivant ,j'en témoigne ayant bcp travaillé en squatt à paris et ailleurs....pas seulement créé par des vieux comme moi!et heureusement.

j'ai en tète amandine urruty ,popay....et tant d'autres,des petits trentenaires qui valent le coup,de vrais artistes.