Christiane, Jean, Georges : dix ans déjà

10 Avril 2020
3 885 lectures
Notez l'article : 
0
 

L'épisode dramatique que nous connaissons aujourd'hui avec la crise sanitaire qui frappe le monde entier accapare nos idées, envahi nos vies. Pour autant, il n'écarte pas de nos pensées des personnalités très engagées dans la lutte contre le sida, tout particulièrement aux côtés de AIDES, qui nous ont quittés, en avril, il y a dix ans.

Le 8 avril 2010, disparaissait Christiane Marty-Double, figure historique de la lutte contre le sida, à l'âge de 69 ans. Elle était alors membre du conseil d'administration de AIDES dont elle fut longtemps la vice-présidente. En 2005, on interviewait Christiane Marty-Double sur les débuts de AIDES en 1984 et la création de Sida Info Service. Christiane était alors vice-présidente de l'association. Elle racontait à mots choisis la naissance de l'association « dans la douleur du décès de Michel Foucault ». Elle rappelait comment Daniel Defert, le fondateur de AIDES, avait souffert alors qu'il accompagnait Michel Foucault, son compagnon touché par le sida, de l’absence de réponses à ses questions de la part du monde médical. « Il y avait comme un fossé. D’un côté, les malades et leurs proches ignorant tout de cette maladie, qui ne savaient pas ce qui allait arriver et, de l’autre, le monde médical qui s’était beaucoup fermé. Je pourrais en parler longuement puisque je suis médecin », expliquait-elle alors. Médecin, Christiane Marty-Double l'était, elle était même professeur de médecine et assurément aux antipodes d'un monde médical fermé. Femme, médecin, militante, elle était une figure historique de la lutte contre le sida en France. Christiane avait créé au milieu des années 1980 le comité de AIDES dans le Gard. Elle avait diagnostiqué au début de l’épidémie les premiers malades du sida. Femme engagée des premières heures de la lutte, elle a été de tous les combats comme celui de la légalisation et la mise en place des premiers programmes d'échange de seringues en France. Elle était également à l’origine de la création de la Maison du Soleil qui a permis d’accueillir de nombreux-ses enfants séropositifs-ves. Christiane Marty-Double était très engagée dans les actions de AIDES, sur le terrain, au comité de rédaction de Remaides comme au sein de son conseil d’administration, en consacrant beaucoup de son temps et de son savoir-faire à la formation des militants-es. Son engagement, son expérience, son savoir-faire et ses qualités personnelles lui avaient permis d'être désignée comme membre du Conseil national du sida, où à ce titre, elle faisait encore et toujours avancer la lutte contre le sida et le combat de AIDES. À sa disparition, le Conseil national du sida avait tenu «  à rendre hommage à l’implication constante de Christiane Marty-Double dans les travaux du Conseil et à sa détermination à défendre les droits des personnes, notamment des plus vulnérables ».

Le 14 avril, disparaissait Georges Kanuma, militant historique de la lutte contre le sida au Burundi, notamment au sein de l'ANSS (Association nationale de soutien aux séropositifs-ves et malades du sida), partenaire de longue de AIDES et membre cofondateur de Coalition PLUS. Il avait 38 ans. Il avait notamment contribué à créer Africagay contre le sida. «Tant que je serai en vie, je me battrai pour le respect des droits des homosexuels, qui souffrent, meurent, se suicident parce qu'ils ont une orientation sexuelle naturellement différente ». C'est ce qu'expliquait Georges Kanuma, lors d'une interview au journal TÊTU le 25 février 2010. Coalition PLUS lui avait consacré un portrait, évoquant « un ardent défenseur des droits des homosexuels, des droits de l’homme, et infatigable militant de la lutte contre le VIH/sida au Burundi ». C'est là qu'il avait initié le programme à destination des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres autres hommes (HSH) au sein de l’ANSS, la principale association de lutte contre le sida de ce pays. Lancé en 2009, avec l’appui technique de AIDES et de Sidaction, le projet avait comme but général d’intégrer les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes aux programmes de prévention et de prise en charge globale déjà existant au sein de l’association. Ce tour de force l'est d'autant plus qu'il a été fait dans un pays où il est particulièrement difficile d'être gay. D'ailleurs, trois mois après l’initiation du projet HSH dans les programmes de l’ANSS, le gouvernement burundais promulguait une loi pénalisant l’homosexualité ; cette loi était d'ailleurs venue perturber les activités de l’ANSS, mais « grâce à l’engagement de leaders comme Georges pour la défense des droits des minorités sexuelles au Burundi, le combat ne s’essouffle pas et les HSH de Bujumbura ont accès à un programme solide », indiquait alors Coalition PLUS. Tout au long de son parcours militant, Georges Kanuma a mené de front le combat pour les droits des gays en Afrique et celui contre le VIH. Le militant avait également fondé le Rainbow Candle Light, réunissant « des personnes qui voulaient militer en étant ouvertement gay » sur un continent où il ne fait pas bon l'être.

Le 21 avril 2010, décédait Jean Le Bitoux, l’une des grandes figures du mouvement homosexuel français. Il avait 61 ans. Né en 1948, à Bordeaux, Jean Le Bitoux rompt assez vite avec sa famille. Ce n’est pas spécifique de l’époque, mais son milieu familial refuse son homosexualité. Cette émancipation, il va, heureusement, la vivre dans les années 70 ; période où la fronde et la contestation des normes sociales a de beaux jours devant elle. D’abord engagé dans les milieux maoïstes, Jean Le Bitoux y rencontre une forte homophobie. Dans la nécrologie qu’elle publie le 27 avril 2010 dans Le Monde, Anne Chemin rappelait que Simone de Beauvoir lui avait conseillé, à cette époque : « Si le mouvement révolutionnaire a du mal à vous accepter, vous n'avez qu'à être plus révolutionnaire que les révolutionnaires ». Ce conseil sera mis à profit. Jean Le Bitoux milite alors dans les milieux radicaux gays. À Nice, où il vit alors, il crée, début des années 70, un groupe du Front homosexuel d'action révolutionnaire (Fhar). Le Fhar sera un des mouvements clefs dans l’émergence d’un militantisme LGBT en France. Il pousse le militantisme jusqu’à s’engager en politique. Il est « candidat homosexuel » aux législatives de 1978, aux côtés de Guy Hocquenghem. Le combat d’alors porte sur la dépénalisation de l’homosexualité, héritée du régime de Vichy. En 1979, Jean Le Bitoux fonde, avec d’autres personnalités comme Gérard Vappereau ou Jacky Fougeray, le magazine Gai Pied, la première publication gay vendue à grande échelle en kiosque. Gai Pied fait appel à des intellectuels-les, dont Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, etc. IL sera durant des décennies le phare des médias LGBT en France. Jean Le Bitoux, en désaccord avec la ligne éditoriale, quitte le journal en 1983, mais restera tout au long de sa vie militant. À double titre, sur les questions LGBT et dans la lutte contre le sida. Vivant avec le VIH, Jean Le Bitoux s’engage avec AIDES, dès 1985. Il va y créer, avec d’autres militants-es, le groupe Pin’AIDES, groupe de prévention LGBT. Des années durant, il poursuivit ce combat au sein de différentes structures associatives LGBT dont il fut le directeur. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas connu, on peut conseiller la lecture de plusieurs ouvrages qui reviennent sur quelques-uns de ses grands combats. C’est le cas de Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, ouvrage réalisé avec Pierre Seel, déporté homosexuel français, et qui revient sur la reconnaissance de la déportation des homosexuels en France (Calmann-Lévy, 1994). Il était revenu sur ce sujet auquel il consacra plusieurs années de sa vie militante dans Les Oubliés de la mémoire (Hachette Littératures, 2002). Sur son parcours de militant et d’observateur du monde gay, il faut se reporter à Citoyen de seconde zone, un ouvrage écrit en collaboration avec Hervé Chevaux et Bruno Proth (Hachette, 2003) et Entretiens sur la question gay (éditions H&O, 2005).

En ce mois d'avril 2010, cela fera dix ans que ces trois importantes figures de la lutte contre les discriminations et de la lutte contre le sida, ont disparu. AIDES et ses militants-es leur rendent hommage.

Commentaires

Portrait de jl06

Rose de Jericho plante de la résurrection dinosaure fougère | Etsy