Confinement et modélisations

19 Juin 2020
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Des centaines de milliers, voire des millions, de morts du Covid-19 dans chaque pays ? Ce scénario noir a convaincu certains gouvernements d'opter pour le confinement, mais des voix s'élèvent désormais pour critiquer l'« alarmisme » des simulations sur lesquelles il était fondé. « On a donné un poids beaucoup trop important à ces modélisations », assure ainsi à l'AFP le Pr Jean-François Toussaint, directeur de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (Irmes). « Le cas le plus flagrant, c'est celui des 500 000 morts qui ont fait basculer les gouvernements : c'est l'exemple typique d'une utilisation pas très sérieuse de la science », renchérit un autre scientifique français opposé au confinement, Laurent Toubiana. Il fait référence à des travaux qui ont eu une influence considérable après leur publication par l'Imperial College de Londres le 16 mars. Signés par l'équipe du Pr Neil Ferguson, ils prévoyaient jusqu'à 510 000 morts en Grande-Bretagne et 2,2 millions aux États-Unis si rien n'était fait pour contenir l'épidémie. Dans la foulée, la France, le Royaume-Uni et d'autres pays d'Europe avaient opté pour un confinement strict, rappelle l’AFP. « On a préféré écouter les gens les plus alarmistes », explique Laurent Toubiana, en soulignant que le nombre réel de morts est largement inférieur à ces scénarios du pire. Ces derniers ont été élaborés grâce à des modélisations, simulations informatiques fondées sur ce qu'on sait de la maladie au moment où on les réalise (en termes de contagiosité, de mortalité, etc.). « Ces modèles mathématiques dépendent d'un trop grand nombre de facteurs pour être fiables », juge le Pr Toussaint. Dans le cas de la Covid-19, maladie nouvelle et donc mal connue, « les conditions de base nous échappent », ce qui peut aboutir à « des déviations extrêmement fortes » entre les prédictions des modèles et la réalité. De leur côté, les spécialistes des modélisations font valoir qu'elles ne sont pas des « boules de cristal », mais des outils qui envisagent le pire afin de pouvoir l'éviter. « Une modélisation ne doit pas être interprétée comme donnant un résultat absolu : c'est une photographie à l'instant T qui repose sur les dernières données connues, un peu comme un sondage », avait expliqué, mi-mai, à l'AFP Nicolas Hoertel, psychiatre et modélisateur à l'hôpital Corentin-Celton près de Paris. Il avait alors cosigné une modélisation selon laquelle le confinement avait permis de sauver 100 000 vies en France. « Il y a certes des limites importantes » aux modélisations, « mais à ce stade ce sont les seuls outils scientifiques dont on dispose pour éclairer une décision sur l'aspect sanitaire », avait-il poursuivi. En outre, les décideurs assurent que les modélisations n'étaient pas le seul critère pour passer au confinement en mars. « On s'est appuyé bien sûr sur les modélisations (...) Une des modélisations par exemple estimait que nous allions, si on ne confinait pas, vers 120 000 ou 150 000 décès », a affirmé dimanche 7 juin sur BFMTV Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique chargé d'éclairer le gouvernement français pendant l'épidémie. « Mais les modélisations ne sont que des modélisations », a-t-il ajouté, en notant que les observations de terrain avaient aussi pesé, puisqu'on constatait alors un afflux massif de malades du Covid-19 dans les hôpitaux. En outre, le choix final était bien « une décision politique », a-t-il souligné.