Drogues : la France manque de pragmatisme

22 Mars 2019
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La France s'affranchira-t-elle un jour de sa philosophie répressive en matière de drogues ? À la veille d'une commission de l'Onu pour orienter les politiques sur les stupéfiants des dix prochaines années, plusieurs organisations non gouvernementales soulignent les paradoxes du pays, explique l’AFP. Principal organe de décision des Nations Unies pour le contrôle des drogues, la Commission des stupéfiants s’est déroulée (14 et 15 mars), comme chaque année à Vienne. Son cru 2019 est particulièrement attendu : les États membres doivent s'accorder sur une feuille de route internationale pour les dix prochaines années. Nicolas Prisse, le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), compte défendre à Vienne « une position pragmatique, équilibrée », a-t-il expliqué à l'AFP. Un discours qui souhaite « favoriser la coopération internationale contre le trafic », mais qui promeut aussi « une approche sanitaire fondée sur la réduction des risques ». En France, l'action de la police s'accompagne ainsi de politiques nouvelles, avec, par exemple, l'ouverture depuis 2016 de deux salles de consommation à moindre risque (l'une à Paris, l'autre à Strasbourg), dans une phase expérimentale alors qu’elles existent, avec succès, dans d’autres pays depuis très longtemps. Des salles de consommation à moindre risque qui permettent aux personnes consommatrices de s'injecter dans un environnement surveillé et de nouer un dialogue avec des médecins et des professionnels-les du médico-social. Néanmoins « l'esprit répressif de la loi demeure et nous empêche d'avancer », déplore Nathalie Latour, déléguée générale de Fédération addiction, une association qui fédère des milliers de professionnels-les de santé. Le cannabis thérapeutique est ainsi considéré par les autorités comme « le cheval de Troie d'un usage récréatif », selon elle. Autre exemple à Paris, où les personnes consommatrices de crack s'entassent continuellement sur un terrain en pente adossé au périphérique surnommé « la Colline ». « Le premier pas essentiel pour les sortir de là, c'est de pouvoir accompagner leur consommation", estime Nathalie Latour. Un vœu pieux pour le moment, car l'accès à la salle de consommation à moindre risque est réservé aux personnes usagères injectrices et exclut celles qui sont fumeuses de crack. Militants-es et professionnels-les attendent un décret du ministère de la Santé depuis quasiment un an pour modifier le règlement. « C'est ubuesque », estime Nathalie Latour. « La réduction des risques reste encore associée à l'idée d'une incitation à l'usage. Cela nous fait perdre énormément de temps ». Les organisations non gouvernementales françaises regardent avec intérêt l'exemple du Canada, qui vient de légaliser totalement le cannabis, sans être mis au ban de la communauté internationale. « Cela change la donne », observe Bechir Bouderbala, membre de l'association d'usagers de cannabis Norml France, interrogé par l’AFP. Le « pragmatisme » revendiqué par la France s'est pour l'instant toujours arrêté au seuil de la législation de 1970, qui prohibe l'usage de tous les stupéfiants. L'amende forfaitaire de 200 euros récemment votée épaissit le millefeuille répressif et conserve un caractère délictuel, comme le dénoncent de nombreuses ONG. Les associations spécialistes regrettent « une occasion manquée » d'adopter une contravention, qui aurait permis de dépénaliser. « Si la guerre à la drogue est dépassée, pourquoi la France continue-t-elle à réprimer l'usage simple ? », s'interroge Enzo Poultreniez, responsable Plaidoyer chez AIDES, interrogé par l’AFP. La société canadienne est « totalement différente », avance Nicolas Prisse, de la Mildeca. Dans une France premier consommateur européen de cannabis, légaliser serait irresponsable car « contrairement à eux, nous avons déjà un vrai problème d'hyper-accessibilité des jeunes à l'alcool et au tabac », avance le responsable français. Dans ce contexte international mouvant, l'enjeu de la Commission des stupéfiants, « c'est d'avoir une déclaration qui ne revienne pas sur les acquis des dernières années », explique Céline Grillon de Médecins du Monde. En 2016, l'Onu a commencé à remettre en cause l'héritage de la « guerre contre les drogues » lancée par l'ancien président américain Richard Nixon. Une Assemblée générale extraordinaire consacrée à la question des stupéfiants a voté une résolution novatrice, qui vise « une société exempte de tout abus de drogues », et non plus un « monde sans drogues ». Le texte accorde aussi une plus large place à la prévention et au soin. Mais les pays les plus conservateurs comme la Russie, où sévit l'épidémie de sida, souhaitent aujourd'hui « un retour en arrière », rappelle Céline Grillon. Avant la réunion de Vienne, l'International Drug Policy Consortium, un organisme rassemblant plus de 170 ONG, a consacré un rapport à « l'échec » de la « guerre contre les drogues » en se basant principalement sur les données de l'Onu. Il pointe une explosion des décès liés aux drogues dans le monde et des consommations en nette hausse. Malgré les milliards consacrés à la répression, le trafic de drogues pèse chaque année entre 425 et 650 milliards de dollars, selon le document.