Faux médicaments : un trafic meurtrier

24 Janvier 2018
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Vaccins, antirétroviraux, antipaludéens contrefaits : l'Afrique est devenue le terrain de jeu préféré des trafiquants de faux médicaments, un business lucratif qui fait des centaines de milliers de victimes. Le chiffre d’affaires généré par la contrefaçon est estimé au minimum à 10 ou 15 % du marché pharmaceutique mondial, soit 100 à 150 milliards de dollars, voire 200 milliards, selon une étude du World economic forum, citée par l’AFP. Un chiffre qui a quasiment triplé en cinq ans. "Pour vendre des faux médicaments, il faut avoir une clientèle, or les malades pauvres sont plus nombreux sur le continent africain que partout ailleurs dans le monde", explique à l'AFP le professeur français Marc Gentilini, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales et ancien président de la Croix-Rouge française. Selon lui, des vaccins délivrés il y a quelques années contre une épidémie de méningite au Niger étaient des faux, alors que cette maladie tue plusieurs milliers de personnes chaque année dans ce pays. Un médicament sur dix dans le monde est une contrefaçon, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce chiffre peut atteindre sept sur dix dans certains pays, notamment en Afrique. Cette foire aux faux médicaments est parfois le fait de responsables de santé publique corrompus, qui font leur marché au rabais en Chine et en Inde, où sont fabriqués l'essentiel de ces produits, indiquent les expert-e-s. Au moins 100 000 personnes meurent chaque année en Afrique à cause de faux médicaments, selon l'OMS. D'après l'American journal of tropical medecine and hygiene, 122 000 enfants de moins de cinq ans sont décédés en 2013 en Afrique subsaharienne après avoir pris des antipaludéens contrefaits. "C'est un double crime sanitaire et social : le fait de tuer des malades et des malades pauvres", déplore Marc Gentilini. Interpol a annoncé en août 2017 la saisie de 420 tonnes de produits médicaux de contrebande en Afrique de l'Ouest, dans le cadre d'une vaste opération qui a mobilisé des forces de police, des douanes et d'agences de réglementation des produits de santé de sept pays : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Nigeria et Togo. "Le business de la contrefaçon des médicaments arrive en tête des trafics illicites", affirme Geoffroy Bessaud, directeur de la coordination anti-contrefaçon du groupe pharmaceutique français Sanofi. Il rapporte même plus que le trafic de cannabis, selon le World Economic Forum. "Ce phénomène prend de l’ampleur : l'attractivité financière est, en effet, très forte et des organisations criminelles de toutes tailles sont impliquées dans ce trafic", souligne-t-il. "Un investissement de 1 000 dollars peut rapporter jusqu’à 500 000 dollars alors que pour le même investissement, le trafic d’héroïne ou de fausse monnaie rapporte 20 000 dollars". "Le trafic de faux médicaments est un des principaux fléaux du 21e siècle", accuse-t-il. Les expert-e-s rappellent que les criminels profitent du fait qu'à l'inverse du trafic de stupéfiants, le commerce de faux médicaments demeure largement impuni dans le monde, étant considéré comme un simple délit de violation de la propriété intellectuelle, alors qu'il est pourtant responsable de centaines de milliers de morts par an, déplore l'Institut international de recherche anticontrefaçon de médicaments (Iracm), basé à Paris, dans un rapport. Face à un "drame universel", les spécialistes appellent à une mobilisation internationale. Le groupe Sanofi affirme avoir démantelé en 2016, 27 laboratoires clandestins, dont 22 en Chine, en Indonésie, en Ukraine, en Pologne. Le groupe dispose d'un système de gouvernance qui détecte les produits contrefaits et les achemine à son laboratoire central d'analyse de contrefaçon à Tours. Mais les Etats pauvres n'ont, eux, pas les moyens suffisants pour s'attaquer réellement aux trafiquants de médicaments, qui innovent en permanence pour échapper aux contrôles. Les gouvernements africains, qui ont beaucoup d'autres préoccupations, n'ont pas la possibilité de mettre à la disposition des douaniers et des policiers les moyens nécessaires pour une contre-attaque efficace", souligne le professeur Gentilini.