Homophobie et code pénal suisse

7 Février 2020
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Le 9 février prochain, les Suisses sont appelés aux urnes pour ajouter l’homophobie à la norme pénale antiracisme. On doit cette initiative au conseiller national Mathias Reynard (PS/VS). Une initiative qu’entend contrecarrer Marc Früh, représentant romand du parti religieux (UDF) à la base du référendum. Les deux élus croisent le fer sur la question, rapporte le quotidien Le Temps. Dans une interview, fin janvier, Mathias Reynard rappelle que la loi actuelle protège « l’ethnie, la race et la religion ». « Quelqu’un qui prétend qu’il est normal que la communauté juive ait subi un génocide sera ainsi condamné. Il est, par contre, possible de soutenir à la télévision sans être inquiété que les homosexuels sont des dégénérés. C’est une lacune juridique », considère-t-il. De son côté, Marc Früh avance : « Nous ne réussirons pas à vivre en paix en passant par le Code pénal. L’apprentissage de la tolérance et du respect mutuel passe par l’éducation, notamment par des lois spirituelles bibliques que l’on retrouve en Jésus-Christ ». L’élu estime que la Constitution fédérale actuelle suffit. Pour Mathias Reynard, la « pratique prouve que des propos violents à l’encontre des homosexuels ont déjà été écrits dans les médias sans que le Tribunal fédéral puisse intervenir à défaut de base légale. Et la Constitution n’est pas directement applicable par la justice », d’où la demande de prise en compte des injures liées à l’orientation sexuelle. Interrogé par le même quotidien, Sébastien Chauvin, professeur associé à l’Unil et auteur d’une « Sociologie de l’homosexualité », rappelle que le projet ne se milite pas aux insultes puisque, si le texte passe, seront désormais interdits « les propos et actes publics » qui portent atteinte à la dignité humaine de personnes en raison de leur homosexualité. Le refus d’une prestation à cause de l’orientation sexuelle d’une personne sera également punissable. Le journal lui demande notamment quel est l’intérêt de pénaliser les propos et actes publics homophobes. « On pourrait d’abord se dire que la pénalisation ne sert pas à grand-chose. De même que la norme pénale antiraciste n’a pas fait disparaître le racisme en Suisse, son extension à l’homophobie ne fera pas s’évaporer d’un coup de baguette les discriminations à l’égard des minorités sexuelles. Quand on interdit une insulte, le monde social est encore là. Mais dénigrer la question des insultes et des appels à la haine serait sous-estimer la violence propre du langage. L’injure ne fait pas que dire la violence ou y inciter, elle est en elle-même une violence. Elle est d’une certaine manière un « décret d’application » des hiérarchies sociales. Les insultes nous précèdent et disent aux personnes discriminées qu’elles sont des êtres insultables. Pénaliser les propos homophobes, c’est donc, en donnant aux gays et aux lesbiennes des outils juridiques pour se défendre, contribuer à les rendre un peu moins insultables ». Mais pour le chercheur, l’enjeu est que « l’homophobie n’est pas présente que dans les discours. Elle se trouve d’abord dans les institutions, les discriminations juridiques à l’encontre des couples, le placard imposé dans le monde du travail par peur de l’ostracisme ou du harcèlement, ou encore la représentation omniprésente de l’hétérosexualité comme évidente – ce qu’on appelle l’« hétéronormativité ». Se faire refuser poliment un emploi ou un appartement est-il moins homophobe que se faire insulter dans la rue ? », interroge-t-il.