Hydroxychloroquine : Le Lancet crée le bazar !

17 Juin 2020
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Le dossier « hydroxychloroquine » n’était déjà pas simple. Il a, ces derniers jours, pris une tournure encore plus singulière. Petit rappel. Lundi 1er juin, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décide de suspendre la partie consacrée à l’hydroxychloroquine de son initiative Solidarity de recherche sur un traitement du Covid-19, à la suite de la publication d'une étude dans la revue scientifique The Lancet, le 22 mai. Celle-ci concluait que ce traitement pourrait augmenter le risque d'arythmie cardiaque et de décès. L’étude disait porter sur quelque 96 000 dossiers médicaux de personnes traitées pour le Covid-19 dans le monde entier (671 hôpitaux). Effet domino, plusieurs pays décident, à leur tour, de suspendre les essais en cours (ils sont nombreux) avec l’hydroxychloroquine. C’est vrai pour l’essai européen Discovery, piloté par la France ; essai qui est une émanation de Solidarity. Cette suspension est annoncée comme temporaire. Elle vise à vérifier si les résultats inquiétants de l’étude publiée dans The Lancet se retrouvent ailleurs dans d’autres études cliniques. Les conclusions de l’étude publiée dans The Lancet conduisent le ministre de la santé Olivier à prendre un arrêté d’interdiction de la prescription de ce traitement dans le cadre du traitement du Covid-19. La situation est la suivante : les personnes qui sont déjà incluses dans un essai et qui prennent de l’hydroxychloroquine peuvent continuer, mais avec une surveillance médicale optimale. Les essais incluant ce traitement ne peuvent plus recruter de nouveaux patients. En France, on ne doit plus prescrire cette molécule dans le traitement du Covid-19. L’emploi de ce médicament dans ses indications thérapeutiques antérieures est possible. Dans la foulée de sa parution, des chercheurs-euses, de plus en plus nombreux, commencent à exprimer leurs doutes sur l'étude publiée par The Lancet. Les doutes émanent même de scientifiques qui sont sceptiques sur l'intérêt de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19. Le 28 mai, une lettre ouverte, émanant de dizaines de scientifiques du monde entier, souligne que l'examen minutieux de l'étude soulève « à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données ». Ces données émanent de Surgisphere, qui se présente comme une société d'analyse de données de santé, basée aux États-Unis. À ce moment-là, les auteurs de l’étude, le Dr Mandeep Mehra et ses collègues, la défendent. « Nous sommes fiers de contribuer aux travaux sur le Covid-19 » en cette période d'« incertitude », explique Sapan Desai, patron de Surgisphere, à l’AFP, le 29 mai. Reste que la polémique ne faiblit pas. Submergée de critiques de scientifiques du monde entier, l'étude sombre jeudi 4 juin. L’estoc en est la rétractation de trois de ses quatre auteurs. « Nous ne pouvons plus nous porter garants de la véracité des sources des données primaires », écrivent les trois auteurs au Lancet, mettant en cause le refus de la société les ayant collectées, dirigée par le quatrième auteur (Sapan Desai), de donner accès à la base de données sur lesquelles se fonde leur travail. Pas d’autre solution pour la revue scientifique que de retirer ledit papier, ce qui est très rare et qui n’est pas sans conséquence pour la réputation de la revue. Le 3 juin, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indique qu’elle va reprendre ses essais sur l'hydroxychloroquine [dont Solidarity, ndlr] comme traitement potentiel contre le nouveau coronavirus, « suspendus à titre de précaution ». « Le comité directeur de Discovery [essai européen, ndlr] (…) va envisager de reprendre les inclusions dans le bras hydroxychloroquine », indique, le 4 juin, l'Inserm, qui chapeaute l'étude. Le groupe d'experts-es indépendants chargé d'analyser les données intermédiaires de l'essai clinique s'est réuni le 3 juin et « recommande, sur la base de l'examen des données actualisées de Discovery, la poursuite de l'étude telle qu'initialement prévue » , précise l'institut de recherche. La décision du comité directeur sera prise « en lien avec les autorités compétentes dans les pays où se déroulent l'essai (en premier lieu l'ANSM) », l'agence française du médicament, ajoute-t-il. De son côté, le groupe pharmaceutique français Sanofi, qui avait annoncé, fin mai, suspendre le recrutement de nouveaux patients-es dans le cadre de ses deux essais cliniques sur l'hydroxychloroquine, indique, de son côté, qu'il va examiner les informations disponibles et mener des consultations afin de décider s'il reprend ses essais. Évidemment, cette affaire tombe au plus mal, alors que l’air du complot est déjà en vogue concernant ce traitement. Reste que si l’étude publiée dans The Lancet est critiquée (et manifestement à juste titre), il n’en demeure pas moins que d'autres travaux, à plus petite échelle et non contestés, étaient parvenus à la même conclusion qu'elle. C’est d’ailleurs pour cela que la publication du Lancet a eu ce retentissement mondial. C’était la première fois que des conclusions étaient tirées sur un groupe (des dizaines de milliers de participants-es) aussi important. Il est donc regrettable et préjudiciable aux débats scientifiques que l’étude soit entachée d’irrégularités. Enfin, il faut noter que si les études avec l'hydroxychloroquine sont reprises, y compris en France, c’est bien le signe, qu’à ce stade, aucun « signal » permettant de conclure à l'efficacité de l'un ou l'autre des traitements testés ne se dégage pour l'instant. Cela veut dire aussi que l'hydroxychloroquine n’est pas la martingale que certains veulent vendre à l’opinion publique.