Immigration : débat vicié

3 Mars 2022
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À droite et à l'extrême droite, le « sujet migratoire » est omniprésent dans la campagne présidentielle, alors même que la question est loin d’être prioritaire dans l’opinion publique. Elle occupe une place démesurée dans le débat et fait l’objet d’une surenchère. Le phénomène n’est pas nouveau, mais semble prendre de plus en plus d’importance à chaque scrutin. « Le pourcentage d'immigrés, la réalité de l'immigration, n'a jamais eu de rapport avec l'omniprésence de la question dans certaines franges politiques. C'est un sujet cyclique et nous sommes au pic d'un cycle », observe l'historien Pascal Blanchard, auteur de l' « Atlas des immigrations » (2021, Autrement). Aujourd’hui, la France est en dessous de la moyenne européenne par le nombre d'étrangers-ères sur son sol (7,6 %), 15e sur les 27 pays de l'Union européenne d'après Eurostat. Comment expliquer, alors, que la question soit si brûlante et si caricaturalement et détestablement traitée lors des élections ? « Pour être élu, il faut forcément mobiliser le nous français. Dans le passé, la gauche est parvenue à contrer ce discours identitaire en privilégiant la question sociale et en l'élargissant aux questions humanitaires », relève Gérard Noiriel, historien spécialiste de l'immigration, cité par l’AFP.  Pour lui, « ce qui distingue le plus notre époque, ce n'est pas l'ampleur de l'immigration, mais la tension de plus en plus vive entre un champ politique qui reste national et les autres sphères d'activité qui sont déjà fortement mondialisées », comme l'économie ou l'immigration. À une époque où la moindre affirmation des candidats-es est soumise à vérification, « la bataille de chiffres pour savoir s'il y a 250 000 ou 300 000 immigrés entrés en France n'est pas le sujet », poursuit-il. « Pour leurs électeurs, qu'ils soient 7 %, 10 % ou 14 %, c'est de toute façon trop. Ce n'est pas rationnel, ça joue sur des réalités visuelles, comme lorsqu'on a entendu que l'équipe de France (de football) n'était plus l'équipe de France car il y a trop de Noirs ». « Ne parler que de chiffres est une impasse », juge également l'actuel patron de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, Didier Leschi. « La question n'est pas « est-ce qu'il en faut plus ou moins ? », mais celle de l'intégration », dans un pays où l'immigration est « en grande partie liée à l'échec des espérances portées par la décolonisation », considère Didier Leschi. Et d’expliquer : « Aujourd’hui, le débat est porté par des gens qui font fi de la question sociale et focalisent l'attention sur les difficultés d'une partie de l'immigration qui a du mal à s'intégrer ». Le « décalage complet entre réalité de l'immigration, relativement faible, et le ressenti ou l'affirmation » d'une pression migratoire insoutenable donnent à cette campagne « un côté anachronique », constate le démographe Hervé Le Bras.  Et quand bien même faudrait-il répondre en se basant purement sur les chiffres, le compte n'y est pas, explique-t-il.  « En 2019, selon l'Insee, il y a eu 109 000 immigrés de plus en France. Alors sur 67 millions de Français, combien de temps faudra-t-il pour qu'il y ait un grand remplacement ? », ironise, caustique, le démographe.