Immigration : nouveau rapport

5 Février 2020
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« Immigration : des propositions-chocs pour « simplifier » et « ouvrir » le droit au séjour ». C’est ainsi que Le Monde a annoncé le 21 janvier dernier la sortie d’un rapport réalisé par « un collège de onze experts » adressé au président de la République et au gouvernement. Intitulé : « Pour des politiques migratoires conformes à toutes les exigences de la République », ce rapport n’est pas une commande des pouvoirs publics. Ses auteurs-trices sont issus-es « de la haute administration, du monde de l’entreprise, syndical, associatif ou universitaire » (1). « Alors que le gouvernement cherche à enrayer l’augmentation du nombre de demandes d’asile, à durcir les critères de naturalisation ou à renforcer la lutte contre la fraude en matière de regroupement familial, un groupe d’experts sur l’immigration prend le contre-pied de la politique en vigueur », explique le quotidien du soir. Alors que proposent ces experts-es ? Le rapport fait une centaine de pages et défend une autre façon d’aborder la politique d’immigration… enfin pas tout à fait non plus. Ainsi, les auteurs-trices placent la gouvernance de la politique d'immigration dans une dynamique interministérielle sous l'égide d'un Haut-commissaire à l'Asile et à l'Immigration dépendant du Premier ministre et préconisent, par exemple, un projet de convention internationale en faveur des déplacés-es environnementaux. Mais on voit bien à la lecture dudit rapport que l'idée de base est de traiter rapidement les demandes asile et les demandes de titre de séjour dans les six premiers mois de l'arrivée sur le territoire et de renvoyer les personnes qui n'auraient pas droit à un titre de séjour dans leur pays d'origine. Le rapport propose, entre autres, de refondre les titres de séjour autour de six catégories (étudiant-e, famille, économique, asile, humanitaire, aller/retour...). Le titre de séjour « humanitaire » serait délivré « aux personnes dont le maintien en France s'impose en raison de leur vulnérabilité » et permettrait d'englober les situations suivantes qui ne relèvent pas de la protection au titre de l'asile : pathologies somatiques et psychiques lourdes pour lesquelles les prises en charge ne sont pas accessibles dans les pays d'origine ; violences et traumatismes subis lors du parcours migratoire ; traite des êtres humains ; violences répétées, notamment conjugales et familiales sans que les victimes ne puissent trouver la protection attendue des autorités ; situations liées à la présence d'enfants. L'actuel titre de séjour pour soins dépendrait du titre de séjour humanitaire. Le rapport indique. « Si le dispositif « étrangers malades » constitue un embryon de dispositif de protection humanitaire, son champ d'application reste relativement limité et ses modalités de mises en œuvre trop étroitement liées aux orientations de politique migratoire portées par le ministère de l'Intérieur » (voir en page 60 du rapport).
Le rapport rejette le délai de carence de trois mois pour les personnes demandeuses d’asile ; ce qui est aussi une revendication des ONG de défense des droits des étrangers-ères. 
Malgré le choix éditorial du titre du Monde qui a dévoilé ce rapport, celui-ci n’est pas subversif pour autant. Reste qu’il tacle l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) en pointant « le défaut de transparence quant à la documentation permettant d'apprécier l'accessibilité aux traitements dans les pays d'origine ». Un sujet crucial pour les personnes vivant avec le VIH et les hépatites virales, dont certaines sont désormais renvoyées dans leur pays. Le rapport note aussi qu’en matière d’évaluation médicale l’Ofii a une « pratique nettement plus restrictive » que celle menée auparavant par les Agences régionales de santé. Concernant la protection sociale, le rapport rappelle que « la santé des personnes et la santé publique ne sauraient constituer une variable d'ajustement des échecs de la politique migratoire » et défend la « coopération sanitaire et hospitalière [pour] permettre ainsi à certains pays d'origine de la migration de personnes malades - comme la Géorgie dans la période récente - de mieux prendre en charge ces maladies sur leur territoire ». À noter (c’est une surprise pour ce type de document) que ce rapport ne fait quasiment aucune référence à des travaux de recherche, des rapports officiels ou provenant de la société civile… on trouve deux mentions de constats ou propositions faits par le Défenseur des droits, dont la recommandation de la fusion de l'AME dans le régime général de sécurité sociale. Les auteurs-trices sont d’ailleurs pour la fusion de l’AME dans la Puma et donc l’Assurance maladie, ce que demandent depuis longtemps des associations. Cette absence de sources et de références conduit à ce que certaines affirmations se révèlent peu étayées. Outre l’article du Monde, on trouve un article de commentaires et d’analyses concernant les 25 mesures du rapport fait par Mediapart (21 janvier).

(1) : On trouve notamment Pascal Brice (ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides/Ofpra), Jean-François Carenco (préfet honoraire et président de l’association d’hébergement Coallia), Luc Derepas  (ancien directeur général des étrangers en France (de 2012 à 2015) au ministère de l’intérieur, Patrick Weil (historien, spécialiste des migrations), ou encore Olivier Gainon (ancien responsable au Medef).