Journal visuel d’un artiste séropositif

17 Mai 2023
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Clifford Prince King est un artiste noir américain ouvertement gay et séropositif. Ses photos et vidéos sont principalement axées sur l'intimité des Noirs-es, souvent queer, dans un cadre domestique. Elles ont été largement exposées, notamment au Los Angeles County Museum of Arts et au MASS MoCA (Massachusetts Museum of Contemporary Art). Sa première monographie, Orange Grove, rend compte d'une vie vécue et imaginée par un jeune homme en train de s'émanciper. À l’occasion de la sortie de ce livre, l’artiste, âgé de 30 ans, a accordé un entretien au site Poz. Clifford Prince King revient sur l’impact du VIH sur sa vie et son œuvre : « Avant mon diagnostic en 2018, j'avais un an de liberté sexuelle derrière moi. À l'époque, mon rapport au VIH était centré sur la douleur et la souffrance, d'après ce que j'avais entendu et la façon dont il avait été dépeint. C'était donc quelque chose que j'évitais ou dans lequel je ne voulais pas nécessairement plonger. C'était comme un fantôme ». Sur la complexité d’être à la fois noir, gay et séropositif, il explique : « Je pense que si je parle autant de mon statut sérologique, c'est pour montrer aux gens qu’on peut être à l’aise avec sa propre séropositivité. Je sais que dans beaucoup de familles noires ou racisées, les parents peuvent craindre pour leurs enfants homosexuels en raison de la façon dont on a toujours parlé de choses comme le VIH. Je pense donc qu'il est important pour elles de voir des gens, comme moi, réussir et accomplir des choses d’une façon profitable, y compris vivre avec le VIH. En ce qui concerne le travail, je connais beaucoup d'artistes qui sont séropositifs, mais ils ne veulent pas nécessairement en parler parce qu'ils ne veulent pas être des activistes ou que leur statut sérologique devienne leur identité ». Parmi les photos marquantes présentées par l’artiste, citons un cliché datant de 2018 intitulé Night Sweats(2018) et pris par Paul Mpagi Sepuya à l’insu de Clifford Prince King. On y voit un lit trempé de sueur. Il s’agit du lit de l’artiste après une nuit de fièvre : « J'aidais Paul au studio et j'étais dans ma période de primo infection du VIH, cette période où vous n'avez pas encore pris de traitement et où vous sentez que votre corps lutte contre quelque chose. Je repense à cette période de ma vie, et c'est comme le voyage d'un héros — déménager à Los Angeles, courir partout et compiler toutes les nouveautés, puis ressentir le ralentissement ou le tournant où tu te demandes si c'est ça ta vie maintenant. Et c'est à partir de ce moment, au plus bas, que j'ai commencé à me reconstruire lentement en continuant à travailler et à retrouver goût à la vie. Cette époque est comme une saga d'événements et, sans vouloir être pompeux, j'ai l'impression que mes photographies agissent comme un journal intime visuel ». Clifford Prince King raconte aussi le décalage qu’il a vécu entre les représentations liées à la vie avec le VIH et sa réalité : « Je ne sais pas trop comment le dire, mais il y a quelque chose dans l'intensité avec laquelle les gens parlent du VIH qui fait que l'expérience du VIH est en fait très différente lorsqu'on la vit. Après mon diagnostic, j'ai commencé à prendre soin de moi en allant plus souvent à la salle de sport et chez le médecin et en prenant des vitamines. Je pensais que le VIH changerait ma vie de toutes ces façons négatives et tout ce que je peux dire, c'est que c’est tout l’opposé ».