La tolérance zéro contre la drogue, un succès qui coûte des vies en Suède

11 Mai 2014
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Si la Suède est fière d'être l'un des pays d'Europe où l'on consomme le moins de drogue, sa politique de "tolérance zéro" pourrait être aussi à l'origine d'une mortalité élevée chez les toxicomanes, explique un reportage de l’AFP (23 avril). La Suède punit sévèrement la consommation de stupéfiants depuis 1988, après avoir essayé pendant deux ans une politique plus tolérante considérée comme un échec. "Le but : une société sans drogue illégale", est le mot d'ordre officiel. Le pays scandinave insiste aussi sur la prévention, avec de grands programmes de sensibilisation dans les écoles voire les maternelles. Les adolescents de 15-16 ans ont l'un des taux de consommation parmi les plus bas d'Europe. D'après l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), seulement 9 % des élèves suédois ont essayé le cannabis, contre 39 % en France, 42 % en République Tchèque et 25 % au Royaume-Uni, en Belgique et aux Pays-Bas. Cette tolérance zéro est soutenue par l’opinion publique. En Suède, si la police soupçonne une personne d'être droguée, elle peut l'arrêter et la contraindre à un test d'urine. Un résultat positif amène systématiquement devant un tribunal. D'après les statistiques officielles, la consommation de stupéfiants représente la moitié des infractions pénales en Suède. Cette politique a des conséquences… dramatiques. En 2011, la Suède comptait presque deux fois plus de décès liés à la drogue que la moyenne européenne, à 35,5 pour 1 million d'habitants selon l'EMCDDA [European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction]. Le nombre a presque quadruplé en quinze ans, de 70 cas en 1995 à 272 en 2010, détaille l’AFP. Pendant cette période, la plupart des pays d'Europe ont mis en place des mesures de prise en charge comme les échanges d'aiguilles pour lutter contre la propagation du VIH. Les morts liées à la drogue ont diminué en Espagne (de 698 à 393), en Allemagne (de 1 565 à 1 237) et en Italie (de 1 195 à 374). Pour Ted Goldberg, ancien professeur en action sociale à l'Université de Stockholm, la rigueur de la loi est responsable de nombreuses morts. "Si on prend de la drogue avec quelqu'un qui fait une overdose, une personne normale appellera immédiatement les autorités", observe-t-il. Mais en Suède, "si les toxicomanes appellent un médecin, ils craignent de voir la police débarquer", explique le chercheur. Des groupes de soutien aux toxicomanes déplorent la rigidité des conditions requises pour suivre les programmes de traitement à la méthadone, alors que la Suède a tardé à mettre en place des programmes d'échanges de seringues. Les villes de Lund et de Malmö (Sud) ont longtemps fait figure d'exception avec leurs programmes dans les années 1980. Ce n'est qu'en 2006 que le Parlement a adopté une loi autorisant toutes les régions à en mettre en place. Aujourd'hui, trois seulement des 21 régions de Suède, en ont un, et Stockholm seulement depuis avril 2013.