LGBT : Le DPN attaqué en justice

15 Juillet 2020
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Quatre associations LGBT (Mousse, Stop Homophobie, Familles-LGBT et Adheos) ont déposé, lundi 6 juillet, un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État contre le tout nouveau « dossier pénal numérique » (DPN) destiné à numériser la totalité de la procédure judiciaire, l'accusant de permettre le « fichage des homosexuels », explique l’AFP. Le DPN est issu de la réforme de la justice de mars 2019. Il est entré en vigueur le 25 juin avec la parution d'un décret d'application au Journal officiel. Outil de la dématérialisation de la procédure pénale, de la plainte jusqu'au jugement, le DPN doit selon le décret « permettre de rendre la justice pénale plus efficace en la modernisant et en la simplifiant (...), de rendre plus effectives les décisions des magistrats, de donner plus de sens à leur mission et de rétablir la confiance des citoyens en la justice ». Comme le rapporte l’AFP, ce nouveau système de traitement informatisé pourra permettre l'enregistrement de différents actes d'enquêtes (procès-verbaux, expertises, rapports, etc.) et d'informations à caractère personnel sur les témoins, les victimes ou les personnes mises en cause (mis en examen ou témoins assistés) en lien avec l'affaire. Ces informations pourront être, selon le décret, « de la nature de celles mentionnées » dans l'article 6 de la loi « Informatique et libertés » de 1978, qui vise - entre autres - « la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique ». Sauf pour les personnes soupçonnées d'infractions à caractère sexuel, il s'agit d'une « collecte inutile et disproportionnée », dénonce dans un communiqué l'association Mousse, qui a déposé le recours avec trois autres associations. « Une fois stockées dans le dossier en ligne, ces informations seront accessibles à de nombreux intervenants, que le décret ne définit par précisément. Outre les juges, procureurs, avocats et parties, « toute administration, établissement, autorité ou personne publique ou privée, autorisé en vertu de dispositions législative ou réglementaire spécifiques, à se voir communiquer tout ou partie d'un dossier pénal ou d'une décision » pourra accéder à ces informations relatives à l’orientation et à la vie sexuelle », dénonce le communiqué. De son côté, pour Me Étienne Deshoulières, avocat des associations : « Créer de nouveaux fichiers sur l’orientation sexuelle des personnes, c’est rouvrir une page de l’histoire de France qu’on croyait définitivement tournée. Jusqu’en 1982, la préfecture de police de Paris détenait des fichiers sur les homosexuels. Ces fichiers ont été à l’origine d’un harcèlement des homosexuels jusqu’à la fin des années 1970, avec près de 10 000 condamnations pour homosexualité en France entre 1945 et 1980 ». « Consigner l'orientation sexuelle des témoins et victimes est contre-productif. Cela va dissuader les victimes de porter plainte et les témoins de venir témoigner. C'est inacceptable ! », s'insurge Frédéric Hay, président de l'association Adheos. C’est pourquoi Mousse et ses partenaires ont formé un « recours pour excès de pouvoir contre le fichage des homosexuels, lequel présente des risques importants pour les droits et libertés des personnes ».

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Portrait de jl06

«Le jour où on acceptera pleinement la communauté LGBT+, le coming out n'existera plus»

Annoncer son identité sexuelle n'est pas toujours considéré comme une nécessité. | Maico Pereira via Unsplash Annoncer son identité sexuelle n'est pas toujours considéré comme une nécessité. | Maico Pereira via Unsplash «Notre rêve, c'est de vivre dans un monde où l'on n'aurait plus besoin de faire de coming out», confient Elise Goldfarb et Julia Layani. À l'occasion du mois des fiertés, les deux entrepreneuses ont imaginé un podcast, Coming out (avec Spotify France), dans lequel des personnalités plus ou moins connues reviennent sur la façon dont elles ont annoncé leur homosexualité.

Leur ambition? Représenter une génération qui a décidé d'accepter son identité et ne souhaite plus devoir justifier sa sexualité. Les stories Instagram aux couleurs arc-en-ciel en témoignent: le monde globalisé, encouragé par la société de consommation hyper gay-friendly, tendrait à devenir plus inclusif, et les minorités plus visibles. Le mot d'ordre est simple: «venez comme vous êtes». Mais alors que l'inclusion est au cœur des débats, pourquoi devoir (encore) signaler sa différence? Beaucoup parmi la jeune génération ne se reconnaissent plus dans cette pratique qu'ils jugent has been.

«Les hétérosexuels te gracient en te disant “on t'accepte”. La question n'est pas d'accepter ou pas. C'est comme ça.»

Matis

«Les hétérosexuels ne font pas de coming out pour dire qu'ils sont hétéros, je ne vois pas pourquoi je devrais en faire un pour dire que je suis homosexuel», s'insurge Matis. Cet étudiant en communication à Paris a décidé de ne pas faire «de déclaration officielle».

«Tout le monde le sait, raconte-t-il. Au lycée, je n'ai pas voulu faire la démarche d'aller voir les personnes que je connaissais pour leur en parler. Ça s'est fait naturellement quand je suis arrivé en études supérieures. J'ai rencontré des nouvelles personnes et je n'ai eu aucune difficulté à leur dire que j'aimais les garçons. Pour ma famille, ils l'ont su lorsque je leur ai montré des photos de mon copain au gala de fin d'année de mon école. C'était un moyen de leur dire sans avoir de longues discussions angoissantes.»

Pour lui, le fait de devoir dire «j'ai quelque chose à vous annoncer» insinue d'emblée l'idée selon laquelle ce ne serait pas normal et conforte l'hétéronormativité de la société dans laquelle nous vivons. «Même si c'est souvent très bienveillant, les hétérosexuels font inconsciemment preuve de mansuétude. Ils te gracient en te disant “on t'accepte”. La question n'est pas d'accepter ou pas. C'est comme ça.»

L'influenceuse Marie Papillon partage cet avis: «Quand on y pense, c'est quand même dingue d'attendre d'être accepté par les autres pour s'accepter enfin soi-même. Le jour où on acceptera pleinement la communauté LGBT+, le coming out n'existera plus». La star d'Instagram raconte avoir fait le sien «uniquement parce que la société [l]'a forcée à le faire».

Refus de l'étiquette

Ne pas vouloir faire d'annonce, c'est aussi refuser d'être catégorisé, rangé dans une case. «Je ne voulais pas devenir le pote gay! ajoute Matis. Je suis complètement à l'aise avec ça et j'en suis fier mais je ne veux pas être défini uniquement par mon orientation sexuelle.»

Comme Matis, Betty ne tient pas à faire de coming out officiel. «Je ne supporte pas l'idée de devoir mettre des mots sur quelque chose que je trouve inutile de définir précisément. Cela varie, cela fluctue et c'est déjà assez difficile pour soi-même.» Cette étudiante de 18 ans en discute librement avec ses ami·es, «ce n'est pas tabou». Avec ses parents, elle «ne parle pas de ces sujets-là» mais pense qu'elle n'aura aucune difficulté lorsqu'elle sera en couple. «Pour beaucoup, le coming out est libérateur, mais l'idée de devoir “sortir du placard”, c'est discriminant et contribue encore à nous mettre en marge de la société.»

Pauline, 25 ans, étudie à Londres. Elle n'a elle non plus pas souhaité vivre ce fameux «moment solennel»«J'ai rencontré ma première copine lorsque je suis allée faire mes études au Royaume-Uni. Cela m'a beaucoup décomplexée car là-bas il n'y avait aucun jugement. Dans mon environnement, c'était normal d'avoir des expériences homosexuelles.» La jeune femme refuse pourtant de «[s]'outter définitivement»«Je ne me connais pas encore assez pour cela, juge-t-elle. J'ai l'impression que je me priverais de certaines rencontres, hommes comme femmes d'ailleurs. Cela me mettrait trop de pression.»

«Cette expression implique une dimension solennelle, un gros événement voire un acte militant.»

Michael Stamboli, sociologue et maître de conférences

Pour elle, la nécessité n'est pas d'annoncer son identité sexuelle mais juste de dire: «Je suis amoureuse!» Le sociologue et maître de conférences à l'Université de Bordeaux Michael Stambolis explique ce choix par la méfiance globale des Français·es à tout sentiment d'appartenance. «En France, il y a une défiance vis-à-vis des identités sexuelles, contrairement aux États-Unis. Il y a une différence entre le fait de s'identifier à une sexualité et celui d'être attiré par une personne de même sexe.»

Certaines personnes y voient –et craignent– aussi une dimension militante. S'il supporte la cause de toutes les minorités sexuelles, Matis se «refuse à toute forme de communautarisme». Le coming out «devient comme un rite de passage obligatoire d'entrée dans la communauté LGBT+. Tant qu'il y aura des communautés, on sera toujours considéré comme l'exotique face à l'endémique.» En France, «le communautarisme légitime beaucoup de demandes, ce qui implique aussi beaucoup de méfiance, estime Michael Stambolis. Ils ont l'impression qu'à partir du moment où ils diront qu'ils sont gays, ils devront partager toutes les valeurs et penser de la même manière.»

Le coming out peut être source de pression, et cela fait peur. «Cette expression charrie un sens qui est plus lourd qu'elle ne l'exprime vraiment. Elle implique une dimension solennelle, un gros événement voire un acte militant. C'est pour cette raison qu'on entend souvent: “je l'ai dit à mes parents mais ce n'est pas un coming out”, poursuit le sociologue. Mais le rejet du coming out n'est pas un rejet de l'homosexualité.»

«Toujours pas de petit Jules?»

Même si la notion de coming out paraît peu attirante, le dire, peut importe la forme, demeure essentiel. «Aujourd'hui, il est encore nécessaire de le faire. Qu'on le veuille ou non, c'est un fait: les homosexuels sont minoritaires. Le poids de la norme reste très important», poursuit Michael Stambolis.

Pour lui, l'hétéronormativité est d'un côté liée au nombre, de l'autre, à la façon dont les codes sont repris par les institutions. «Dans une interaction, on part forcément du principe que l'autre est hétéro avant qu'on ne lui manifeste le contraire. L'idéal serait qu'il n'y ait plus cette présomption par défaut. Mais on en est encore loin. À l'école, le modèle familial reste incarné principalement par le père et la mère. Les projets éducatifs en faveur de l'homosexualité échouent.»

«C'est symptomatique d'une société malade de ses valeurs.»

Joseph Agostini, porte-parole de PsyGay

Marie Papillon l'a souvent vécu: «Quand je rencontrais quelqu'un, c'était systématiquement: “Et toi t'as un copain?” Dans mon entourage c'était: “Et alors, t'as toujours pas de petit Jules?” Selon eux, je répondais à la norme sociale donc j'étais forcément en couple avec un garçon.»

Pour certain·es, c'est une justification permanente. «Je n'ai pas fait un mais des coming out, raconte Gabriel, journaliste de 25 ans. Ça dure toute la vie parce que forcément, les gens partent du principe que j'aime les filles.» Un problème inhérent à l'héritage culturel et à la religion. «C'est symptomatique d'une société malade de ses valeurs, flagellée par la morale et qui n'arrive pas à se remettre en question», déplore Joseph Agostini, le porte-parole de l'association PsyGay (qui lutte contre l'homophobie dans les lieux de soins psychiatriques et psychologiques) et coauteur de Avez-vous le sens de l'amour? Sur les chemins d'une intelligence amoureuse.

Outil imparfait mais nécessaire

Révéler son identité sexuelle, c'est avant tout un moyen de résistance face à la stigmatisation. «Bien qu'elle ait diminué, elle est toujours là. Les injures et agressions homophobes augmentent, Le Refuge existe encore et beaucoup de personnes se font rejeter, voire réprimer», déplore Michael Stambolis. Sur ce point, Joseph Agostini est sans appel: «Appartenir à une minorité est un combat, on ne peut pas y échapper. Le coming out c'est avant tout demander à être respecté, considéré et compris dans sa singularité et sa douleur.»

Face au rejet, la mise en récit de soi reste un outil important car «le langage traduit notre réalité», selon le spécialiste de théorie sociale et politique Bruno Perreau, auteur de Qui a peur de la théorie queer?. «Bien sûr, il y a toujours des contradictions à se définir à partir d'une catégorie, mais c'est un outil de résistance. Certes, imparfait, mais cela ne veut pas dire qu'on n'en a pas besoin. Effectivement les générations de moins de 18 ans ont grandi avec le mariage pour tous, le couple homosexuel est reconnu socialement. Mais le besoin de s'annoncer est encore là. C'est une étape dans le cheminement de soi.»

En réalité, les choses ne sont pas si simples. Il existe encore de nombreuses inégalités de perception selon que l'on soit en ville ou en milieu rural, ou bien selon le contexte social dans lequel on évolue. «Nous sommes conscientes que si tu habites au centre de Paris, c'est pas la même chose que si tu vas de l'autre côté du périph, analysent Elise Goldfarb et Julia Layani. Pour que la chose existe, il faut en parler.» À chaque personne son homosexualité, sa trajectoire.