Monde de la mode et VIH

3 Janvier 2021
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Neuf mois d’enquête, 30 heures d’entretiens et un manuscrit de 50 000 mots à éditer, c’est le travail colossal qu’a accompli Phillip Picardi, journaliste et éditeur américain et ancien rédacteur en chef du magazine LGBT Out. Publié le 16 décembre sur le site du légendaire magazine de mode américain Vogue sous le titre : « Une histoire orale de la réponse du monde de la mode à l’épidémie de sida ». Au début de l’épidémie de Covid-19, l’auteure Arundhati Roy a écrit : « Historiquement les pandémies ont forcé les humains à faire fi du passé et imaginer un nouveau monde. Cette épidémie n’est pas nouvelle. C’est un portail, une passerelle entre un monde et le suivant ». Partant de cette citation empreinte d’espoir, Phillip Picardi pose un constat : « Il y a toute une génération, pas si éloignée, qui en est à sa seconde pandémie. Dans les années 80, quand le VIH/sida a balayé la nation, il n’y avait pas de couverture médiatique en continue ou même de déclaration du Président [le terme sida est apparu en 1982, mais ce n'est pas avant 1987 que Ronald Reagan l’a mentionné pour la première fois, ndlr], à la place cette épidémie n’a fait que fragiliser davantage les membres de la société qui étaient déjà marginalisés : personnes queer, personnes trans, usagers-ères de drogue par injection, etc. ». L’auteur poursuit en faisant un parallèle avec la gestion catastrophique de la Covid-19 aux États-Unis en raison d’un système de santé profondément inégalitaire et il pose cette question : « Si l’épidémie de sida a vraiment été un portail, qu’avons-nous appris de cette dernière ? ». Et cette question, le journaliste a voulu la poser à l’industrie de la mode américaine. « Je me suis demandé ce que le monde de la mode avait appris du passé et quelles leçons nous pouvions appliquer au présent ». Ce que Phillip Picardi va apprendre au cours des 30 heures de conversations qu’il va avoir avec celles et ceux qui ont vécu les années 80 dans le milieu de la mode, c’est que cette industrie a fait face à une profonde crise d’identité quand l’épidémie de sida l’a frappé de plein fouet. De nombreux-ses jeunes créateurs-rices et mannequins sont décédés-es des suites du sida, dans la honte et le silence par peur du scandale dans une société de plus en plus conservatrice. À travers son enquête, le journaliste rend hommage à toutes ces personnes emportées par le VIH/sida et oubliées. Et notamment de jeunes créateurs noirs et gays comme Willi Smith, le parrain du streetwear, Patrick Kelly, le tout premier créateur de mode américain à être accepté dans la chambre syndicale prêt-à-porter ou encore Perry Ellis, le mentor de Marc Jacobs. Une enquête passionnante à lire (et richement illustrée) dont l’auteur a résumé les grands points dans un thread twitter tout aussi passionnant.