Réforme de la politique migratoire

29 Septembre 2020
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Une réforme et une pluie de critiques. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a défendu (23 septembre) un équilibre « juste et raisonnable » entre « responsabilité et solidarité » entre les 27 pays de l’UE, concernant une nouvelle réforme de la politique migratoire de l’UE. « Nous devons trouver des solutions pérennes sur la migration », a-t-elle plaidé. Cinq ans après la crise de 2015, ce nouveau « Pacte européen sur la migration et l'asile » prévoit que les pays de l'UE qui ne veulent pas prendre des demandeurs-ses d'asile en cas d'afflux devront, en revanche, participer au renvoi des personnes déboutées du droit d'asile depuis le pays européen où elles sont arrivées vers leur État d'origine. C’est une façon de contourner le refus persistant de plusieurs pays, notamment ceux du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) d'accueillir des migrants-es.  Bruxelles tire ainsi les leçons de l'échec des quotas de relocalisation décidés après 2015 : le principe d'une répartition contraignante des migrants-es est donc abandonné. Ce nouveau « pacte » prévoit de « rigoureux contrôles » aux frontières extérieures, de manière à écarter plus rapidement les personnes migrantes jugées peu susceptibles d'obtenir une protection internationale, a affirmé le vice-président de la Commission Margaritis Schinas, cité par l’AFP. Pour elles, la demande d'asile sera traitée à la frontière dans un délai de douze semaines. Le pacte révise le principe consistant à confier au premier pays d'entrée d'un-e migrant-e dans l'UE la responsabilité de traiter sa demande d'asile.  Ce « règlement Dublin », pilier actuel du système d'asile européen, n'a cessé d'alimenter les tensions entre les 27 pays de l’UE, en raison de la charge qu'il fait porter aux pays géographiquement en première ligne dans l’arrivée des personnes migrantes comme la Grèce et l'Italie.  Selon la proposition de la Commission, le pays responsable de la demande pourra être celui où un-e migrant-e a des liens familiaux, où il-elle a travaillé ou étudié, ou alors le pays lui ayant délivré un visa. Sinon, les pays de première arrivée resteront chargés de la demande. Si un État est soumis à une « pression » migratoire et estime ne pas pouvoir assumer la prise en charge des personnes concernées, il pourra demander l'activation d'un « mécanisme de solidarité obligatoire ».  Tous les États seront mis à contribution, en fonction de leur poids économique et de leur population, explique la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Mais ils ont le choix entre accueillir des demandeurs-ses d'asile, « parrainer » le renvoi dans son pays d'un-e migrant-e ou aider à la construction de centres d'accueil. Afin d'augmenter et de rendre « plus efficaces » les retours dans les pays d’origine, la Commission annonce qu’elle va nommer un-e coordinateur-rice et « intensifier les négociations » avec les États d'origine ou de transit, a indiqué Ylva Johansson. La situation est très différente de 2015, le nombre d'arrivées irrégulières dans l'UE ayant chuté en 2019 à 140 000. Et si en 2015, 90 % des migrants-es ont eu le statut de réfugié, aujourd'hui, les deux tiers n'ont pas droit à une protection internationale. Les critiques n'ont pas tardé : la Commission « rapièce un ensemble sans véritable patron, sans structure, sans ossature », indique à l'AFP le spécialiste des questions migratoires Yves Pascouau. « C'est un compromis entre la lâcheté et la xénophobie », fustige le chercheur belge François Gemenne, dénonçant « la même logique d'Europe forteresse », tandis que l''ONG Oxfam accuse la Commission de « s'incliner devant les gouvernements anti-immigration ».  « Ce nouveau pacte institutionnalise la honte. Il n'empêchera ni les nouveaux drames, ni le maintien de camps indignes (...) La Commission s'est couchée devant Orban et consorts », abonde l'eurodéputé Damien Carême (Verts). Quant aux procédures expresses aux frontières, elles alarment l'ONG Caritas Europa, qui redoute « une dilution des garanties juridiques (des migrants-es) et des détentions accrues ».

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Haine, misère et agressions... Après l'incendie du camp de Moria, l'humanité se meurt à Lesbos

Des réfugié·es s'enfuient du camp de Moria, ravagé par les flammes, le 9 septembre 2020, à Lesbos. | Angelos Tzortzinis / AFP Des réfugié·es s'enfuient du camp de Moria, ravagé par les flammes, le 9 septembre 2020, à Lesbos. | Angelos Tzortzinis / AFP Les mêmes images. Les mêmes récits. Le même désespoir. Sur les côtes et les routes de Lesbos, c'est une histoire sans fin qui s'écrit sur cette île située à un jet de pierre de la Turquie, en première ligne de la crise migratoire depuis 2015.

L'incendie du camp de Moria, mercredi 9 septembre, est venu rappeler à l'Europe son incapacité à mettre en oeuvre une politique cohérente et respectueuse des droits humains en matière d'immigration. Les flammes n'ont pas seulement détruit un campement indigne et insalubre. Elles ont réduit en cendres les minces espoirs de milliers de demandeurs et demandeuses d'asile coincées sur ce bout de terre transformé en prison, et ravivé le sentiment d'exaspération des habitant·es.

 

Le camp de Moria après l'incendie du 9 septembre. | STR / AFP

Pendant une semaine, plus de 12.500 hommes, femmes et enfants ont erré sur le bitume sans eau ni soins; un tronçon de route encadré par des forces de l'ordre, symbole de l'impasse où se trouvent ces exilé·es fuyant la guerre et la misère.

 

Les réfugié·es dorment sur la route, après la destruction de leur camp d'accueil. | Louisa Gouliamaki / AFP

Cinq années se sont pourtant écoulées depuis l'été 2015, mais ni la Grèce ni l'Europe n'ont affiché une volonté politique nécessaire à une meilleure appréhension de la situation.

Le nombre d'arrivées a diminué au prix d'un accord douteux entre l'Union européenne et la Turquie, d'une militarisation des frontières, d'une criminalisation des sauvetages en mer, d'une politique de renvois illégaux. Six mois de Covid-19 et des restrictions de déplacements à répétition finissent de compléter un tableau peu reluisant en matière de respect des droits humains.

Promiscuité et manque d'hygiène

D'après les données du Haut-Commissariat pour les réfugiés (UNHCR), 14.591 demandeurs et demandeuses d'asile se trouvaient à Lesbos mi-août, 121.000 dans toute la Grèce, redevenue première porte d'entrée en Europe en 2019.

Le gouvernement grec se targue d'une baisse des arrivées en 2020 et répète le «succès» d'une politique durcie en matière d'immigration, où la législation pour les demandeurs et demandeuses d'asile est plus expéditive et les «pushbacks» [repousser par la force les réfugié·es aux frontières d'un autre pays] devenus récurrents.

«Nous avons accéléré les procédures», résume Manos Logothetis, secrétaire général du service d'asile grec. Il rappelle que «53.000 personnes sont arrivées sur le territoire au deuxième semestre 2019» et que «certains se retrouvent à attendre leurs entretiens plusieurs années sur l'île». L'accélération des traitements de dossiers vise à «relâcher la pression sur les structures d'accueil», estime Manos Logothetis.

Mais la politique du gouvernement actuel, pas plus que celle de son prédécesseur, n'a jamais permis de répondre à l'urgence sur les îles de la mer Égée.Les hotspots, ces centres d'enregistrement pour les demandeurs et demandeuses d'asile tout juste arrivées sur les côtes européennes, correspondent à des campements similaires à des «bidonvilles», des «favelas», des «jungles», où la promiscuité et le manque d'hygiène ont créé des situations explosives.

Enjeu international

Bagarres mortelles, violences sexuelles, auto-mutilations et tentatives de suicides chez les enfants constituent le quotidien de ces zones où l'humanité meurt à petit feu. L'incendie du 9 septembre, loin d'être le premier à Moria, représente une suite logique des événements.

«On s'y attendait», assure Eva Cossé, chercheuse pour Human Rigths Watch (HRW). «On dénonce les conditions d'accueil dans ces camps depuis des années. Il faut arrêter avec la politique des hotspots et agir au niveau européen pour un véritable plan de relocalisation», plaide la chercheuse.

Depuis 2015 et le pic de la crise migratoire, combien d'articles et de reportages ont été écrits? De tribunes et de pétitions signées? D'appels lancés? Des personnalités du monde entier se sont déplacées et des associations ont été créées. À plusieurs reprises, le Conseil de l'Europe a appelé la Grèce à agir pour améliorer les conditions de vie des demandeurs et demandeuses d'asile. En vain.

En laissant pourrir la situation, les autorités grecques ont également suscité la colère de populations locales désemparées et fatiguées de devoir assumer seules un enjeu international.

Bien loin des élans de solidarité et de leur nomination au prix Nobel de la paix en 2016, de nombreux insulaires –parfois dopés par l'extrême droite– ont fini par tourner leur rancœur contre les réfugié·es et les ONG accusées de les manipuler.

Blocages de routes et agressions des réfugié·es, volontaires internationaux ou journalistes, se sont ainsi multipliés ces derniers mois. La volonté du gouvernement de mettre en place des structures fermées sur les îles pour y garder les exilé·es en attente de procédure ne satisfait personne car tous réclament la même chose: leur départ de l'île.

«Un enfer sur Terre»

«Il n'y aura pas de nouveau Moria», a promis Ylva Johansson, commissaire européenne aux affaires intérieures, dans la foulée de l'incendie. La suppression du Règlement de Dublin et un nouveau «Pacte pour l'asile et la migration» doivent, selon la Commission européenne, permettre de répartir les demandes d'asile sur l'ensemble du continent et soulager les pays d'entrée en Europe.

Le texte, présenté mercredi 23 septembre, s'appuie sur trois axes: une meilleure coopération avec les pays de départ ou de transit, un renforcement des contrôles aux frontières et l'amélioration des mécanismes de solidarité. Il prévoit également des «procédures plus efficaces» pour accélérer l'intégration ou le renvoi des demandeurs et demandeuses d'asile.

Athènes a accueilli le texte de la Commission comme une base de négociations. «On peut être optimistes», juge Manos Logothetis. «Il doit y avoir une politique européenne commune sur ces questions et il semble qu'au sommet de l'UE on ait compris le besoin d'efforts communs», estime le secrétaire général du service d'asile grec.

Mais pour Eva Cossé, «ce pacte reproduit des politiques déjà existantes qui ne fonctionnent pas. Le camp de Moria était déjà censé être un centre rapide et efficace dans le processus de traitement des demandes d'asile. Il s'est converti en un enfer sur Terre».

 

 

Le nouveau camp temporaire, basé près de Kara Tepe, la capitale de Lesbos. | Dimitris Tosidis / POOL / AFP

Une semaine après sa destruction, les autorités grecques, empêchant les ONG d'intervenir et les journalistes de couvrir la situation, ont placé les 12.500 demandeurs et demandeuses d'asile de Moria dans un nouveau camp fait de grandes tentes, fermé et contrôlé par l'armée. Une structure censée être temporaire où ils et elles passeront l'hiver. Mais à Lesbos comme sur les autres îles de la mer Égée, le temporaire n'a jamais semblé aussi permanent.