Régularisations : l’État assigné en justice

23 Décembre 2020
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Bis repetita ! Il y a quelques années maintenant les préfectures ont décidé de s’attaquer aux interminables files d’attente extérieures devant leurs locaux pour accéder aux services concernant les étrangers-ères. Pour cela, elles ont dématérialisé certaines procédures, dont les prises de rendez-vous… qui se font désormais exclusivement par Internet. Le système ne fonctionne pas et les difficultés d’accès aux services publics pour les personnes étrangers-ères, se multiplient. Le phénomène a pris une telle ampleur que le Défenseur des droits dénonçait (en 2019) « un véritable recul de l’accès » aux droits dans certains cas. Et c’est sans compter sur les différents rapports publiés par des ONG sur le sujet, dès 2015. De fait, de nombreuses personnes étrangères, faute de rendez-vous en préfecture, se retrouvent en situation irrégulière. Le 10 décembre, une centaine d'étrangers-ères ont déposé des recours devant les tribunaux administratifs d'Île-de-France afin de pouvoir déposer leurs demandes de titres de séjour. C’est ce qu’ont annoncé plusieurs associations (Secours catholique, Cimade, Ligue des Droits de l'Homme, RESF, Solidaires...) réunies dans un collectif qui les soutient. « Beaucoup sont dans une situation particulièrement urgente, notamment les jeunes majeurs qui ont un délai imposé pour prendre rendez-vous », a expliqué à l'AFP Marion Casanova, chargée de projet au Secours catholique. Face à ce problème récurrent d'accès aux rendez-vous en préfecture, qui se fait uniquement via des demandes en ligne, un collectif d'associations et de syndicats a donc décidé, pour la seconde fois, de déposer collectivement, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l'Homme, des « référés mesures utiles » devant la justice à Paris et dans cinq départements d'Île-de-France. « La situation s'est encore aggravée avec le confinement, les préfectures ont accumulé un retard énorme », souligne Marion Casanova. « En dématérialisant les prises de rendez-vous, les préfectures ont quasiment fermé les portes de l'admission exceptionnelle au séjour, seule voie d'accès à une vie normale pour tant de personnes présentes en France depuis de nombreuses années, et qui vivent, travaillent, étudient parmi nous », dénoncent les membres du collectif (1). « Ces pratiques préfectorales, silencieuses et invisibles, puisque les files d'attente ont disparu, renvoient chaque usager à l'écran de son ordinateur, ou plus souvent de son téléphone, pour accéder à une première demande ou à un renouvellement de titre de séjour, elles favorisent trop souvent les trafics de revente de rendez-vous et elles accroissent la précarité des personnes », ajoutent ces associations. Dans un communiqué, les associations citent des exemples comme celui de Karomoko, élève en bac professionnel scolarisé en France depuis quatre ans qui, depuis trois mois, se connecte plusieurs fois par jour au site de la préfecture pour avoir un rendez-vous. Ou celui de Wahiba, dont le fils lourdement handicapé risque de perdre sa place en institut médico-éducatif. 
En octobre 2019 déjà, quelque cinquante ressortissants-es étrangers-ères avaient déposé des recours en référé contre l’État pour dénoncer les files d’attente « invisibles » devant les préfectures d’Île-de-France, où il était déjà devenu « impossible » d’obtenir un rendez-vous par Internet pour régulariser sa situation. Des rassemblements avaient eu lieu devant les préfectures de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Créteil (Val-de-Marne), Nanterre (Hauts-de-Seine) et Evry (Essonne). En France, en 2019, près de trois millions de personnes détenaient un titre de séjour. Elles peuvent être amenées à solliciter un renouvellement de titre, une naturalisation, un document de voyage, l’échange d’un permis de conduire étrange… À ces personnes s’ajoutent toutes celles qui sollicitent leur régularisation. Les conséquences de ces dysfonctionnements d’État sont majeures, expliquent des experts-es. Pour les personnes étrangères déjà détentrices d’une carte de séjour, la saturation des plannings de rendez-vous peut ainsi entraîner « la perte de leur emploi et de leurs droits sociaux » si elles ne parviennent pas à renouveler leur titre à temps, dénoncent ces associations. Pour les autres : « C’est un obstacle supplémentaire dans la régularisation. Alors que nombre d’entre-elles remplissent les conditions pour un titre de séjour, elles sont cantonnées dans l’irrégularité et demeurent sous le risque d’une expulsion ». « Une bonne partie des contentieux avait abouti », selon Marion Casanova, du Secours Catholique, mais manifestement cela n’a pas suffi.

(1) : ADDE, Asmie, Asti-93, CCFD-Terre solidaire, Collectif unitaire 93 du Livre noir, Fasti, Fédération des centres sociaux, Femmes solidaires, Gisti, La Cimade Ile-de-France, LDH, Mrap, RESF, SAF, CGT-93, Secours catholique, Sud.