Rétention administrative : le bilan critique des ONG

8 Août 2018
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Un rapport réalisé par plusieurs organisations non gouvernementales (1) vient d’être publié. Il fait le point, données chiffrées à l’appui, sur la rétention des personnes étrangères en France. Il fait aussi le constat "de multiples atteintes aux droits pour une efficacité limitée" du dispositif. Ainsi, 60 % de placements sont non suivis d’un éloignement… "Enfermer massivement ne permet pas d’éloigner beaucoup", tacle le rapport. Avec près de 47 000 placements en rétention en métropole et outre-mer, la France est l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus explique le communiqué de presse de présentation du document. L’année 2017 a été marquée par une forte augmentation du nombre de placements dans les centres de rétention administrative (CRA) métropolitains (+17 % par rapport à 2016). Cela est principalement dû à l’enfermement, dans le Calaisis et à Paris notamment, de personnes en provenance de pays largement considérés comme exposant leurs ressortissants à des risques graves en cas de retour. Cette augmentation fait également suite au renforcement, après le drame de Marseille en octobre, des instructions du gouvernement enjoignant les préfets à utiliser encore plus fréquemment la rétention. Pourtant, seules 40 % des personnes enfermées en métropole ont été éloignées, dont près de la moitié vers un État membre de l’Union européenne ou de l’espace Schengen. Dans le même temps, les violations des droits ont atteint un niveau inégalé depuis 2010. Ainsi, en métropole, 71 % des personnes libérées l’ont été par des juges. L’utilisation massive de la rétention révèle donc une efficacité limitée, dans un contexte de privation de liberté traumatisant, pointe le communiqué. Outre-mer, le nombre de placements en rétention demeure très élevé (43 % du total national) et soumis à un régime dérogatoire qui limite considérablement l’accès au droit. En 2017, les préfectures du Pas-de-Calais, du Nord et de Paris ont enfermé plus de 3 000 personnes en vue de leur éloignement à destination de l’Afghanistan, de l’Irak, de l’Érythrée, de l’Iran, du Soudan, voire de la Syrie, qui sont tous des pays à risque. L’usage de la rétention, dans ces situations, avait pour but principal de dissuader les personnes étrangères de se fixer dans le Calaisis pour tenter d’atteindre la Grande-Bretagne, ou de former des campements à Paris. En l’absence de perspectives d’éloignement effectif, la grande majorité de ces personnes a été remise en liberté par les juges. Par ailleurs, alors que la Cour de cassation affirmait, fin septembre 2017, que la rétention des personnes demandeuses d’asile en procédure Dublin était illégale, plus de 700 d’entre elles ont été enfermées en CRA entre octobre et décembre 2017. Cette pratique illégale a ensuite perduré jusqu’à l’adoption, en mars 2018, d’une nouvelle loi l’autorisant. Le rapport point aussi une "progression alarmante depuis quatre ans de l’enfermement des mineurs" : 304 enfants ont été privés de liberté avec leurs familles dans les CRA métropolitains, soit une augmentation de 70 % par rapport à 2016, et ce malgré cinq condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme sur l’enfermement des enfants cette même année.  C’est une des mesures envisagées par la future loi "Asile Immigration", mais l’allongement de la rétention de 45 à 90 jours ne devrait pas permettre d’éloigner davantage. Dans leur communiqué, les associations qui ont réalisé ce rapport rappellent qu’en 2012, la durée de rétention est passée de 32 à 45 jours. Pourtant, le nombre annuel de personnes éloignées depuis les CRA métropolitains n’a pas augmenté les années suivantes. La réforme en cours prévoit de doubler la durée légale de rétention, laquelle passerait de 45 à 90 jours. Ce faisant, les autorités françaises souhaitent ainsi augmenter le nombre d’éloignement, partant du principe que les pays d’origines auront ainsi plus de temps pour reconnaitre leurs ressortissants qui sont dépourvus de documents de voyage. Or, il n’est pas certain que les Etats qui reconnaissent peu leurs ressortissants en l’absence de document de voyage délivrent plus de laissez-passer, que ce soit dans le délai de 45 ou de 90 jours. A cela s’ajoute le fait que 80 % des éloignements depuis la rétention ont eu lieu dans les 25 premiers jours en 2017. Cette nouvelle mesure ne produira donc qu’une augmentation marginale du nombre d’éloignements. Cette nouvelle durée de rétention apparaît ainsi disproportionnée au regard des contraintes humaines et des coûts économiques qu’elle engendrera, préviennent les organisations non gouvernementales. "Face à l’augmentation annoncée de la durée de rétention, les six associations signataires de ce rapport sont convaincues que la réforme entrainera une détérioration des conditions de rétention, exacerbera les tensions au sein des CRA et ne servira pas les objectifs du gouvernement. Les associations appellent à ne plus utiliser la rétention aussi systématiquement et à en réduire la durée maximale", soit l’inverse de ce que le gouvernement envisage de faire.

(1) : Groupe SOS Solidarités, Assfam, Forum Réfugiés-Cosi, France terre d’asile, la Cimade, Ordre de Malte, Solidarité Mayotte.