Santé cardiovasculaire et minorités sexuelles

12 Juin 2023
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Dans un article publié le 22 mai sur le site The Conversation, le Dr Jean-Philippe Empana, directeur de recherche au Centre de recherche cardiovasculaire de Paris (Épidémiologie intégrative des maladies cardiovasculaires), Inserm et le Dr Omar Deraz, chirurgien-dentiste, doctorant au Centre de recherche cardiovasculaire de Paris, Inserm, s’interrogent sur les liens entre santé cardiovasculaire et minorités sexuelles. Les deux médecins rappellent qu’au cours des dernières décennies, les chercheurs-ses, cliniciens-nes, pouvoirs publics ont pris conscience « du fait que les minorités sexuelles et de genre (LGBTQI+) ont des besoins spécifiques en matière de prévention et de soins de santé, en partie liés à des disparités socio-économiques et des expériences de discrimination ». La démonstration a largement été faite avec le VIH, mais quid des autres maladies, notamment celles qui ne sont pas infectieuses. Par le passé, rappellent les deux chercheurs, des travaux avaient été conduits (Pays-Bas, États-Unis) sur des disparités entre population générale et minorités sexuelles concernant les facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires. Le choix de s’intéresser à ces pathologies s’expliquent par le fait que les maladies cardio-vasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde ; d’où l’idée des deux médecins de réaliser, via une étude, un état des lieux de « la santé cardio-vasculaire des minorités sexuelles en France ». Les pathologies cardio-vasculaires sont la deuxième cause de mortalité en France après les tumeurs : 135 000 décès sur les 667 000 enregistrés en 2020 au total, soit 20 % de la mortalité, rappellent les deux médecins. De surcroit, en 2018, environ 4,1 millions de Français-es étaient, selon les données de l’Assurance Maladie, traités « pour une maladie cardio-neuro-vasculaire ».  Jean-Philippe Empana et Omar Deraz ont donc décidé de réaliser la « première étude nationale française s’intéressant aux inégalités en matière de santé cardio-vasculaire, en fonction de l’identité sexuelle ». Pour ce faire, ils sont partis des participants-es de la cohorte Constances. Constances est une cohorte épidémiologique française destinée à fournir des informations descriptives et étiologiques sur la santé publique et l'épidémiologie. La cohorte a recruté et suit le devenir de 200 000 adultes vivant en France. « Notre étude a porté sur 169 434 adultes non atteints de maladies cardio-vasculaires. Parmi les 90 879 femmes, 555 étaient lesbiennes, 3 149 bisexuelles, 84 363 hétérosexuelles et 2 812 ont refusé de répondre sur leur identité sexuelle. Parmi les 78 555 hommes, 2 421 étaient homosexuels, 2 748 bisexuels, 70 994 hétérosexuels et 2 392 ont refusé de répondre », expliquent les deux médecins dans leur article publié sur The Conversation. La santé cardio-vasculaire des participants-es a été mesurée selon un score à partir de huit critères différents (l’exposition à la nicotine, l’alimentation, l’activité physique, l’indice de masse corporelle, le sommeil, la glycémie, la pression artérielle et le niveau de cholestérol total dans le sang). « Plusieurs résultats ressortent de nos analyses, expliquent les deux médecins. D’abord, si les femmes présentent globalement une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes, nous observons chez les femmes lesbiennes et bisexuelles des scores qui indiquent de moins bons résultats, si l’on compare aux femmes hétérosexuelles. En revanche, les hommes gays ont une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes hétérosexuels ». Comment expliquer ces résultats, dont l’article publié sur The Conversation, montre toute la complexité. Les auteurs avancent plusieurs hypothèses. « Le niveau d’exposition à différents types de stress tels que la discrimination peut varier entre les hommes gay/bisexuels et les femmes lesbiennes et bisexuelles comparé aux individus hétérosexuels ». Autre hypothèse : « La santé cardio-vasculaire pourrait être également influencée par des facteurs systémiques, liés notamment à un accès au système de santé diminué des minorités sexuelles par rapport aux hétérosexuels. Par exemple, des travaux ont montré en Angleterre que les personnes LGBTQl+, et surtout les femmes lesbiennes, rencontrent plus de difficultés à y accéder. Elles rapportent des discriminations (inconscientes) de la part des personnels soignants et une incompréhension de leurs problématiques de santé ». Les deux auteurs concluent qu’il « existe au sein de la population adulte française des inégalités en matière de santé cardio-vasculaire qui touchent les minorités sexuelles, particulièrement les femmes lesbiennes et bisexuelles. Leur proposer une offre de soins et de services de prévention optimale suppose que les acteurs du système de santé soient sensibles à leurs problématiques de discrimination et d’accès aux soins, aux biais qui peuvent survenir dans leur pratique, afin d’établir une relation de confiance entre les acteurs du système de santé et les minorités sexuelles ». Dans une interview au Monde (25 mai), répondant aux questions des journalistes Nathalie Brafman et Sandrine Cabut, le Dr Empana revient sur les mesures qui pourraient être proposées face à cet enjeu de santé publique pour les femmes appartenant aux minorités sexuelles. « Manifestement, les minorités sexuelles, et notamment les lesbiennes et bisexuelles, n’ont pas le même niveau de santé cardio-vasculaire que les hétérosexuelles, et nous aimerions que nos travaux conduisent les professionnels de santé à une plus grande prise de conscience. Ils devraient aussi avoir en tête la précarité socio-économique et les problématiques de santé mentale des minorités sexuelles, explique le médecin. La stratégie de prévention primordiale concerne tout le monde à tous les âges, mais il faut probablement établir des priorités pour des populations vulnérables. Des études comme la nôtre suggèrent que les minorités sexuelles en font partie. À la suite de cette première photographie dans la population française, nous prévoyons maintenant de suivre cette cohorte dans le temps pour voir si ces disparités de santé cardio-vasculaire traduisent également des disparités en termes de survenue d’événements cardio-vasculaires dans les prochaines années. Dans ce domaine, les données manquent encore. Enfin, notre étude n’a pu aborder qu’une des trois dimensions de l’orientation sexuelle – ici les pratiques sexuelles – et d’autres études sur les disparités de santé cardio-vasculaire en fonction de l’attraction sexuelle et de l’identité sexuelle sont nécessaires ».