Triangle rose : tout un symbole

29 Janvier 2023
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Mémoire = vie. Dans un article passionnant publié sur le site américain The Body, le média spécialisé sur le VIH revient sur les origines et l’histoire du triangle rose, symbole marquant de la lutte contre le sida. Tout commence dans les années 1930 dans l'Allemagne nazie. L'homosexualité est devenue illégale en Allemagne en 1871, en vertu de l'article 175 du code pénal. Mais cette disposition était rarement appliquée jusqu'en 1933, lorsque le parti nazi a commencé à cibler et à persécuter les homosexuels masculins. En 1935, les législateurs d'Hitler ont adopté une révision de la loi visant à criminaliser l'homosexualité de manière plus large et plus sévère. Les forces de l'ordre allemandes ont établi des « listes roses », qui permettaient de repérer les contrevenants à la loi ou de recueillir des informations anonymes, souvent peu fiables. Ces lois étaient tellement homophobes qu'elles allaient jusqu'à interdire aux hommes de se regarder d'une manière « sexuellement suggestive ». En appliquant la loi, la Gestapo ignorait généralement les relations sexuelles entre femmes, car elle pensait, cyniquement, que les lesbiennes pouvaient encore servir à la reproduction des futurs Aryens... Entre 1933 et 1945, les nazis ont arrêté environ 100 000 hommes accusés d'homosexualité, dont 53 480 ont été condamnés. On estime que 10 000 à 15 000 ont été envoyés dans des camps de concentration, où 65 % d'entre eux sont morts durant leur internement. À leur arrivée dans un camp, ces prisonniers étaient forcés par les gardes nazis à porter un triangle rose inversé pour signifier le motif de leur emprisonnement, donc leur sexualité. Selon les rares survivants des camps, les prisonniers homosexuels étaient méprisés par les gardiens et les autres prisonniers. Outre l'isolement, le travail extrême et l'humiliation publique, l'un des pires sévices subis par les prisonniers homosexuels était la castration forcée pour les « guérir » de leur supposée orientation. En 1986, 40 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, William F. Buckley Jr.  — un expert politique conservateur qui a fondé la publication d'extrême droite National Review — a écrit dans une tribune libre publiée par le New York Times : « Toute personne atteinte du sida devrait être tatouée dans la partie supérieure de l'avant-bras, pour protéger les personnes qui partagent des aiguilles, et sur les fesses, pour empêcher la contamination d'autres homosexuels ». Rien que ça…  L'appel de Buckley à marquer au fer rouge les homosexuels, comme ils l'ont été pendant les campagnes nazies, n'est pas resté sans réponse. Dans le cadre du collectif d'artistes Gran Fury et du projet de sensibilisation « Silence = Death », Avram Finkelstein, Jorge Socarrás, Chris Lione, Charles Kreloff, Oliver Johnston et Brian Howard se sont réappropriés ce symbole homophobe en créant l'affiche emblématique présentant un triangle rose vertical contrastant fortement avec un fond noir, accompagné du slogan « SILENCE = MORT ». Le groupe a fait don de l'image à Act Up New York en 1987, qui l'a utilisée lors de marches, sur des pancartes, des badges et des tee-shirts, ainsi que lors d'actions politiques — par exemple, les die-in, où des militants-es s'allongent dans la rue ou devant des institutions qui refusent de contribuer à la lutte contre le sida ou de soutenir les personnes vivant avec le VIH. Ces dernières années, le triangle rose n’a pas échappé aux récupérations commerciales, parfois douteuses, de grandes marques comme Levi Strauss & Co ou Nike, mais il demeure un symbole fort et durable de la lutte contre le sida.