Vaccins : une plateforme d’évaluation

6 Septembre 2020
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La recherche d’un vaccin contre la Covid-19 est en plein essor (entre 140 et 200 essais en cours, à ce jour, selon les sources), et de nombreux candidats vaccins ont déjà atteint le stade des évaluations cliniques (phases II, III). La participation de la France aux essais cliniques est un « impératif scientifique et stratégique » pour garantir un accès à un vaccin sûr et efficace à sa population, rappelle l’Inserm dans un communiqué (20 juillet). C’est pourquoi l’Inserm, avec l’appui du réseau REACTing (1), de Santé publique France, des centres hospitaliers universitaires et du collège national des généralistes enseignants-es, lance une plateforme d’évaluation clinique des candidats vaccins contre la Covid-19, baptisée Covireivac. « Elle permettra de les tester de manière rigoureuse et d’obtenir de solides données sur leur capacité à induire une réaction immunitaire (immunogénicité) ainsi que sur leur sécurité », explique l’Inserm. Aujourd’hui, les espoirs de la communauté scientifique pour enrayer la progression de la pandémie portent principalement sur le développement d’un vaccin. Plusieurs mois après l’identification du Sars-CoV-2 (virus qui cause la Covid-19) et son séquençage génétique, plus de 140 candidats vaccins ont été recensés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dix-sept d’entre eux sont déjà en développement clinique. Parmi ses missions, l’Inserm a développé un « réseau national d’investigation clinique en vaccinologie », baptisé « I-Reivac », qui bénéficie d’une grande expérience en recherche clinique vaccinale et d’une visibilité auprès des industriels du secteur, ce qui en fait un « acteur incontournable pour l’organisation de tels essais ». Constitué de 24 centres cliniques hospitaliers répartis sur tout le territoire français, il permet en outre une participation étendue de la population française aux essais vaccinaux. Fort de cette légitimité, ce réseau sera la structure d’appui au projet baptisé « Covireivac », qui devrait permettre une évaluation clinique de qualité des différents candidats vaccins contre la Covid-19. Il s’agit donc de créer un « guichet unique » pour la France. Le projet « part du constat que l’accès de la France aux candidats vaccins les plus prometteurs ne sera possible qu’en mettant en place un « guichet unique » au service des industriels et des académiques permettant d’évaluer ces produits, de garantir la faisabilité des essais cliniques auprès des industriels concernés et de négocier les conditions de production et de marchés ». Seront créés un « comité scientifique », présidé Marie-Paule Kieny (directrice de recherche Inserm et membre du comité Care) (2), chargé de réaliser une évaluation scientifique et stratégique des différents candidats vaccins, et le » développement d’une plateforme nationale d’évaluation clinique des candidats vaccins Covid-19 ». La plateforme vaccinale aura pour objectif de constituer un pool de participants-es potentiels-les et d’augmenter le nombre de centres pouvant les accueillir. Pra ailleurs, un suivi des potentiels effets indésirables, grâce à une collaboration étroite avec des réseaux de médecins généralistes et l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), sera également proposé. « Faire face à la gravité de la pandémie de Covid-19 suppose d’assurer un accès aussi large que possible à la population française et européenne aux futurs vaccins. Grâce à un réseau vaccinal déjà existant, le projet Covireivac peut conférer à la France l’attractivité nécessaire pour garantir une participation active aux grands essais vaccinaux et un accès précoce aux meilleurs candidats vaccins », explique Gilles Bloch, PDG de l’Inserm, dans un communiqué. « À plus long terme, l’initiative permettra aussi d’apporter des informations indispensables sur la sécurité de ces vaccins et sur la persistance de leur efficacité. Une collaboration avec d’autres pays européens, pour étendre le dispositif et permettre des essais cliniques de plus grande ampleur, est également envisagée ».

(1) : REACTing est un consortium multidisciplinaire réunissant les partenaires de l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé Aviesan (CEA, CNRS, Inrae, Inria, Inserm, Institut Pasteur, IRD, CPU et Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires) et coordonné par l’Inserm.
(2) : Comité analyse recherche et expertise (Care), présidé par Françoise Barré-Sinoussi.

 

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Portrait de jl06

La course aux vaccins anti-Covid s’emballe

La compétition entre laboratoires s’est intensifiée cet été, entre coups de bluff, paris scientifiques… et pressions politiques. De quoi rendre le public méfiant ?

 

Emmanuel Macron sur le site de production de vaccins de Sanofi Pasteur à Marcy-l’Etoile (Rhône) , le 16 juin. Associé à GSK, le laboratoire espère atteindre la phase III de son vaccin à la fin de l’année.

Moderna sera-t-il le premier à franchir la ligne d'arrivée ? Le 26 août, l'américain présentait de nouveaux résultats positifs pour son vaccin anti-Covid-19 : son candidat serait aussi efficace chez les sujets âgés que chez les jeunes. Une avancée de plus pour la biotech, déjà en phase III des essais cliniques – l'étape qui mesure l'efficacité du vaccin chez l'homme et le rapport bénéfices/risques. Moderna espère profiter d'une procédure d'autorisation d'urgence avant la fin de l'année auprès des autorités sanitaires. Moins d'un an après le séquençage du génome du Sars-Cov-2. Plusieurs vainqueurs

La course aux vaccins s'est emballée cet été. Aucun n'est encore disponible sur le marché. Mais des centaines de laboratoires, big pharma et biotechs, turbinent pour décrocher la timbale. AstraZeneca, avec l'université d'Oxford, et le trio Pfizer-BioNTech-Fosun espèrent aussi aboutir ces prochains mois. Tout comme Johnson & Johnson, qui démarre cette semaine sa phase III en Europe. Ou le duo Sanofi-GSK, qui vise fin 2020 pour la dernière étape. Prometteur, même si rien n'est joué : "Le taux de succès dans les vaccins en phase III avoisine les 65 %, un peu plus élevé que d'autres aires thérapeutiques", note Cédric Mazille, associé expert du secteur à PwC. La Bourse joue les bookmakers : depuis janvier, l'action Moderna a plus que triplé. Mi-août, lors de son entrée au Nasdaq, l'allemand Curevac, avec un candidat " seulement " en phase II, a vu son cours quintuplé en quelques heures.Du jamais-vu depuis les années sida. Et une course à l'échalote inédite pour l'industrie, d'où sortira non pas un, mais des vainqueurs, qui devront produire des doses de vaccins par milliards. Sans garantie de toucher le jackpot – urgence sanitaire et question d'image, beaucoup vendront leur vaccin à prix coûtant. "Ce n'est pas une course entre pays ou laboratoires, mais une course contre une pandémie qui a coûté des centaines de milliers de vies et poussé les systèmes de santé à bout, rappelle Melanie Savile, directrice de la R&D vaccins de la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi). Selon le FMI, chaque mois de pandémie coûte 500 milliards de dollars à l'économie mondiale."

Pour gagner, tous les acteurs – chercheurs, industriels, régulateurs et Etats – ont dû mettre le paquet. " Ce n'est pas business as usual, poursuit Melanie Savile. Pour ne pas atten­dre des années, il a fallu inventer un autre modèle. D'habitude, pour développer un vaccin, les étapes sont franchies une à une, afin de réduire le risque financier de l'industriel, si jamais il ne voit pas le jour. Le soutien d'instances comme la Cepi permet de mener de front plusieurs phases d'essais, et même la production. Une approche qui a fait ses preuves pour les vaccins contre Ebola. "

Sothira Ngauv, expert à Trecento AM, l'affirme : "Le développement d'un vaccin prend de cinq à quinze ans. Et son coût, en incluant la construction de lignes de production, oscille entre 800 millions et 2 milliards de dollars. Mais les avancées technologiques peuvent réduire l'agenda et la note." Plateformes communes de recherche, big data qui facilite le recrutement de patients… Percée de la science, aussi. Comme le choix de certains, dont Moderna, de parier sur la technologie innovante de l'ARN messager (ARNm), ce " logiciel " qui, injecté, incitera la cellule à produire elle-même les protéines qui provoqueront la réaction immunitaire. "Contrairement aux vaccins “traditionnels”, les ARNm ne nécessitent pas de culture cellulaire, sont faciles et moins chers à produire en grande quantité et avec un haut niveau de pureté, facilitant la production. C'est la raison pour laquelle Moderna a pu démarrer rapidement ses essais." Enjeu géopolitique

Laboratoires et industriels ont aussi profité de soutiens financiers colossaux. Bruxelles, aidé des Gates, a collecté 11 milliards de dollars lors d'un Téléthon en mai. Sanofi a reçu 30 millions de dollars de la Barda, émanation du département américain de la Santé – ce qui lui a valu les foudres de l'opinion et de l'Elysée, qui le soupçonnaient de jouer la carte America first. Autre soutien, partout les précommandes affluent pour sécuriser des stocks – avant même qu'ils n'existent ! Les Etats-Unis se sont ainsi engagés à payer 1,95 milliard de dollars à Pfizer pour 100 millions de doses de son futur produit. Surréaliste. Il est vrai que Donald Trump veut se faire pardonner sa mauvaise gestion de la crise…

Car plus le temps tourne, plus le futur vaccin devient un enjeu (géo)politique. L'arme fatale dans une nouvelle guerre froide. En mars, l'image de la générale Chen Wei, de l'Académie militaire des sciences chinoise, se faisant injecter la première dose d'un supposé vaccin a fait le tour du monde. Cet été, Vladimir Poutine s'est autoproclamé vainqueur de l'étape avec son Spoutnik V, vaccin si sûr qu'il l'aurait injecté à sa fille. Donald Trump, lui, veut un vaccin d'ici à la présidentielle, quitte à recourir à une procédure accélérée et quitte à bousculer les experts de la Food and Drug Administration. Et décrédibiliser le futur vaccin ? " On a pris des risques financiers, mais jamais de risques sur la sécurité ", dit Melanie Savile. Cédric Mazille nuance : " Zéro concession sur la sécurité, mais avec de tels délais on aura forcément moins de recul et de données sur la période post-injection : durée de protection, efficacité des dosages, du nombre d'injections… " La bataille médicale gagnée, il faut remporter celle de l'opinion. " Soit une stratégie de ciblage claire – vaccin obligatoire ou pas, et pour qui – et beaucoup de pédagogie. " Selon une étude de la revue Lancet, réalisée durant le confinement, un Français sur quatre est contre l'idée de se faire vacciner.