Pénalisation : ça se discute !
D'entrée, il prévient. Il a mal aux dents. Du coup, il assène d'une voix forte ses arguments. D'une voix si forte qu'on pourrait croire qu'il s'énerve. Ça tombe bien, ce soir, c'est lui qui tient le rôle du "méchant". Il en faut toujours un lorsque les débats portent sur des sujets sensibles. Ça tient lieu de faire-valoir, de repoussoir, de punching-ball. Et Rémi Pellet, ancien avocat, aujourd'hui professeur de droit, est un bon client. Il faut dire qu'il a choisi d'expliquer à la centaine de participants réunis dans un amphithéâtre des Beaux-Arts à Paris pourquoi certains séropositifs pouvaient et devaient être sanctionnés judiciairement et pourquoi la notion de "co-responsabilité" défendue par la plupart des associations de lutte contre le sida ne tenait pas la route. Du strict point de vue du droit.
Pour Rémi Pellet, contrairement à ce qu'affirment les associations, la condamnation d'un séropositif n'est pas la condamnation de la communauté des séropositifs. "Lorsqu'un professeur de droit est condamné. Ce n'est pas la communauté des professeurs de droit qui est condamnée. Et lorsqu'un professeur de droit séropositif est condamné, ce n'est évidemment pas la communauté des professeurs de droit séropositifs qui l'est", explique t-il. Derrière l'effet de tribune, il y a une idée. Celle que la condamnation est individuelle et que la condamnation pénale ne fait que "sanctionner un trouble à l'ordre public". Un trouble à l'ordre public qui "n'admet pas la notion de co-responsabilité." Pour faire simple : c'est un individu qui transgresse une règle ou une loi et c'est cette transgression qui n'engageant que sa seule responsabilité, qui est judiciairement sanctionnée. Histoire de bien se faire comprendre, l'universitaire affirme que le concept de co-responsabilité tel qu'il est défendu par les associations de lutte contre le sida, n'est rien moins qu'une "demande d'impunité".
D'ailleurs, soutient-il si la notion de co-responsabilité était retenue, on verrait s'installer une "société de la défiance". Un peu comme si chacun "consentait à l'avance à une contamination possible." "Que serait alors la vie affective, la vie sexuelle des gens ? ", se demande t-il.
En tant que juriste, il soutient aussi l'idée que les juges ne sont pas là pour faire de la santé publique. Même si les arguments des associations sont vrais. Pour lui, cette question n'est pas leur problème.
Enfin, affirme Rémi Pellet, il faut bien comprendre qu'il ne peut pas y avoir "consentement éclairé" et donc décision prise en toute connaissance de cause, si le partenaire séropositif n'informe pas son partenaire. Il constate d'ailleurs que certaines personnes engagées contre la pénalisation de façon générale l'admettent dans des cas particuliers de tromperie, de fraude délibérée... Selon lui, ce n'est pas tenable : "La porte est ouverte ou elle est fermée". Il y a pénalisation ou il n'y pas de pénalisation. On sanctionne, ou on ne sanctionne pas.
Avocate, Caroline Mécary est contre la pénalisation de la transmission. La principale raison ? Ses effets néfastes en terme de santé publique. Cette pénalisation-là s'inscrit, selon elle, "dans un ensemble plus large de pénalisation : du racolage passif, des bandes de jeunes dans les cages d'immeubles, des offenses au chef de l'Etat, etc." Favorable à la notion de co-responsabilité, Caroline Mécary estime que les plaintes au pénal sont, avant tout, la manifestation du désir des "victimes" de faire payer dans leur chair les "coupables".
Mais qui a peur de cette pénalisation ? Beaucoup de monde, avance Jérôme Farina-Cussac coordinateur juridique de Sida Info Droits. "Il y a une généralisation de la peur chez les personnes séropositives depuis l'affaire de Colmar. Peur que l'on porte plainte contre elles. Il y a une nette différence sur ce sujet entre 2009 et il y a trois ans." Le responsable de Sida Info Droits évoque même des cas de chantage au procès contre des personnes séropositives.
Très sollicité sur cette question, Sida Info Service (la maison mère de Sida Infos Droits) n'a pas de position officielle sur le sujet. "Il y a des positions divergentes au sein de notre conseil d'administration", admet le coordinateur juridique. Lors de cette assemblée générale, plusieurs interventions d'associations LGBT ou de lutte contre le sida ont montré que cette situation n'était pas unique.
Du côté des associations qui "défendent les séropos" comme le revendique Marjolaine Dégremont , présidente d'Act Up-Paris, il existe un certain consensus. Selon elle, les associations sont plutôt contre la pénalisation, défendent le principe de co-responsabilité, ne prennent pas partie dans les procès et sont contre le placement en détention des personnes séropositives. Pour la présidente d'Act Up-Paris, l'idée que les séropositifs cherchent à tromper délibérément leur monde est un fantasme. Elle ne croît pas aux "serial killers" séropos, mais aux personnes qui sont dans le déni du VIH et qui refusent d'en parler à leurs partenaires ou de considérer qu'ils peuvent transmettre le virus. Pour Act-Up-Paris, il est clair que, lors d'une relation sexuelle, la "responsabilité est partagée". Vice-président de AIDES, Gino Paveglio rappelle que son association est contre la pénalisation pour différentes raisons. D'une part, parce que la logique pénale est incompatible avec la lutte contre le sida et plus largement la santé publique. La pénalisation dissuade de se faire dépister. "Le message qui est envoyé est : 'Ne sachez pas !', affirme t-il. D'autre part, il y a bien co-responsabilité dans une relation sexuelle. Par ailleurs, l'administration de la preuve (qui a transmis à qui) est d'une grande complexité. Pour ne pas dire impossible à déterminer. Pour AIDES, il est nécessaire de sensibiliser les milieux juridiques et judiciaires à la question du VIH/sida et aux conséquences de la pénalisation notamment en matière de santé publique. Sur l'ensemble de ces points, il y a convergence de vue entre les principales associations de lutte contre le sida, du moins, celles qui en parlent publiquement. Mais, il y a un point de désaccord assez net. Act Up-Paris veut porter le débat dans la société. D'où le lancement d'une grande pétition contre la pénalisation à la suite de la Conférence de Mexico (un flop) et le choix de ce sujet pour la marche du 1er décembre 2008. Du côté de AIDES, c'est exactement l'inverse. La société française est trop "conservatrice" pour ouvrir un grand débat public. L'association considère qu'il y a trop de coups à prendre, pour les séropositifs, à parler des affaires qui arrivent devant les tribunaux.
La question de la médiatisation n'est d'ailleurs pas l'unique point de désaccord lors de cette assemblée générale. Ainsi, un militant associatif défend l'idée que la "judiciarisation" qui se développe ses dernières années n'est rien moins qu'un retour de boomerang. Celui lancé par ceux qui (comme Act Up ?) n'ont cessé de dénoncer comme criminels ceux qui ne mettent pas de préservatif. A force de dire que les gens qui ne se protégent pas sont coupables, il ne faudrait pas s'étonner que la justice les considère comme tel. Act Up balaie l'argument. Christophe Martet (journaliste et fondateur du site Yagg) renvoie la responsabilité de la situation actuelle aux barebackers et à tous ceux qui ont été "complaisants à l'égard du bareback." C'est évident un peu court, très largement caricatural, limite mauvaise foi, mais ça passe. Evidemment, lorsqu'on lance cette piste, on se détourne du cœur du sujet. Et pourtant, il y a bien d'autres enjeux sur la question de la pénalisation. Ainsi, un des participants préconise de changer la loi puisque c'est sur son fondement que les poursuites se font. Il faudrait en appeler aux politiques pour modifier les textes. Si on change la loi, par exemple, en définissant un cadre plus restreint qu'actuellement, on limitera les possibilités d'interprétation par les juges. Le problème souligne un autre participant, c'est que dans ce cas, rien n'assure que le résultat ne sera pas pire que la situation actuelle. Rien en effet.
Alors que faire ? Plusieurs pistes sont avancées. L'association Warning en propose trois : travailler des arguments pour convaincre les personnes qui envisageraient de porter plainte que la réponse pénale n'en est pas une, influer sur ce qui pousse parquet et magistrats à poursuivre ou pas et alléger la lourdeur des peines. L'association avance aussi l'idée que la sévérité des verdicts est d'abord le résultat des stéréotypes des magistrats sur ce qu'est la vie et l'avenir d'un séropositif, des idées à l'évidence dépassées et outrancièrement dramatiques. Un effort de pédagogie doit être porté sur ce point. Plutôt consensuelle (une fois n'est pas coutume), cette réunion a surtout permis à certains participants de défendre une approche pragmatique de cette question. Sans doute, celle qui serait le mieux à même de changer la donne. Là où la dénonciation, un registre qui ne prend pas dans l'opinion publique, a manifestement montré ses limites.
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Commentaires
Seroning et Warnet?
éviter de décontextualiser
Bonsoir Léa,
Je ne souhaite pas polémiquer, mais vous me citez de manière décontextualisée et déformez ce que j'ai dit. Je suis intervenu lors de l'AG organisée par Act Up dans le cadre du sujet : le débat sur la pénalisation. Une personne avait suggéré qu'il fallait faire peur en montrant dans des spots TV des personnes marquées par le sida pour inciter les gens à se protéger. Elle avait évoqué le fait que pour lutter contre le tabagisme, on devrait montrer des personnes atteintes du cancer du poumon sur les paquets de cigarettes. Mais le problème, c'est qu'on augmente la peur vis-à-vis de celles-ci et donc la séropophobie. En dramatisant, on risque, et c'était le but de mon intervention, d'obtenir un alourdissement des peines vis-à-vis des personnes accusées de transmission du VIH. Ce que je ne souhaite pas. Mon observation n'a pas été contestée par la salle, notamment par les autres personnes séropositives. D'ailleurs la salle était très satisfaite de la bonne tenue des débats. De telles campagnes qui n'ont jamais eu lieu en France, seraient pour moi un manque de respect vis-à-vis des séropositifs.
Olivier
Administrateur Seronet
Agressivité ?
Même pour des actupiens changer d'avis est donc possible ?
Ayant aussi milité un peu a act up en 95/96 je considère donc que l'endoctrinement ne fonctionne pas toujours et qu'il est possible un jour ou l'autre d'en sortir et que des militants osent penser différemment et ouvrent les yeux sur la réalité des choses.
Cela a fonctionné pour moi, pour de nombeux autres......je trouve donc cela encourageant et si je réfléchis bien dans quelques mois tu aura rejoint warning léa ?? ;o)
En ce qui concerne Lestrade il a quitté act up pour faire pire qu'act up dans ses écrits !!! il suffit de le lire régulièrement pour comprendre a quel point ce garçon est aigri !
biz Léa à bientôt donc :o)
vincent58
"Jouir sans entrave"
surprise
shocking !
pénalisation différente chez les femmes et les hommes?
en privé
Je préfère vous répondre en privé: je ne cherche pas à envenimer les choses.