Tuberculose latente : C’est quoi ?

Publié par Denis Mechali le 12.12.2012
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La tuberculose, tout le monde connait….
La maladie est devenue rare en France  - un peu plus de 5 000 cas par an "seulement" - au lieu d’une estimation à 300 000 cas par an, il y a un siècle, avec 200 000 décès, toujours annuellement….

De manière générale, la maladie est devenue peu fréquente "dans tous  les pays riches", mais la tuberculose est restée ancrée dans la mémoire collective du fait de cette réalité dans les siècles précédents, les personnes jeunes qui mouraient, atteints par la "phtisie", devenant progressivement cachectiques, crachant le sang dans leur mouchoir, tout cela…  :  Violetta, "La Traviata" pour les mélomanes !

Bien sûr, on connait aussi, et souvent très bien, cette maladie si on est originaire d’un "pays d’endémie" comme on dit… Ce sont ces pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe de l’est,  où pauvreté et limites des réponses médicales rendent alors cette maladie toujours très fréquente, et souvent catastrophique…  Contrastant avec la situation en France, la tuberculose reste alors souvent mortelle, est responsable de multiples transmissions dans la communauté, via les formes contagieuses. Le nombre estimé est de un million de morts par an, dont 350 000 personnes co-infectées par le VIH… Un nouveau "fléau" se développe ces dernières années : les formes résistantes aux antibiotiques "habituels", disponibles depuis plus de 30 ans, formes résistantes qui tuent bien davantage, ou rendent les traitements nécessaires longs, pénibles, aléatoires….  Ces résistances ne sont pourtant pas une fatalité, car elles se développent surtout si les traitements ont été débutés tard, et mal pris, interrompus…  Pauvreté, discriminations diverses, mauvaise organisation des systèmes de soins, mauvaise qualité de la relation soignants/soignés sont alors les facteurs essentiels…

En France, on connait aussi, souvent intimement, personnellement, surtout si on est atteint par le VIH, car le risque de la tuberculose maladie est alors multiplié par 30, voire plus, et la découverte d’une des maladies amène parfois à dépister et découvrir l’autre… Et se cumulent alors le risque du contact même longtemps avant, si l’on vient d’un pays où la maladie reste fréquente, et cette fragilité récente de l’organisme… Les points communs "symboliques" entre le VIH et la tuberculose ne manquent pas… Ce sont deux maladies où se mélangent des éléments strictement "médicaux" et des éléments d’injustice sociale….  Jonathan Mann aurait pu dire, pour la tuberculose, la phrase, un peu  insolite et si vraie : "Le sida se soigne avec des médicaments, et avec les droits de l’homme"… On pourrait dire aussi : des médicaments et du respect…

La science médicale progresse notamment via un usage maitrisé des statistiques, de l’épidémiologie, qui permettent de dépasser les compétences ou visions individuelles, et d’avoir une vision plus collective, et en tout cas fondée sur un nombre important de situations observées, analysées, évaluées. Ce savoir ne simplifie pas toujours la vie, pour trouver un équilibre entre l’intérêt individuel (pourquoi je m’occuperai de ce problème ? Qu’est-ce que "je" risque ? Quel est "mon" bénéfice ?), et l’intérêt plus collectif, où on se préoccupe de risques souvent faibles individuellement, mais à impact d’ensemble, amenant à proposer une stratégie précise pour l’ensemble du groupe, donc "des citoyens"… Les vaccinations reflètent souvent ce type de débats, entre bénéfices et risques, même infimes, mais avec un bénéfice "invisible à l’œil nu", difficile à ressentir individuellement, puisque la prévention efficace signifie une maladie restant "virtuelle", évitée donc inexistante….. Le BCG, vaccin à efficacité partielle contre la tuberculose, mais importante pour éviter les formes graves voire mortelles des jeunes enfants, reflète bien ces "regards et propos compliqués" nécessaires.


Pourtant, "curieusement", poser un regard plein de sensibilité et de compréhension… sur des colonnes de chiffres, peut vous en dire beaucoup, si on sait - et si on veut ! - regarder. La répartition, sociale et géographique des cas de tuberculose en France, permet d’en savoir beaucoup sur qui sont, et ce que vivent les personnes concernées, car les cas, nombreux chez les "migrants" recoupent souvent également des zones d’habitat précaire, surpeuplé  ou indigne… On regarde une carte, on comprend ! Mais ensuite on fait quoi ? Cela se complique, là encore, et j’aurai certainement l’occasion d’autres chroniques pour y revenir !

Evidemment, le département 93 où j’exerce mes activités de médecin, fait partie de ces zones, avec "coup de projecteur intermittent", comme lors de quelques cas groupés dans la ville de Clichy-sous-Bois en 2011. C’est d’ailleurs pour réfléchir sur cette situation, les leçons à en tirer en matière de prévention, de dépistage précoce, d’accompagnement des traitements jusqu’au bout, que s’est tenue, ces jours ci, une "Journée régionale" à Bobigny, consacrée à cette maladie, sous  la houlette du conseil général de Seine-Saint-Denis.

Une "tuberculose maladie" se soigne, et se guérit complètement en général, moyennant un traitement de six mois au minimum (parfois plus long), avec plusieurs médicaments associés. On savait cela avant les premiers médicaments du sida, et certains médecins avaient d’ailleurs "anticipé", à la fin des années 1980,  les tri et multi thérapies — donc la nécessité de plusieurs produits associés et convergents — en se référant précisément au modèle de la tuberculose !
 
La "tuberculose latente", - et la raison de s’y intéresser - était pratiquement inconnue des médecins il y a vingt ans… On connaissait "la primo infection", la trace parfois repérée du premier contact avec le BK, le bacille de Koch, responsable de la maladie. Mais cela n’allait pas plus loin, en général, que le fait d’être attentif à la survenue ou non d’une tuberculose "vraie", c’est-à-dire "maladie", dans toute sa diversité possible : le poumon, la plèvre, les os, le cerveau, les organes génitaux, et j’en passe ! Mais désormais, on peut s’intéresser " l’histoire naturelle" de  la tuberculose. Suivre, via des repérages statistiques, (oui, encore l’épidémiologie !), ce qui se passe pour 100, ou pour des milliers de personnes, ayant un jour inhalé le "bacille de Koch", la bactérie causale… Occasion de comprendre que l’immunité naturelle est "super efficace" :  Dans 90 % des cas, pour les adultes, il ne se passe rien, et en tout cas  aucune maladie ! Hop ! L’organisme se débrouille, tout passe inaperçu ! Mais il reste 10 % des cas où la maladie va arriver, dans l’année ou dans les années qui suivent : Rubrique "pas de chance", "hasard statistique", mais parfois - et en fait plus souvent… "Tout simple à comprendre". Le déficit immunitaire favorise la multiplication des bacilles, qui quittent leur "petit coin planqué quelque part",   et entrainent donc la survenue de la maladie. Et les enfants, surtout jeunes, de moins de deux ans, sont plus exposés en cas de contact à ce passage à la maladie, du fait de leur système immunitaire encore fragile.

Dépister la tuberculose latente, le contact récent avec le bacille est une entreprise qui n’est pas très simple (faute de bons indicateurs disponibles), mais tout de même possible, via l’ancien test cutané tuberculinique,  ou via un test sanguin repérant une production d’interféron liée au bacille tuberculeux… On peut alors envisager un traitement, purement préventif, et que l’on proposera inutilement dans tous ces cas où le contrôle naturel aurait eu lieu, mais utilement dans ces cas où la maladie aurait progressé… Le traitement ressemble alors, mais en un peu plus simple et un peu plus court, trois mois le plus souvent, au traitement de la forme maladie de la tuberculose. Cela demande, pour les médecins, d’être au clair avec ces objectifs (valables pour nos pays riches). Dans les pays moins dotés, cela reste encore objectif excessif, hors de portée, tant qu’on n’a pas déjà progressé sur le dépistage et le traitement correct des formes maladie de la tuberculose.
 
Or on observe un phénomène classique et logique : la tuberculose étant devenue maladie rare, globalement les médecins, sauf quelques spécialistes, en voient peu dans leur pratique de tous les jours. Comme un sportif qui négligerait de s’entrainer régulièrement, les médecins perdent souvent et très logiquement les réflexes, soit l’ensemble des connaissances qu’ils ont et utilisent, par ailleurs, dans leur pratique quotidienne…  Il faut donc  un cas de maladie, parfois repéré avec un certain retard, car les signes de départ ne sont pas très évocateurs ou spécifiques, pour faire "coup de projecteur" et ré-alerter.

Ensuite, ce qu’il faut faire : traiter ou pas la tuberculose latente repérée, n’est pas évident, ou n’est pas identique pour chaque cas. C’est fonction de ces risques relatifs de développer la maladie plus tard… Il faut donc expliquer, négocier, et "partager la décision. Le médecin explique, propose un traitement, en disant "le pourquoi du comment", et la personne, ainsi "éclairée" dispose, décide ou co décide. Facile à dire… Plus difficile ou plus rarement fait…
 
Dans l’organisation du soin, cela demande de concilier des choses différentes : un rapport qui reste personnalisé, idéalement la personne concernée et son médecin traitant, médecin généraliste, et l’utilisation chaque fois que nécessaire, des spécialistes, rodés à un type de procédures précises et efficaces, repassant la main pour les aspects hors de leur compétence (part sociale à côté d’une part médicale par exemple), ou insérés dans un travail d’équipe, de réseau. Les "tiers médiateurs" sont là pour assurer la "traduction compréhensible" de la langue pour les non francophones, mais aussi "du jargon de docteur" pour tout le monde !
 
C’est assez banal dans le cadre du VIH, car la lutte associative a accompagné depuis le début le travail et les progrès médicaux…  La "tache d’huile" sur l’ensemble du système de santé n’a pas suivi, ou en tout cas pas au même rythme. Il y a donc "courte échelle" du SIDA à ces autres pathologies, parfois sans lien, ou parfois en lien indirect comme ici (ou la tuberculose fait partie depuis le début des "pathologies opportunistes" possibles ou fréquentes), courte échelle pour développer ces allers-retours entre le médical pur, le "médico-sociétal", et la nécessité d’une "alliance de soins" soignants/soignés pour y arriver.

Commentaires

Portrait de navi

Merci de cet article complet et très utile.

Pour ma part j'ai contracté la tuberculose en 1973. Comme je m'en suis aperçu 'trop tardivememnt', les poumons étaient très affectés et il y a falu plus d'un an de traitement pour revenir à la "normal".

J'ai  comme séquelle une petite 'calcification' de la base d'un lobe. Dès 1974 j'ai repris une vie très active, pleine d'activités sportives, et/ou de plein air, sans précaution particulière.

En 1992, quand j'ai découvert ma séropositivité, là encore très tardivement, puisque qu'à la 1° analyse j'avais déjà moins de 100 T4, et suis rapidement descendu à quasi 0.

Evidement tant mon médecin traitant rattaché au service d'un grand professeur, que ce professeur ont pris en compte mon antécédent tuberculeux et m'ont bien informé du risque potentiel.

Bref après plusieurs années de galères, je suis encore là, et bien portant sans jamais avoir eu de soucis d'origine tuberculeuse.

Bien évidemment je prends quelques précautions, et suis attentivement suivi sur le plan pulmonaire, mais à aujourd'hui - 39 ans plus tard - je n'ai fait aucune rechute, si ce n'est  des bronchites (assez souvent).

Alors quelle conclusion je tire de cette situation ? : >> vigilance et beaucoup de chance.

Suis-je en situation de tuberculose latente ?  Je ne sais pas.

Mais j'ai bien conscience que je suis sur un fil, et c'est pourquoi je pense qu'il est important d'assurer la surveillance de cette pathologie, qui de façon sournoise peut compliquer la situation des personnes atteintes du VIH.

Ce n'est que mon expérience, et encore je vous remercie de votre article