Vieillir avec le VIH : AIDES poursuit l’enquête

Publié par Olivier Jablonski le 26.06.2013
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InitiativeCCCV 2013

Qu'est-ce que vieillir quand on est séropositif et est-ce pareil pour tous et toutes ? C'est à ces deux questions que AIDES s'est attachée à répondre au travers d'une enquête menée chez les personnes de plus de 50 ans vivant avec le VIH en lien avec l'association. Les résultats ont été présentés par les auteures, Daniela Rojas-Castro et Guillemette Quatremère (Mission Innovation, Recherche de AIDES), aux participants de la conférence de consensus communautaire sur vieillir avec le VIH (CCCV).

50 ans, c'est un critère d'âge différent de celui de l'étude de Plein sens réalisée pour le compte de la Direction générale de la santé (60 ans, l'âge de la retraite), mais qui se justifie tout autant. En effet, s'il est difficile de décider qui est "vieux" ou pas, les chercheurs travaillant déjà sur le sujet ont plutôt établi le seuil à 50 ans pour faciliter la comparaison des études en France ou à l'étranger. Par ailleurs, peu de personnes de plus de 60 ans fréquentent AIDES, et généralement les effets du vieillissement peuvent être ressentis chez certains à partir de 50 ans voire même avant. Ce faisant, l'étude de AIDES offre une complémentarité avec celle de Plein Sens, sur une autre génération de "vieux", celle que l'on pourrait appeler les "jeunes vieux". Cette étude, dont les premiers résultats sont présentés ici, part d'un constat de terrain, de demandes des personnes accueillies, militants ou salariés de l'association concernant ce nouvel épisode de la vie où de nouveaux besoins émergent. L'enquête, présentée par Daniela Rojas Castro et Guillemette Quatremère (secteur Mission Innovation Recherche de AIDES), est une co-construction avec les participants, tout à fait dans l'axe de démarche communautaire défendu par l'association.

Au moyen d'entretiens individuels et collectifs, auxquels ont participé 52 personnes avec une médiane d'âge de 53 ans dont les trois quarts avaient découvert leur séropositivité avant l'arrivée des trithérapie (1996), il a été possible d'établir un tableau des impressions, inquiétudes et demandes des participants. Ces personnes, majoritairement des femmes (30 contre 22), aux profils variés, avaient toutefois pour une grande partie d'entre-elles des revenus très faibles, ce qui n'est pas le cas pour l'étude de Plein sens. Ces éléments ont été complétés par une analyse quantitative via l'enquête de AIDES "VIH, hépatites et vous" (2010) où 307 personnes vivant avec le VIH de plus de 50 ans avaient participé.

Les événements de la vie avant 50 ans, un facteur qui influence la qualité de vie

Selon les situations, le VIH a eu un impact plus ou moins fort sur la vie des personnes et leur situation actuelle. Il est ainsi possible de différencier quatre grandes figures, où l'on retrouve des similarités avec l'étude de Plein sens :
- Pour certains, le VIH a été un élément fragilisant supplémentaire dans un parcours difficile ;
- Pour d'autres, il a entrainé un changement négatif sur le long-terme, un bouleversement de leur équilibre de vie sur plusieurs niveaux, entraînant souvent un déclassement économique du fait de perte d'emploi ou encore l'éloignement avec la famille ou les amis ;
- A contrario, le virus peut aussi avoir une influence relative, même si l'annonce de la séropositivité a été douloureuse. Le parcours et la qualité de vie s'en trouvent alors peu modifié ;
- Enfin, pour d'autres, mais aussi de manière transversale aux autres catégories, le VIH a pu apporter des éléments positifs au fil de la vie. Par exemple, les personnes militantes dans la lutte contre le VIH ont découvert de nouvelles facettes de leur personnalité, ont fait des rencontres inattendues ou mené des activités inenvisageables avant. Cette situation contrastée par rapport aux autres catégories est clairement exposée par cette femme de 51 ans : "Pour moi, ce n'est pas une mauvaise chose d'avoir attrapé le VIH. Ma vie elle a complètement changé, et je suis plus à l'écoute. Je fais des choses que je n'aurais jamais pensé faire dans le temps [...] je m'investis".

Ces catégories ne doivent pas faire oublier que d'autres éléments ont pu avoir un impact sur le parcours de vie et la situation après 50 ans, comme par exemple l’usage de drogues, l'orientation sexuelle ou la migration.

Mais alors qu'est-ce-que vieillir en étant porteur du VIH ?

Les changements constatés

C'est la fatigue qui est l'élément le plus fréquemment relevé, fatigue à la fois physique et morale, fatigue qui devient pesante quand elle est une perte importante d'énergie, ou que les questions de dévoilement du statut sérologique, le rejet des partenaires potentiels, la prise des traitements ou les effets indésirables, décès et isolement pèsent sur la vie quotidienne.

Au delà de la fatigue, d'autres problèmes médicaux sont aussi évoqués. Ce sont les douleurs, les difficultés de concentration et les problèmes de mémoire ou encore les troubles du sommeil. Plus généralement, la dégradation physique et esthétique a plusieurs fois été indiquée par les personnes interviewées, situation qui affecte beaucoup l'estime d'elles-mêmes. Le sentiment de perte de capacité, c'est-à-dire le fait de ne plus pouvoir faire ce que l'on faisait auparavant ou que font d'autres personnes du même âge et en bonne santé, touche toutes les sphères dont celle de la sexualité.

Interrogées sur les causes de ces changements, les personnes restent incertaines. Le VIH en est-il la cause ? Les traitements ou simplement le vieillissement ? Est-ce "normal" ou "inquiétant" ? Devant ces situations, ne pas pouvoir identifier les causes est une source importante d'inquiétudes chez certains et rend impuissant à lutter contre ces phénomènes.

De nouvelles préoccupations

La majorité des personnes interviewées s'est questionnée sur ce qui va se passer en avançant dans l'âge, même si certaines ne se projettent pas au delà que quelques mois ou années du fait de leur état de santé. Vieillir est donc le moment de l'émergence de nouvelles préoccupations.

"Combien de temps vais-je encore tenir", s'interrogent certains ? "Le corps va-t-il encore se dégrader ?" D'autres inquiétudes apparaissent comme la question financière avec la crainte d'une baisse de revenus au moment de la retraite, alors même que l'épargne est parfois inexistante. Ce sont aussi les inquiétudes sur le lieu de vie futur (le coût du loyer actuel ou celui d'un futur hébergement collectif) ou la crainte très présente d'une solitude plus présente.

Est-ce pareil pour tous ?

On le sait, l'environnement d'une personne est déterminant pour bien vieillir et conserver son autonomie. Ainsi le fait d'être entouré, de continuer à mener des activités, d'avoir des ressources financières suffisantes peut permettre de compenser, en partie, une santé dégradée et préserver de la dépendance. Mais chez bon nombre de séropositifs interviewés, le VIH a fragilisé cet environnement. Le réseau social est parfois dégradé, la sexualité également ainsi que le niveau de ressources. Si l'on constate des différences au sein de la population des personnes vivant avec le VIH de plus de 50 ans, ce sont surtout les disparités avec la population générale qui sont les plus flagrantes. Vieillir n'est pas pareil pour tous.

Lien social, quand tu nous tiens (ou pas)

Le sentiment de solitude, l'isolement affecte beaucoup de personnes interrogées par l'enquête "VIH, hépatites et vous". Ce sont les ruptures dans le réseau social précédemment constitué, dues au VIH, qui justifient ces sentiments. Ruptures par la perte d'emploi ou l'éloignement de l'entourage du fait de l'annonce de la séropositivité. Parfois le VIH vient fragiliser un réseau social déjà affaibli par d'autres événements de la vie. Le fait de s'investir dans une association tient une place importante et pour certains, l'association devient une "seconde famille".

Libido, l'impact du passé persiste et s'amplifie

Chez 15 des 52 personnes interviewées, le VIH a eu un impact sur la sexualité et il perdure. On retrouve alors les constats faits sur les personnes plus jeunes : peur de transmettre le virus, expériences ou peur du rejet, baisse de libido, changements esthétiques qui sont alors des freins à la sexualité, qui, bien entendu, sont accentués par l'avancée en âge.

En conséquence, certains ont renoncé à la sexualité et d'autres se disent "bloqués", en souffrance. La majorité des célibataires sont en recherche de partenaires parfois pour des raisons sexuelles, mais toujours pour des raisons affectives.

Situation financière, le VIH fait mal

Le VIH est un facteur qui intervient dans le fait d'avoir pu ou non économiser, acheter un appartement. Il est aussi parfois à l'origine de ruptures dans le parcours professionnel avec des effets économiques parfois non négligeables. Et quand la contamination est en début de carrière professionnelle, entre 20 et 30 ans, il l'a d'autant plus fragilisée. La situation économique s'en trouve affectée et en conséquence les possibilités d'avoir des loisirs, développer une sociabilité et accéder à certains soins de santé. Contrairement à l'étude de Plein sens, le constat est ici clairement différent.

Vieillir en bonne santé

Les personnes interviewées ont insisté pour que les changements liés au vieillissement soient mieux pris en compte et anticipés par les soignants.

Mais alors quelles spécificités du VIH lors du vieillissement ?

De l'étude menée, les auteures ont cerné les points saillants des spécificités du vieillissement chez les séropositifs de plus de 50 ans. Tout d'abord, des changements physiques qui semblent arriver plus tôt, dès 50 ans, chez un bon nombre de personnes. De plus, persiste une forte incertitude vis-à-vis des causes de ces changements et donc des solutions pour lutter contre. Par rapport à d'autres groupes de population, les personnes font face à des inégalités dans le vieillissement. Avec le VIH, l'âge devient un facteur supplémentaire de fragilisation pour des personnes partant déjà avec une situation défavorable et un environnement fragilisé. Toutefois, il faut être prudent et ne pas généraliser à l'excès car il existe certainement un effet de génération et l'étude a été menée sur une population particulière comme dit plus haut. Mais ces précautions ne doivent pas faire oublier que ces personnes ont des besoins et qu'il est nécessaire d'y répondre, collectivement. Les solutions apportées serviront à tous.
Face à ces préoccupations, le besoin d'être rassuré est fort. Le futur est lu à l'aune des difficultés passées et pour les participants à l'enquête l'avenir reste très incertain. Il s'agit d'une génération qui a dû tout expérimenter face au VIH, qui a "essuyé les plâtres" et qui se retrouve face à une nouvelle étape qu'il nous faut construire de manière collective.

Commentaires

Portrait de Hestia

L'article entier est super intéressant voici le lien http://www.vih.org/20130205/vivre-avec-vih-a-50-ans-et-plus-33518 ... Marc Dixneuf à participé.


Je trouve qu'il est axé sur un constat médical ce qui complète bien le votre plus axé sur les besoins liés à ce nouveau moment de vie.


Merci

Portrait de IMIM

était tant qu'un vrai "état des lieux" soit dréssé en France.

 

A la lecture de ce document, je me sens moins seule à m'être posé un tas de questions au sujet du "vieillir avec"..! Merci aussi pour le lien hiv.org