La planification et l’extension des champs et des missions des COREVIH

Publié par jfl-seronet le 08.09.2013
9 468 lectures
Notez l'article : 
0
 
InterviewCOREVIH

On entend souvent parler de la démocratie sanitaire, un concept aux contours flous pour beaucoup de personnes, mais un principe qui est à l’œuvre depuis des années en matière de lutte contre le sida avec les COREVIH (comités de coordination régionale de lutte contre le VIH). Cette question a fait l’objet, en juin dernier, d’un séminaire de travail à AIDES. A cette occasion, des experts, membres des COREVIH, ont planché sur le rôle des COREVIH, leur place actuelle dans la lutte contre le sida, l’extension de leurs missions (les hépatites, par exemple) et les conditions nécessaires pour un plein exercice de la démocratie sanitaire.

Seronet vous propose deux de ses interventions : celle de Marc Dixneuf, directeur des programmes associatifs chez Sidaction et celle de Jean Marc Polesel (coordinateur du COREVIH Paca Ouest Corse) publiée cet été. Voici celle Marc Dixneuf qui traite tout spécialement de l’avenir des COREVIH. Elle propose des pistes pour mener une discussion sur l’éventuelle extension des missions des COREVIH aux champs des hépatites (la co-infection), de la santé sexuelle ou de la place que ceux-ci pourraient avoir dans la coordination du parcours de santé des personnes vivant avec le VIH. Cette réflexion fait suite à une commande d’intervention du COREVIH  PACA Ouest Corse à l’occasion d’une la soirée-débat "2014-2018 : quel avenir pour le COREVIH Paca Ouest Corse ?" en mai dernier. 

"Par rapport à la création des COREVIH le Conseil national du sida a rédigé une note dans laquelle il expliquait que, en 2004, par rapport à trois ou quatre ans auparavant, nous n’avions pas les mêmes besoins pour les personnes (exemple : les morbidités associées, le vieillissement, etc.). Il y avait un certain nombre de préoccupations quant à l’offre de service de prise en charge pour les personnes vivant avec le VIH devant être mis en place afin de faire évoluer ces instances.

L’exemple opposé est celui des CDAG (centres de dépistage anonyme et gratuit). Nous avons des CDAG qui ont été créés à un moment donné afin de proposer une offre de dépistage en réponse à une utilisation, en quelque sorte "détournée" du don du sang. Vingt-cinq, trente ans après, cela n’a pas changé alors que cela aurait dû évoluer. Ce qui est intéressant avec les COREVIH, c’est que ce n’est pas parti de rien. A l’origine, c’était quelque chose d’assez lourd, qui n’était pas présent dans toutes les régions et qui a intégré des procédés extérieurs. Un événement que j’aime bien citer par ailleurs est la conférence de Denver [en 1983, ndlr] puisque beaucoup de choses viennent de ce point de départ là. Lorsque nous nous posons la question de l’extension des missions des COREVIH, il me semble important de conserver cela en tête.

Ainsi, lorsque nous envisageons les évolutions des COREVIH, il faut observer ce que je nomme les différentes "configurations". Ma formation est celle de la sociologie politique, c’est plus fort que moi, cela se traduit dans mon discours. Que sont ces configurations ? C’est, nous, maintenant, nos avis, nos changements d’opinions. Ce sont les interactions entre les personnes, des instances (les interactions dans lesquelles vont être pris les COREVIH). Les configurations intègrent aussi l’évolution du droit, de l’épidémie et des parties prenantes, le positionnement élu ou salarié et des volontaires de AIDES dans les COREVIH. Vous faîtes partie à la fois de la configuration du COREVIH et de celle de AIDES. Au sein de votre association, il y a celle du Territoire d’Action, le Conseil de Région Caraïbes, etc. Nous sommes pris dans des tensions à plusieurs niveaux. Lorsque l’on se pose la question de l’évolution d’une instance, il faut essayer de se faire une carte de ces interactions et de leurs différents niveaux. Si on veut déplacer un aspect de cette instance, il faut alors se poser la question de ce que cela peut "faire bouger" en parallèle et d’envisager les coûts. Intuitivement, avec l’expérience, nous arrivons à le visualiser. 

Il y a une autre question de principe qui est : Pourquoi cela va-t-il être un processus complexe ? Comme pour ce qui est de l’informatique : "C’est simple… mais c’est compliqué !".

Tout d’abord, nous sommes dans des structures qui sont au cœur de luttes de pouvoir et d’expression de groupes d’intérêts.  En effet, lorsque nous sommes militants de AIDES et dans un COREVIH, nous exprimons les intérêts d’un groupe. Je ne vais pas vous dire pourquoi vous êtes à AIDES, mais c’est en partie pour cela. Du moins, c’est comme cela que nous imaginons de l’extérieur que vous êtes à AIDES. C’est alors une fonction légitime d’exprimer les intérêts du groupe que vous représentez. D’autres groupes sont aussi présents qui, quant à eux, ont peut-être plus de mal à objectiver les réponses pour lesquelles ils sont là. Est-ce que ce sont des intérêts personnels, particuliers, etc. La complexité de l’instance COREVIH est à chercher dans le fonctionnement même de cette structure. Vous avez évoqué, dans nos travaux précédents, la question de la position des métiers, de l’employeur, etc. J’ai noté trois choses de vos retours :

1 : La question des missions et des objectifs d’un COREVIH, ce qui est complexe. Nous devons d’une part réfléchir sur une échelle d’un petit territoire. Par exemple, l’un d’entre vous évoquait précédemment une situation très locale : l’absence d’indice Nadis [logiciel de référence pour la prise en charge du VIH ou une hépatite, ndlr] dans le centre hospitalier. Dans le même temps, il faut que le COREVIH ait quelque chose à dire sur les enjeux nationaux puisqu’il va aussi lui être demandé d’intervenir sur ces niveaux là également.

2 : La démocratie sanitaire n’est pas quelque chose de simple. Parvenir à faire entrer un fonctionnement démocratique dans des instances, les CISIH, qui étaient occupés par des médecins ce n’est pas évident.

3 : Enjeu aussi autour de la formation des salariés, notamment des TEC (technicien d'études cliniques) et les ARC (assistants de recherche clinique). Nous demandons aux TEC de "changer de monde", mais sans changer de place. Lorsque nous parlons de l’extension des missions des COREVIH, des acteurs vont dire alors : "Oui, mais il n’y a pas de recueil de données pour les hépatites, etc.", mais ce n’est pas la même chose.  

Je vais faire un tout petit détour pour évoquer les enjeux de coordination. Prenez quatre joueurs de carte. Vous êtes quatre et donc il est possible de suivre le cours du jeu. Un cinquième arrive et se met à jouer avec vous. Il faut donc surveiller un petit peu plus le jeu car les cartes sont davantage distribuées. Un sixième, un septième, un huitième, un neuvième joueur arrive. Vous continuez à jouer, mais cela devient de plus en plus difficile de compter les cartes qui sont sorties, entrées… et vous perdez un peu le contrôle du jeu. C’est le principe des configurations complexes. Lorsque l’on est deux, par exemple : un chef de service, un patron de CHU et un infirmier avec lequel on travaille depuis trente ans, il est possible de bien maîtriser le jeu. Lorsque l’on crée les COREVIH, que l’on fait entrer trois autres collèges, quatre-vingt dix personnes et de nouvelles compétences (exemple : les hépatites, la santé sexuelle, etc.), la main se perd quelque peu. Ce n’est pas très grave en soi mais, il faut juste le savoir et se le dire. C’est intéressant aussi dans la mesure où si cela nous échappe à nous, cela échappe aussi à d’autres. Je tenais à revenir sur ce point des luttes des pouvoirs.

Une autre problématique est aussi à aborder lorsque l’on étend le nombre d’acteurs du COREVIH et que l’on vient perturber le fonctionnement d’instances. Il faut toujours se dire que ces dernières sont prises dans des réseaux de tensions. Les rapports de forces s’équilibrent en permanence (d’une association à l’autre, il ne se passe pas les mêmes choses) et les instances elles-mêmes évoluent en permanence et cela aussi, c’est normal. Il faut poser comme principe que c’est normal que cela change. Une instance n’est pas faite pour rester figée. Lorsqu’elle le reste, exemple : les CDAG, cela ne devient plus très utile. Il faut donc garder en tête que les changements sont certes compliqués, mais qu’il semble normal que cela évolue en permanence.

L’autre question est "A quoi sert un COREVIH ?" Ce n’est pas parce que les choses évoluent qu’il faut que l’objectif initial change. Ce n’est pas la même chose. Il faut garder en tête : "A quoi sert un COREVIH ?". Je vais reprendre le décret sur ce point ainsi que le terme "patient" qui apparaît dans le texte. Le COREVIH a pour mission "d’améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge des patients".

De qui parle-t-on ? C’est cela qu’il ne faut pas perdre de vue lorsque l’on réfléchit à l’évolution de la mission des COREVIH. Mais, qui sont ces personnes dont on doit améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge ? Ces personnes ont-elles toutes les mêmes besoins "d’éventails de services"  (pour reprendre un terme "technico-neutre") ? Il faut se dire que ce point est central mais, de se demander, de quoi parle-t-on au final ? Pour qui sommes-nous là ?

Pour conclure, lorsque nous réfléchissons aux différentes évolutions, il faut conserver à l’esprit que nous ne savons pas toujours de quoi nous parlons, bien que cela fasse longtemps que nous en parlons ! Qui sont les personnes dont nous voulons améliorer la qualité des soins ? Tans que nous ne nous sommes pas posés cette question, nous ne saurons pas de qui nous parlons.  Je le dis d’après mon expérience passée au Conseil national du sida (CNS) pour avoir rédigé un ensemble de rapport du CNS. Je peux vous assurer que pendant 7 ans, dès qu’il y avait un rapport, un avis à faire, la première question que je posais en tant que rapporteur était : "Qu’est-ce-que vous entendez par là ?".  L’exemple qui illustre ce que je viens de dire est autour du concept de COREVIH "opérateur". Notre débat était autour de : "Le COREVIH opérateur, pas opérateur, etc.". Qu’est ce que cela veut dire ?

Je ne peux pas dire si je suis pour ou contre le fait que les COREVIH soient des opérateurs, tant que l’on ne m’a pas expliqué ce que signifie exactement le terme "opérateur". Nous parlons constamment d’opérateurs, de "prise en charge globale", Seulement, certains soignants vont évoquer pour cette amélioration de la qualité des soins la prise en charge médicale, mais ce n’est pas ça l’avis des personnes. C’est la prise en charge globale qui est importante mais, que met-on derrière ces termes, de quoi cela parle-t-il ? Cela fait quelques mois que nous travaillons là-dessus avec notre équipe. Nous avons changé le système d’informations pour mieux lire, ce qui a été très compliqué à mettre en place. Ce n’est pas facile d’avoir trois définitions identiques de la prise en charge lorsque vous prenez l’avis de trois personnes très différentes. Il faut vraiment se demander lorsque l’on décide "d’étendre" quelque chose : Pourquoi ? Est-ce que cela change quelque chose dans l’objectif initial et escompté ?

Il faut être vigilant lorsque l’on discute, du sens que l’on donne aux différents termes et au sens que nos interlocuteurs leurs donnent, ainsi qu’aux différentes configurations. Une discussion sur l’extension des missions n’est pas forcément très facile entre des COREVIH très différents où les populations, les territoires ne sont pas les mêmes. Je ne veux pas rentrer dans des choses très précises, mais, inévitablement, les besoins en Pays de Loire ne seront pas les mêmes que ceux de PACA Ouest, d’Ile-de France, etc. Il faut donc pour traiter de ces problématiques bien penser à remettre dans le contexte selon le COREVIH".

Commentaires

Portrait de IMIM

peut-on toujours se tourner vers les COREVIH (comme on me l'a conseillé à plusieurs reprises) quand on constate des faits, par ex., de manque de respect du patient ou autre ??

 

J'ai bien compris qu'ils se trouvaient embrouillés dans une multitude de choses à solutionner avec le + de diplomatie possible...Peut-être vaudrait-ils mieux se recentrer sur 1 ou 2 objectifs, mais qui se concrétisent..