VHC en Suisse : le traitement sous conditions fait polémique

28 Août 2014
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Assez régulièrement, des experts, des personnalités ouvrent ou plutôt ré-ouvrent le débat sur la question de l’accès aux soins (notamment la gratuité des traitements) et la conditionnalité de cette mise à disposition. Autrement dit, la collectivité doit-elle financer tout ou partie des soins indispensables pour se soigner pour une personne qui serait, de par son mode de vie, son comportement, "responsable" de sa maladie ? Vieille lune que ce débat qui a connu récemment un nouvel épisode à propos d’un traitement de l’hépatite C. On doit ce nouvel épisode à une conseillère nationale suisse Margrit Kessler (PVL/SG) qui occupe, par ailleurs, les fonctions de présidente de l’Organisation suisse des patients (OSP). Cette dernière suggère de refuser un médicament onéreux (le Sovaldi) aux personnes atteintes d'hépatite C qui seraient "responsables de leur pathologie". Comme l’explique le site 20minutes.ch, cette sortie a fait réagir plusieurs sociétés médicales qui ont demandé des explications. Dans une interview, Margrit Kessler expliquait que le sofosbuvir (Sovaldi), dont le prix est particulièrement élevé devait être réservé aux "seuls les patients n'étant pas responsables de leur hépatite C". Plus de la moitié des personnes infectées par le VHC ont un passé de toxicomanie, la maladie étant transmise via le partage de seringues. Les intéressés sont donc responsables de leur destin, estimait la conseillère nationale pour justifier son opinion. L’intervention est choquante en soi, elle l’est doublement de la part de la représentante d’une des principales associations de personnes malades en  Suisse. D’une part, comme l’explique 20minutes.ch, parce qu’elle remet en question le principe de solidarité du système de santé suisse, et d’autre part parce qu’elle ouvre la boite de Pandore de la question de la responsabilité individuelle en matière de santé versus l’engagement de la collectivité. Dans le raisonnement (très grossier et rase-mottes) de Margrit Kessler, on devrait ainsi écarter d’un traitement cher pris en charge par la collectivité des personnes infectées par l’usage de drogues… Dans cette logique, il faudrait refuser des traitements chers contre le cancer à des personnes anciens fumeurs, une greffe de foie à des personnes qui ont trop bu dans leur vie… et les exemples sont multiples. Ce n’est pas par hasard si cette folle logique (défendue par une représentante de malades) a alarmé des présidents d’associations de malades. Plusieurs se sont fendus d’une lettre ouverte : les présidents de l'Aide suisse contre le sida, de l'Association suisse du diabète, de l'Association suisse de l'obésité et de l'Etude suisse de cohorte VIH, entre autres. Comme l’indique 20minutes.ch, les signataires se disent "gravement déçus". Qu'en est-il alors du fumeur qui attrape le cancer, de la personne en surpoids qui contracte un diabète, du concierge qui se casse une jambe par imprudence ?" s'insurgent-ils, rejetant toute introduction du principe du "pollueur-payeur" dans le domaine de la santé. Une prise de position de la part de l'OSP est urgente, selon eux. Margrit Kessler a annoncé qu'elle allait réagir.

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Portrait de fil

Le 19 mai dernier était présenté le tout premier rapport d’experts en France sur la prise en charge des personnes infectées par les virus des hépatites virales B et C.Les conclusions de ce rapport étaient attendues pour lutter contre l’épidémie, soigner, et guérir en particulier les personnes infectées par le VHC grâce à l’arrivée de nouvelles molécules.

En effet, les hépatites représentent un problème majeur de santé publique : plus de 500.000 personnes touchées en France et près de 4000 décès chaque année.

Si les recommandations qui y figurent sont pertinentes : étendre et améliorer l’accès aux soins des personnes « vulnérables » et/ou en situation de précarité, dépister et traiter sans état d’âme et sans jugement les usagers de drogues, les personnes sous main de justice, les migrants… , elles devraient être suivies par un comité sous l’autorité du ministère de la santé ; enfin leur mise en oeuvre effective implique des moyens et des mesures à la hauteur des enjeux éthiques et de santé publique.
La lutte contre les hépatites connaît une révolution avec l’arrivée de traitements beaucoup mieux tolérés permettant des taux de guérison spectaculaires.

Les prix annoncés par les laboratoires, en particulier Gilead, sont prohibitifs : 60.000 à 80.000 euros pour une cure de 3 mois !

Comment dans ces conditions garantir un accès équitable à tous ?

Ce prix, qualifié d’ »exorbitant » par les experts du rapport, pourrait créer un dangereux précédent en ne basant pas la délivrance de médicaments vitaux sur les réels besoins en santé des personnes, ce qui aggravera une discrimination préexistante des personnes susceptibles d’être soignées sur des critères non médicaux : mode de vie, situation administrative ou socio-économique des personnes touchées.

Ceci entraînerait donc une perte d’espérance de vie pour certaines, la survenue de complications et d’incapacités liées à la maladie ou encore le recours à des traitements moins coûteux mais moins efficaces.

Nous ne pouvons nous satisfaire d’une prise en charge à deux vitesses. C’est d’autant plus intolérable que l’arrivée de nouveaux traitements contre l’hépatite C, beaucoup plus efficaces et avec beaucoup moins d’effets secondaires, fait entrevoir la possibilité d’éradiquer cette épidémie.
Nous demandons une véritable stratégie nationale de lutte contre les hépatites pour améliorer le suivi des lignes de crédits affectés aux services de santé et leur capacité à répondre aux besoins, et garantir une réelle équité dans l’accès aux nouvelles molécules.

La France s’est dotée depuis 1946 d’un système de protection sociale reposant sur le principe suivant : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au
bénéfice de toute personne » art. L1110-1 du Code de Santé Publique. Nous rappelons que toute approche contraire à ce principe fondamental constituerait une grave atteinte au Code de Santé publique, dans la mesure où elle représenterait une perte de chances thérapeutiques pour les personnes touchées.
Face à ces enjeux éthiques et de santé publique, nos organisations s’interrogent sur l’intérêt et la nécessité de saisir le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) pour avoir son avis sur les dangers de la mise à l’écart de patients infectés par le VHC nécessitant pourtant un traitement.

Plus largement, cela pourrait être l’occasion de connaître ses conclusions sur les implications éthiques et de santé publique en matière de coût des traitements et des dispositifs dont devrait se doter l’Etat pour mieux négocier avec l’industrie pharmaceutique, tout en accordant une place à la société civile et aux personnes concernées.

Nous appelons l’Etat à exiger un juste prix et donc à jouer son rôle de régulateur auprès des industriels afin de faire baisser les prix et de garantir l’accès à ces nouvelles molécules pour au moins 80.000 personnes atteintes d’hépatite C chronique, chez qui le traitement doit être initié selon les recommandations du rapport d’experts. Nous demandons à ce que les personnes infectées et malades soient enfin associées aux discussions et aux négociations, notamment dans les différents groupes de travail, en particulier ministériels, interministériels ; sans oublier leur intégration au Comité Economique des Produits de Santé (CEPS).

L’attitude de la France est d’autant plus attendue que nombre de pays sont confrontés à des difficultés similaires, voire encore plus graves, et que l’épidémie est mondiale.

 

http://www.soshepatites.org/2014/05/26/6745/