Vieillir LGBT : une mobilisation en toutes lettres !

Publié par Jean-François Laforgerie le 04.02.2015
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Militant des droits LGBT et de la lutte contre le sida, Francis Carrier est un ancien chef d'entreprise qui se dit aujourd’hui "en transit vers la retraite". Comme militant, citoyen concerné, il vient de lancer une "Lettre ouverte à tous ceux qui se sentent concernés... Vieillir LGBT de nouveaux enjeux communautaires". Il revient pour Seronet sur les raisons de cette initiative. Interview.

Vous lancez une "lettre ouverte à tous ceux qui se sentent concernés" sur le thème "Vieillir LGBT, de nouveaux enjeux communautaires". En quoi votre initiative diffère-t-elle, complète-t-elle celles qui ont déjà été prises par d’autres ? Autrement dit qu’est-ce qui fait la singularité de la démarche que vous lancez aujourd’hui ?

Vieillir LGBT est un sujet qui émerge... mais très lentement. Ma démarche n'est donc qu'une piqure de rappel dans un environnement ou certes beaucoup de personnes ont déjà pensé à ce sujet, mais qui a du mal à produire des actions visibles et pérennes. Contrairement à d'autres thématiques, le monde LGBT a du mal à se saisir de ce sujet ; il y a déjà beaucoup à faire en général sur la place des personnes âgées dans notre société, encore plus si on se préoccupe de la spécificité LGBT. Nous sommes dans un monde où le culte du jeunisme est omniprésent et donc "les âgés", nouveau terme pour ne pas dire vieux, n'ont pas beaucoup de place, ou du moins de visibilité. J'étais aux premières Rencontres MonaLisa (1), un collectif d'associations pour la mobilisation nationale contre l'isolement des "âgés", et ce qui m'a frappé, c'est que tout le monde parlait au nom des personnes âgées, mais les personnes âgées ne prenaient pas la parole. C'était comme au début du sida, dans les années 80, lorsque nous avons fait les premiers Etats généraux des séropositifs, jusque là seuls les médecins, les politiques, les journalistes prenaient la parole et parlaient au nom des séropositifs et malades du sida.

A ce titre, ma démarche est de dire : j'ai 60 ans ; je vais être bientôt à la retraite ; comment j'imagine ma vie dans cette nouvelle période de mon existence ? Dans quel cadre j'imagine vieillir, avec qui, quels services d'aide à domicile ? Je suis loin d'avoir toutes les réponses, mais je me demande aujourd'hui si j'aurais la liberté de choisir ce qui me conviendra. C'est mon questionnement. De plus, étant bénévole dans le cadre des Petits frères des pauvres, j'ai l'occasion de voir comment fonctionnent les maisons de retraite où je vais et je peux donc facilement imaginer ce que personnellement je n'aimerais pas vivre...

Les pouvoirs publics ont mis en œuvre un projet de loi portant sur l’adaptation de la société française au vieillissement dont les trois axes clefs sont : Anticiper, Adapter, Accompagner. Que pensez-vous des projets gouvernementaux et de leur prise en compte des enjeux communautaires auxquels vous êtes attaché ? Et d’autre part, les axes retenus vous semblent-ils adaptés aux personnes LGBT qui vieillissent ?

Dans les exemples de projets communautaires, à ma connaissance, il y en a très peu ; je connais uniquement les babayagas. Voici ce qu’en disait un article du "Monde" : "Le projet babayaga, c'est la volonté de s'approprier son propre vieillissement. Soit une maison de retraite conçue, habitée et autogérée par une vingtaine de retraitées qui se cooptent entre elles, regroupées en association, et dont le projet de vie est assez riche pour satisfaire les aspirations individuelles aussi bien que collectives". "Les babayagas ne s'enfermeront pas dans un ghetto mais participeront à la société à travers le soutien scolaire, l'alphabétisation, l'aide aux jeunes femmes, la transmission des savoir-faire et traditions, les soins du corps, la gymnastique, les thérapies douces diverses, les massages, sans oublier un projet de piscine en sous-sol", expliquait une des responsables du projet, citée par le journal. Ce qui me plait dans ce descriptif, c'est le terme "s'approprier son propre vieillissement".

Les pouvoirs publics sont là pour définir un cadre, mettre en place des moyens, mais ils ne remplaceront jamais la décision personnelle du mode de vie que l'on souhaite avoir. Il est donc important d'accompagner tous les acteurs qui œuvrent dans ce domaine, et ouvrir toutes les possibilités pour ce réserver la liberté de choisir dans quel cadre on souhaite vieillir.

Une autre initiative assez médiatique est la création d'un lotissement d'une centaine de maisons sur un terrain prés du canal du midi dans l'Aude. Mais ce projet n'est absolument pas initié par des militants LGBT, et c'est assez bizarre de voir des investisseurs qui ont trouvé comme niche marketing les gays ("J'en ai discuté avec les commerciaux du groupe, qui ont eu l’idée de cibler le public gay", expliquait ainsi le promoteur dans une interview) et faire les gros titres des journaux locaux. J'aurais préféré qu'un projet de ce niveau de visibilité soit discuté et supporté par des associations qui portent nos valeurs.

Pour revenir au slogan du gouvernement : "Anticiper, Adapter, Accompagner", il faudrait avant tout ajouter le mot : "Aimer". Une communauté qui n'aime pas ses vieux, ne peut pas anticiper, adapter et accompagner. Aujourd'hui, notre société et encore plus notre communauté ont un travail de revalorisation de l'image des "âgés" dans le tissu social à faire. La mémoire et la transmission sont la base d'une société qui choisit son avenir en s'appuyant sur son passé.

Une question plus personnelle, qu’est-ce qui dans votre parcours vous conduit aujourd’hui à prendre cette initiative ?

J'ai toujours considéré que les choix importants de ma vie m'incombaient. En 1984, lorsque j'ai appris ma séropositivité, j'ai pris en charge ma situation, et même si j'avais un suivi médical, j'ai toujours considéré que les décisions de rentrer ou de quitter un essai thérapeutique, un médicament, m'appartenaient. Je n'ai jamais mis ma vie et mon état de séropositif dans les mains d'un médecin. Je ne vois donc pas pourquoi je changerai pour ma vie future. Je considère que ma façon de vivre vieux m'appartient et je souhaite avoir la liberté de choisir sans que l'on m'impose les solutions que l'on aurait choisies pour moi. Je trouverais très paradoxal que notre génération qui a lutté toute sa vie pour l'égalité des droits, ne soit pas présente dans les décisions qui concernent un tiers de sa vie !

Avez-eu connaissance du rapport réalisé par AIDES, SOS homophobie et le groupe SOS  intitulé "Vieillir LGBT et VIH" remis à Michèle Delaunay ? Qu’en avez-vous pensé ? Intégrez-vous les enjeux de santé à la réflexion que vous proposez ?

Oui, bien sûr ! Ce rapport est essentiel et comporte une vingtaine de propositions qui doivent faire l'objet d'un suivi. Elles ne doivent pas rester des vœux pieux, mais des projets réels et supportés par des personnes motivées. Il manque à mon sens un volet sur les financements des lieux de vie. On voit actuellement fleurir des produits financiers destinés à la création de résidences pour personnes âgées. Pourquoi n'y aurait-il pas des  financements privés sur des projets plus communautaires ?

D'autre part, le rapport est assez axé sur la grande dépendance. Avant cette période, il y a toute une réflexion que l'on peut mener sur l'entrée dans la retraite (changement de revenus et de résidences). En ce qui concerne l'aide à domicile, pourquoi n'y aurait-t-il pas des organismes plus clairement gay-friendly ? Dans l'entrée dans la dépendance, personnellement je souhaiterai faire appel à une structure qui a une sensibilité LGBT ; dévoiler son intimité devant des gens qui ne partagent peut-être pas du tout ma façon de vivre peut être très gênant, parfois humiliant...

Dans votre présentation, vous insistez, pour ne citer que ces deux éléments là, sur le choix individuel de pouvoir vieillir LGBT et les liens entre générations LGBT. Ces souhaits, ce que vous présentez comme des besoins sont-ils partagés par les jeunes générations LGBT ? Autrement dit, les préoccupations que vous évoquez dans votre appel sont-elles aujourd’hui celles des jeunes ?

En France, pour les jeunes générations LGBT, on est vieux après 40 ans et pour la plupart, nous sommes invisibles au-delà de cet âge. La libération sexuelle LGBT sera réelle et totale quand quel que soit l'âge nous ferons partie de cette communauté. Le tabou des relations hétérosexuelles dans les maisons de retraite est très grand ! Mais le sujet des relations sexuelles des gays âgés l'est encore plus ! Le culte du corps d'hommes jeunes, objets de plaisir, marchandisés, est encore plus important que celui des femmes. Au moins les féministes remettent en cause cette utilisation du corps des femmes ; chez les gays, il n'y a pas une voix qui s'élève pour porter cette parole !

Travailler sur vieillir LGBT, c'est en priorité donner une visibilité aux personnes âgées gays, lesbiennes, bi ou trans. Nous aurons gagné notre liberté quand nous trouverons beaux, deux vieux gays ou deux lesbiennes âgées qui se rencontrent s'aiment et font l'amour ! C'est uniquement à ce moment que les jeunes LGBT pourront se projeter dans leur propre vie de vieux LGBT ! Pour l'instant, de facto, l'invisibilité est le refuge des gays, lesbiennes, bi et trans : on gomme peu à peu sa propre vie.

Dans les actions que nous pourrions mettre en place, il y aurait aussi les visites et le soutien de jeunes LGBT auprès de vieux LGBT (sans exclusive) sur le modèle des Petits frères des pauvres : marque d'une solidarité et d'un intérêt intergénérationnel !

Même si votre appel laisse la question ouverte… de votre point de vue, qu’elle est la meilleure stratégie par rapport à vos objectifs : créer une association spécifique pour porter ce projet ou permettre à différents acteurs de traiter cette question ?

A ce jour, je n'ai aucune idée de la meilleure stratégie à mettre en place. Il y a, c'est certain, un grand travail de communication à lancer pour faire gagner en visibilité les LGBT de plus de 60 ans. Par la suite, faudra-t-il créer un collectif sur le modèle de MonaLisa pour les LGBT ou créer une association ? Je n'en ai aucune idée. Il faut que ce débat s'installe au même titre que les autres revendications communautaires.

Avec cette lettre ouverte, vous appelez à une mobilisation et une réflexion collectives. Avez-vous un calendrier idéal ? Des étapes en tête ? Concrètement, comment se déroule la suite de votre appel ?

Pour l'instant le seul outil que je mette en place est une BAL : vieillirLGBT "@" gmail.com et une page facebook. Selon l'intérêt suscité, nous verrons si la mise en place de réunions de rencontres au centre LGBT Paris Ile-de-France  a une utilité ou pas...  Je ne vais pas changer le monde, j'apporte juste ma vision !

(1) Premières rencontres MonaLisa (Mobilisation nationale contre l’isolement des âgés) le 27 janvier 2015.

Francis Carrier : tout un parcours
Marié, père adoptif de sa fille de 25 ans, Francis Carrier se définit comme "vivant et éclectique". Ancien chef d'entreprise, il se dit "en transit vers la retraite". En parallèle de ses activités professionnelles, Francis Carrier a beaucoup milité dans la lutte contre le sida, la visibilité et les droits LGBT. Il est un des fondateurs des Caramels fous et a été membre d'Homoboulot de 2011 à 2012. Volontaire et administrateur de AIDES (1987-2004), Francis Carrier est un des organisateurs des Premiers Etats Généraux : "Vivre Le SIDA !" Il est un des fondateurs de AIDES/Arc-en-ciel et de Envol Insertion. Il est membre du conseil d’administration du Fonds pour la Mémoire pour le Sida. Il est aussi bénévole aux Petits frères des pauvres.

Commentaires

Portrait de frabro

J'ai tout au long de ma vie refusé d'être étiquetté LGBT, et j'ai vécu mon homosexualité au grand jour sans la mettre au premier plan et en refusant tout communautarisme.

Ma vie, elle au sein de la société, pas en dehors. J'ai aussi 60 ans, je suis à quatre ans de la retraite, et je n'envisage pas de faire en vieillissant ce que j'ai refusé toute ma vie : m'enfermer dans un ghetto, aussi bien décoré soit-il.

Portrait de jl06

Vieillit  un probleme que ce situe dans la tete ....j,ai 68ans,sero, toujours aussi currieux de la vie , et ne compte pas en rester

la  si possible...bon je sait pour certains la maladie les ratrapes  (une pensée pour ceux qui sont parti trop tot ),

alors faut pas trop s,écouté , bien que les années soit la...je boss encore à temps perdu sa aide ....

 et me vois pas bien finir dans un camp , mais je comprend le besoins que certains peuvent resentir dans l,isolement .

Portrait de Philippe HAZOTTE

Je pense que cette idée est bonne, chacun fera ce qu'il veut de son avenir ou de son devenir, mais si il y a une possibilté de se grouper dans un endroit comme cela, je suis preneur. Pour ma part je préfere cette solution même si cela resemble à une ghettorisation. Je ne m'imagine pas me entir isolé même dans une cage dorée.

Le seul bémol, qui aura les moyens financiers de s'installer dans ces endroits ?

Quand on vois le prix d'une maison de retraite actuellement, on peux se poser des questions.

Il y a beaucoup de gens à faible revenu, voir dans la misère, même chez les LGBT.

Si ce projet voit le jour, il serait bien d'en faire sur tout le territoir, pas seulement dans le sud.

Portrait de christian75

Pour moi bien vieillir c'est créer, entretenir des relations amicales, sociales, intimes. Essayer de conserver mes activités physiques me semblent interessant. L'idéal dans une grande ville est une structure légère (une association tout simplement ) qui prone la convivialité,  l'autogestion, la solidarité, l'entraide. Ca n'empêche pas le séjour en institution en fin de vie; ni des séjours ou vacances conviviales ou culturelles, mais le mieux est de rester chez soi le plus longtemps possible avec des aides de professionnels et de bénévoles associatifs. J'ai le sentiment que ce qui manquent le plus aux plus agés c'est la sociabilité.