Du militant au passant : boucler la boucle de la fin du sida

Publié par Mathieu Brancourt le 02.10.2019
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InitiativeCRFMfonds mondial

Bordeaux début septembre, puis au Havre, puis à Pantin, Paris, Nevers et enfin Lyon. Ce ne sont pas les dates de tournée d’un artiste, mais celles d’un autre tour qui veut faire du bruit : La boucle du Ruban rouge. À travers 38 étapes et près de 1 800 kilomètres, Jérémy Chalon veut mettre à l’agenda des Français-es la question de la lutte mondiale contre le sida. En ligne de mire : une contribution historique de la France à la reconstitution des ressources du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Un objectif de santé, mais bien sûr un enjeu politique, à l’heure où les engagements financiers doivent devenir réalité. Seronet s’est rendu sur l’étape « capitale », fin septembre, place de l’Hôtel-de-ville, à Paris, où citoyens-nes, mais aussi personnalités politiques étaient invités-es à prendre position et à interpeller Emmanuel Macron.

L’été indien chauffe les pavés parisiens de l’Hôtel-de-ville où des militants-es de AIDES et de Île-de-France Prévention se sont rassemblés-es à l’occasion de l’étape parisienne de la Boucle du ruban rouge. Un défi sportif et engagé de Jérémy Chalon, salarié d’Île-de-France Prévention, « marcheur/cycliste » à travers la France, pour sensibiliser la population à un événement resté dans l’ombre de l’actualité : la Conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial (CRFM), qui a lieu à Lyon les 9 et 10 octobre prochains. De Bordeaux à Lyon, trente-huit étapes à parcourir, avec à chaque fois l’idée de mobiliser le tissu associatif et militant local, mais aussi d’engager les politiques à soutenir la revendication : l’augmentation de 25 % de la contribution française au Fonds mondial contribuant ainsi à atteindre les fameux 14 milliards d’euros pour les trois prochaines années ; seule solution pour atteindre les objectifs de fin de l’épidémie en 2020. L’urgence est de remobiliser l’opinion publique sur cette question, c’est donc crucial pour pousser les politiques à prendre des engagements.

« C’est pour le sida ? »

Sur le parvis, les rangs sont clairsemés. La forte mobilisation associative est voyante grâce aux stands de présentation, mais la foule n’est pas au rendez-vous. Pourtant, c’est tout un dispositif mis en place pour mieux appréhender les enjeux, complexes et intriqués. Île-de-France Prévention est présente autour de Jérémy Chalon. AIDES aussi, qui déploie ses affiches et discours de campagne, tout comme l’ONG de lutte contre les trois pandémies One. Les passants-es sont invités-es à s’arrêter devant la roue des discriminations, qui incarne la « roulette russe » de la vie et des situations où faute d’argent ou d’engagements, les personnes les plus exposées au VIH dans le monde vont subir des discriminations, notamment liées à leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. Cela en France, ou ailleurs, dans la rue, au travail ou même à l’école. Cette « roue de l’infortune » permet de relier le sujet des discriminations à celle du VIH.
« Vous connaissez la sérophobie ? », demande une militante de AIDES à un curieux.
« Non, pas du tout ! » 
« Eh bien, c’est ce que subissent les personnes vivant avec le VIH, en plus des éventuelles discriminations pour ce qu’elles sont », explique-t-elle. 
« Ah, ok, je ne savais pas que cela avait un nom ». 
Une scène assez emblématique du niveau collectif d’information.

Un coup de collier dans l’implication du gouvernement, qui accueille sur son sol la CRFM, c’est l’objectif de Jérémy Chalon, mais certainement pas le seul. Pour lui, la pression ne peut pas venir uniquement des associations ; elle doit également émerger de la population. À condition qu’elle soit éclairée sur cet enjeu. « La plupart des gens se sentent a minima concernés ou intéressés. Les personnes sont prêtes à écouter mon discours, même si, par ailleurs, elles ne se sentent pas personnellement exposées à des risques ; quand bien même ce serait pourtant le cas. Le VIH, ce n’est pour elles que chez "les autres" ; ce qui est un frein par rapport au dépistage. Il y a certes un manque de prise de conscience, mais surtout un manque criant de sensibilisation et d’informations », explique-t-il. Mais grâce au dialogue, et aussi grâce à des éléments visuels, comme des pancartes, un ruban rouge géant, les badauds répondent présents et jouent le jeu, attirés par le podium en forme de ruban rouge, destiné à prendre des photos pour les réseaux sociaux. 
« C’est pour le sida ? », demande un peu méfiant un jeune homme, accompagné de son mari.
« Oui, c’est pour mobiliser autour de la reconstitution du Fonds mondial, dans deux semaines ! ». (Le reportage a eu lieu le 21 septembre)
« Jamais entendu parler, tu savais toi ? », demande-t-il à son conjoint. 
« Non, mais je connais le Fonds mondial, c’est pour donner des traitements en Afrique ». 
La discussion est lancée, et se termine par une photo du couple, entouré de militants-es, devant le ruban rouge à taille humaine.

Votez la fin de l’épidémie !

Derniers objets plus « politiques » : des urnes de « votes » citoyens, de faux bulletins pour peser sur les personnalités politiques aussi invités-es à prendre position sur le sujet. À Paris, c’est évidemment la maire de Paris Anne Hidalgo qui était attendue. Vers midi, elle arrive sur les stands et prend la parole : « Un immense merci aux bénévoles qui portent ce combat de cette façon, sans jamais rien lâcher sur cette maladie toujours pas comme les autres, malgré les avancées médicales ». Elle félicite Jérémy Chalon pour sa boucle en cours, mais prend également le temps de saluer les personnes engagées depuis longtemps sur cette question à Paris : de Anne Souyris, son adjointe à la Santé, à Jean-Luc Romero-Michel, président de Élus locaux contre le sida, qui ont abouti au lancement, en 2014, de « Vers Paris sans sida ». Elle tacle aussi les discriminations qui perdurent, comme certaines décisions ou projets politiques en matière de santé, comme la réforme de l’AME (aide médicale de l’État). « Si on parle des migrants-es, on sait tous-tes qu’un danger pèse sur l’aide médicale de l’État et qu’il va falloir se battre, mais vous pouvez compter sur la détermination de Paris », conclue-t-elle.

Des mots de campagne en soutien à une autre campagne, celle des associations franciliennes et nationales de lutte contre le sida. De la politique, il en est toujours question, car elle est toujours aussi déterminante pour faire bouger les lignes. La venue de Danielle Simonet (La France Insoumise) et de David Belliard (EELV), tous deux candidats à la mairie de Paris en 2020, confirme l’enjeu de placer le sida à l’agenda politique à tous les niveaux. Les deux candidats-es ont été invités-es à interpeller Emmanuel Macron, sur le montant de la contribution française qui sera annoncée à Lyon, mais aussi, comme il l’avait demandé en décorant Elton John cet été, pour lui rendre « la vie impossible », avant le début de la CRFM.

D’ici là, aucun doute que Jérémy Chalon comme les militants-es de AIDES s’y attèleront.

 

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Portrait de jl06

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, paludisme et tuberculose veut collecter 14 milliards d'euros

PAR AFP Mis à jour le 09/10/2019 à 10:34 Publié le 09/10/2019 à 10:30

Un patient reçoit son traitement quotidien contre la tuberculose, le 26 septembre 2019 à New Delhi, en Inde

 

Un patient reçoit son traitement quotidien contre la tuberculose, le 26 septembre 2019 à New Delhi, en Inde AFP/Archives / Money SHARMA

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme va tenter jeudi de collecter 14 milliards de dollars à Lyon pour financer ses actions, un "défi" nécessaire pour venir à bout de ces épidémies d'ici à 2030.

De l'avis de tous, atteindre cette barre sera difficile, sur fond de "fatigue des donateurs": la cause du sida peut sembler moins urgente qu'il y a quelques années et de nombreux financements sont mobilisés pour la cause environnementale, comme le Fonds vert pour le climat, perçue comme plus porteuse politiquement.

"Dans le contexte actuel, toute augmentation importante au-delà des 12,2 milliards de dollars" récoltés il y a trois ans, lors de la dernière conférence de refinancement du Fonds mondial, "sera considérée comme un succès", explique-t-on à l'Elysée, alors que la France est cette année le pays hôte de la conférence.

"Il nous faut, à Lyon, 14 milliards de dollars", affirmait pourtant Emmanuel Macron il y a deux semaines, à l'assemblée générale de l'ONU, soulignant que "plus personne ne peut comprendre que pour des raisons financières (...) il soit aujourd'hui impossible d'accéder à des traitements pour prévenir ou guérir de telles maladies".

Le sida dans le mondeLe sida dans le monde AFP

Ce montant a été fixé en janvier par le Fonds mondial qui y voit un minimum pour se donner une chance d'atteindre l'objectif de l'ONU: mettre fin d'ici à 10 ans aux épidémies de sida, de paludisme et de tuberculose, les trois principales maladies infectieuses qui constituent une menace pour la santé mondiale.

Il est pourtant jugé déjà insuffisant par de nombreuses ONG qui s'appuient sur l'estimation d'experts indépendants, calculant qu'il faudrait 16,8 milliards à 18 milliards de dollars pour y parvenir.

La 6e conférence "de reconstitution des ressources" du Fonds mondial, pour la période 2020-2022, s'ouvre mercredi après-midi au Centre de congrès de Lyon.

Elle réunira 700 participants, dont 10 chefs d'Etat et de gouvernement, principalement africains, le milliardaire Bill Gates, premier contributeur privé à l'organisme via sa fondation, et le chanteur Bono, co-fondateur de l'association RED.

 "MAUVAIS CALCUL"

Une quinzaine de pays donateurs ont déjà annoncé leur contribution, permettant d'assurer les trois-quarts du montant final.

La tuberculose dans le mondeLa tuberculose dans le monde AFP / John SAEKI

Les Etats-Unis conserveront leur rang de premier donateur avec un apport en hausse de 9% à 4,68 milliards de dollars voté par le Congrès, qui reste à officialiser.

Le Royaume-Uni, deuxième contributeur pour la période 2016-2019, a annoncé un montant de 1,44 milliard de livres (environ 1,7 milliard de dollars), en hausse de près de 20%, tandis que l'Allemagne, qui occupe le quatrième rang, apportera 1 milliard d'euros (environ 1,1 milliard de dollars), soit une augmentation de 18%.

L'atteinte de l'objectif final dépendra donc des montants engagés par le secteur privé et par la France, un des fondateurs du Fonds et deuxième donateur historique, mais qui n'a pas augmenté sa contribution depuis 2010, à 1,08 milliard d'euros.

Si l'Elysée juge "tout à fait souhaitable" que la part du privé augmente (7% du total aujourd'hui), elle assure que "la France sera à la hauteur de son statut de deuxième contributeur historique", laissant à Emmanuel Macron la primeur de son annonce jeudi.

Le cycle de vie du parasite du paludismeLe cycle de vie du parasite du paludisme AFP

200 ONG ont signé la semaine dernière une tribune dans Le Monde appelant la France à augmenter sa contribution "d'au moins 25%".

"Mais pour atteindre la cible des 14 milliards et que la France retrouve sa place de leader européen, il faudrait une hausse de 45%", estime Enzo Poultreniez, responsable chez Aides, évoquant le "mauvais calcul" de ceux qui "rechignent à investir".

Alors que le traitement annuel contre le VIH coûte maintenant "moins de 100 dollars par an", les 40% de personnes séropositives qui n'y ont pas accès "font la dynamique de l'épidémie", argumente-t-il.

"Un relâchement des financements internationaux provoquerait une reprise en force des épidémies et la riposte pour en reprendre le contrôle serait encore plus onéreuse", souligne également Françoise Barré-Sinoussi, co-découvreuse du VIH et présidente de Sidaction.

Créé en 2002, le Fonds mondial est un partenariat original entre Etats, société civile, secteur privé et malades. Ses fonds vont pour moitié à la lutte contre le sida et pour moitié au paludisme et la tuberculose.

Dans son dernier rapport, en septembre, l'organisme revendiquait 32 millions de vies sauvées depuis sa création, mais avertissait de "nouvelles menaces" mettant en péril l'atteinte de ses objectifs: "la stagnation des financements", mais aussi le développement de "la résistance aux médicaments" contre le paludisme et la tuberculose.

 

Portrait de jl06

Fonds mondial contre le sida : La France porte sa contribution à près de 1,5 milliard d'euros
reuters.com  |  10/10/2019, 10:43  |  162  mots  

 la france porte sa contribution a pres de 1,5 milliard d'euros[reuters.com] (Crédits : Pool New)

LYON (Reuters) - La France a porté à près de 1,5 milliard d'euros sa contribution financière au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, a annoncé jeudi Emmanuel Macron.

Le président français, qui s'exprimait à l'occasion de la sixième Conférence de reconstitution des ressources du Fonds, à Lyon, a espéré que l'objectif de 14 milliards de dollars de contributions soit atteint dans la journée.

Le fonds, créé en 2002, espère rassembler cette somme pour la période 2020-2022 avec l'objectif, fixé par l'Onu, d'éradiquer l'épidémie d'ici à 2030. Plus de 12 milliards de dollars avaient été collectés lors de la précédente conférence, en 2016 au Canada.

La France est le deuxième contributeur mondial au "Global Fund" derrière les Etats-Unis. Au total, 41 milliards d'euros ont été levés depuis 2002, au bénéfice de 140 pays touchés par les trois pandémies.

(Jean-Stéphane Brosse et Jean-Philippe Lefief, édité par Sophie Louet)

L’absence des milliardaires français

Aux Etats-Unis, la philanthropie représente 374 milliards de dollars par an, contre 7,5 milliards de dollars en France. Parmi les fortunes qui ont signé le "Giving Pledge", on ne retrouve qu’un seul Français : Pierre Omidyar. Le fondateur d’eBay, qui habite à Honolulu, fait figure d’exception. Les fondations personnelles et philanthropiques demeurent rares en France, les grandes fortunes leur préférant le mécénat. L’une des plus importantes, la Fondation Bettencourt Schueller, est dotée de 900 millions d’euros, loin derrière les 50,7 milliards de la Fondation Bill et Melinda Gates.

liste non exhaustive de nos milliardaires Français ......

L'objectif affiché est de rassembler 14 milliards de dollars.

Le chanteur Bono à la réunion du Fonds mondial de lutte contre les maladies infectieuses, le 9 octobre 2019 à Lyon.Le chanteur Bono à la réunion du Fonds mondial de lutte contre les maladies infectieuses, le 9 octobre 2019 à Lyon. Photo AFP

"Je ne laisserai personne sortir de cette pièce ou quitter Lyon tant que les 14 milliards n'auront pas été obtenus. Et donc tout à l'heure, nous les aurons! ", a lancé M. Macron en appelant les 700 délégués à "harceler (leurs) capitales", pour obtenir un surcroît de financement.

Rompant avec la tradition diplomatique, M. Macron a cité plusieurs pays qui pourraient faire plus pour atteindre la somme visée: le Japon, la Norvège, Australie, Emirats arabes unis, Arabie saoudite et Qatar. Emmanuel Macron a aussi appelé le président de la Fifa Gianni Infantino pour qu'elle "soit avec nous".

"Dans les trois heures qui viennent, on doit atteindre les 14 milliards. Vous l'avez compris la pression est maximale", a reconnu le président français.

"Cette mobilisation ne peut pas se faire aux dépens de nos autres engagements", a par ailleurs indiqué Emmanuel Macron en promettant que la France verserait 85 millions d'euros par an sur trois ans à Unitaid, l'organisation chargée d'acheter des médicaments pour les pays les plus pauvres.

Portrait de jl06

Lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme : à Lyon, Macron annonce 13,92 milliards de dollars de dons