Décès de Jacques Leibowitch, l'imaginatif

5 Mars 2020
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Chercher, comprendre, soigner, innover, imaginer ! Toute sa vie, Jacques Leibowitch n’aura cessé de le faire dans le domaine de la lutte contre le VIH et de la prise en charge des personnes malades. Moins connu médiatiquement que nombre de ses confrères, moins en cours du fait d’un tempérament peu consensuel, le médecin a pourtant été parmi les premiers en France à se mobiliser sur le sida. Il a été un des pionniers de la lutte contre le VIH, dès 1981. En juillet de cette année-là, à peine un mois après la toute première publication américaine sur le sujet, un jeune steward homosexuel de 38 ans est hospitalisé à l’hôpital Claude Bernard de Paris, pour une pneumocystose. Le docteur Willy Rozenbaum fait immédiatement le rapprochement avec les cas décrits outre-Atlantique. Au cours du premier trimestre de l’année 1982, on compte déjà cinq malades hospitalisés à Paris. Tous ont voyagé aux États-Unis dans les années précédentes. Un « groupe de travail français sur le sida » est créé, au sein duquel collaborent, entre autres, les docteurs Jacques Leibowitch et Willy Rozenbaum. En février 1983 à Boston, il propose, pour la première fois, l’hypothèse de deux vagues successives d’une nouvelle maladie infectieuse, qui auraient atteint le continent européen ; la première venant d’Afrique touchant indifféremment hommes et femmes, la seconde venant des États-Unis et se transmettant, de préférence, par des rapports homosexuels. La révélation est capitale, car de toute évidence, les observations européennes ne donnent qu’un pâle reflet de la réalité africaine. Durant sa formation de médecin, Jacques Leibowitch travaille beaucoup sur l’immunologie. C’est assez logiquement qu’il s’intéresse au VIH. Mobilisé dès les années 80, il est un des premiers a imaginé que c’est un rétrovirus qui pourrait être à l’origine de l’épidémie naissante de sida. Il est parmi les premiers à imaginer un test du VIH qui permettra de tester les lots sanguins contaminés. Ses travaux, conduits avec d’autres collègues, montrent l'inefficacité antivirale de la monothérapie par AZT. Il compte parmi les médecins qui ont eu l’idée qu’une réponse thérapeutique efficace passerait par une trithérapie et qu’elle permettrait le contrôle à long terme du virus lorsque la personne est traitée. Ses travaux ont permis des avancées notables sur les techniques de mesure d’efficacité des ARV et de la charge virale. Dès 2003, ses réflexions et ses observations cliniques le conduisent à imaginer des stratégies d’allègement, notamment par la réduction du nombre de prises hebdomadaires d’ARV, tout en maintenant une efficacité contre le virus. Son idée, c’est « l’ajustement des traitements d’entretien » du VIH par une « posologie adéquate et suffisante ». C’est ainsi qu’il lance le projet Iccarre (Intermittents en cycles courts les antirétroviraux restent efficaces). Projet dont les résultats positifs vont conduire à la mise en place d’une étude pilote 4D (prise du traitement ARV quatre jours consécutifs), puis, par la suite, de l’étude ANRS-Quatuor. Il a été, en France, la tête de pont des avancées sur les stratégies d’allègement de traitement. Outre ses activités de clinicien (praticien hospitalier à l’Université Versailles Saint-Quentin) et de chercheur, Jacques Leibowitch a longtemps été maître de conférence. Il est resté, après sa retraite, médecin vacataire à l’hôpital Raymond Poincaré, à Garches, où il avait commencé sa carrière en 1979.

Imaginatif, créatif, intuitif, Jacques Leibowitch s’est souvent exprimé sur son parcours aussi riche qu’atypique. Il a écrit deux ouvrages pour exposer sa vision de la lutte contre le sida : « Un virus étrange venu d’ailleurs » en 1984, aux éditions Grasset, et surtout « Pour en finir avec le VIH » en 2011, aux éditions Plon. Le docteur Jacques Leibovitch est décédé le 4 mars 2020. Il avait 77 ans.

 

Commentaires

Portrait de basique

Je ne l'ai pas connu, ni n'ai été soigné par lui, mais je sais que je lui dois chaque week-end de ne pas prendre d'ARV. Mon corps et mon esprit lui disent pour celà merci, et je pense que nous sommes des milliers à lui adresser une pensée et des remerciements. Il a eu raison contre tous, et tous se sont finalement ralliés a sa raison. Un grand bonhomme s'en est allé 

Portrait de celle qui a écrit

J’avais en tête depuis des années, et la semaine dernière encore, d’aller un jour à la recherche de Leibowitch, juste pour lui dire les yeux dans les yeux  Merci 

Car comme tu le dis basique nous lui devons beaucoup 

Portrait de Spooky

Merci Mr Jacques Leibowitch, grâce à vous, depuis des années, je ne prends mon traitement que quatre jours consécutifs et ça a changé ma vie.

Portrait de Superpoussin

Je ne sais pas si je vais aller plus loin dans l'allègement mais cela ne retire rien à cet homme qui a su prendre le risque d'innover pour le bien de beaucoup.

Portrait de fil

Communiqué de presse, suite au décès du Docteur Jacques Leibowitch : La lutte contre le VIH / sida perd un de ses pionniers

Paris, le 06 mars 2020 – Actions Traitements a appris avec une grande tristesse la mort du Professeur Jacques Leibowitch, ce mercredi 4 mars 2020, des suites d’un cancer. A l’unisson de la communauté des chercheurs, des médecins, des associations et des patient-e-s, nous regrettons la perte d’un des plus fervents combattants de la lutte contre l’épidémie de VIH/sida dont il ne verra malheureusement pas la fin, comme il l’avait souhaité avec l’arrivée des premières trithérapies en 1996.

Il a déjà été rappelé son rôle majeur dans la découverte des mécanismes du VIH et dans la diffusion de l’idée selon laquelle les multithérapies permettraient de contrôler efficacement la prolifération du virus dans l’organisme. Nous souhaitons aussi garder le souvenir d’un médecin – chercheur qui, dès le début de l’épidémie, a souhaité impliquer les patients dans les décisions qui les concernaient. Adepte de la décision partagée entre médecin et patient, y compris quand il s’agissait de stratégie thérapeutique, le Dr Jacques Leibowitch a largement contribué à rendre les personnes vivant avec le VIH expertes de leur propre prise en charge.

« Jusqu’au-boutiste, un peu fou, apprenti sorcier… », ces qualificatifs sont parfois mentionnés, mais avec toujours beaucoup de bienveillance et de reconnaissance par quelques anciens bénévoles d’Actions Traitements, à l’égard de celui qui a « toujours contribué à faire bouger les lignes, à bousculer les habitudes et la communauté scientifique ». Certains ont eu la chance de le côtoyer pendant les premières années de l’épidémies. Pour eux, « Leibo » c’est celui qui était toujours à l’écoute des patients, celui qui donnait de l’espoir à un moment où la vie avec le VIH n’avait rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui.

C’est aussi celui qui, grâce à ses contacts et à sa pugnacité, a contribué au succès du « Voyage à New-York » en 1996, un des événements fondateurs d’Actions Traitements. Sans lui, nous n’aurions pas pu mener à bien cette opération de plaidoyer en allant acheter des trithérapies antirétrovirales aux Etats-Unis où elles étaient déjà disponibles… alors qu’en France, les autorités sanitaires envisageaient de tirer au sort les patients qui pourraient en bénéficier.

Le Dr Leibowitch aura poursuivi cette guerre, comme il l’appelait, jusque dans les dernières années de sa vie, en favorisant notamment la recherche sur l’allégement thérapeutique. Là aussi il aura été résolument tourné, comme à son habitude, vers l’innovation thérapeutique ET la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH.

D’une seule voix, nous disons à M. le Dr Jacques Leibowitch : Merci « Leibo » !

https://www.actions-traitements.org/communique-de-presse-suite-deces-docteur-jacques-leibowitch/