Coronavirus : ce professeur à la Sorbonne annonçait la catastrophe

Publié par mohican le 06.04.2020
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Carlos Moreno est chercheur, entrepreneur, et pionnier de l'intelligence artificielle. Il a tenté par tous les moyens d'alerter l'Elysée. En vain.  © Virginie Clavières/Paris Match Il voudrait rester dans son rôle de scientifique, analyser froidement, ne pas juger le politique, surtout ne pas polémiquer. Mais l’ampleur du désastre l’afflige, parce qu’il l’a tôt senti, annoncé, décrit, en haut lieu, sans être écouté. « On a perdu un temps précieux, le gouvernement n’a pas pris assez vite la mesure de cette crise systémique, sanitaire et urbaine », fulmine le Pr Carlos Moreno. Il parle à bonne distance, sans masque, barbe en friche et yeux voilés, à force de rester collés à l’ordinateur. Des informations du monde entier, courbes folles et e-mails ultra-confidentiels, bousculent nuit et jour la petite maison de Sevran où il s’est confiné avec sa compagne. Pas de répit, le cerveau mouline dans l’angoisse, tandis qu’au-dehors, le printemps jaillit, insolent. « Le 8 mars, j’avais prévu 20 morts, 1000 cas de contamination confirmés, dit-il. Nous avons eu 19 morts et 1 126 cas détectés. J’avais écrit que la barrière d’alerte des 10000 cas se ferait dans la semaine du 16 au 22 mars, c’est arrivé.» 

Carlos Moreno n’est ni médecin ni épidémiologiste. C’est un oiseau rare, ingénieur de formation, passionné de maths et d’informatique, chercheur et entrepreneur. « Le guérillero », l’appelle-t-on avec respect à la Sorbonne où il anime, en tant que directeur scientifique, une chaire dédiée à l’innovation territoriale. Ce fils de paysans colombiens, embarqué lycéen dans la lutte armée, menacé par le régime, a obtenu l’asile en France à l’âge 20 ans, avant de briller dans les meilleures universités, à Cachan, à Evry, devenant, dès le début des années 1980, l’un des pionniers de la robotique et de l’intelligence artificielle (IA). A son palmarès, nombre d’inventions pour l’industrie automobile, nucléaire ; les premiers aspirateurs intelligents imaginés pour Tefal, les premiers drones, commandés par la Direction générale de l’armement, la création d’un système d’alerte pour les sites classés Seveso... C’est ainsi que le chercheur s’est intéressé aux villes du XXIe siècle qu’il contribue à moderniser, grâce à l’IA, avec ses systèmes de gestion de l’eau, de contrôle de l’éclairage public... Moreno devient le pape des « smart cities » – ces villes du futur –, concept porteur qu’il vend aux entreprises, telle GDF Suez, l’ancêtre d’Engie, et à de nombreux édiles comme Anne Hidalgo, ainsi qu’à ses confrères de Rio, Medellin, Barcelone... Moreno parle quatre langues et connaît la terre entière, de l’ancien dirigeant de Renault Louis Schweitzer, son voisin parisien, au philosophe Edgar Morin, du Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus au dalaï-lama. Conférencier demandé, il voyage partout, notamment en Chine.

"Je comprends que ce virus est dingo"

Alors il frémit, ce 22 janvier, en apprenant par la BBC que Wuhan est confiné. Il sait combien cette ville est tentaculaire, bondée, polluée; l’apparition d’un virus ici l’intrigue, lui qui a tant écrit sur la « vulnérabilité » des mégapoles. Aussitôt, il tweete : « Coronavirus # Chine. Les populations de Wuhan + Huanggang = 17 millions confinés dans leur territoire de vie, soi tl’équivalent de 25% de la population française », avec un renvoi sur son texte consacré aux maladies urbaines, publié quatre ans plus tôt. Très vite, 17 villes sont mises sous cloche et le jeune lanceur d’alerte de Wuhan meurt, le 7 février: «Là, je me dis qu’il se passe un truc sérieux.» Le chercheur ne dort plus, il récupère toutes les données possibles : celles des Coréens, des Chinois – qu’il sait d’emblée peu fiables mais qui donnent au moins une tendance –, celles de Johns-Hopkins University, référence mondiale pour les maladies infectieuses, ainsi qu’un graphique animé montrant la folle progression de ce coronavirus, comparé aux Sras, H5N1, Mers, Ebola. Sidération : «Je comprends que ce virus est dingo.» Il le piste, observe son apparition en France, le 24 janvier, via trois touristes venus de Chine, puis à Creil, sur la base militaire où les rapatriés de Wuhan ont atterri. Il écoute tous les signaux : là, une amie espagnole qui lui apprend, début février, que la grand-messe du téléphone mobile de Barcelone va être annulée, là un contact suisse qui souffle que le Salon de l’automobile n’aura pas lieu...

"On risque de flamber très rapidement"

Moreno s’envole tout de même pour le sommet africain sur les villes durables, maintenu à Abidjan le 28 février, dans une ambiance légèrement anxiogène. Dans la soirée, il sonde par SMS son ami médecin Jean Rottner, président LR de la région Grand-Est, qu’il épaule pour sa campagne municipale à Mulhouse. « Jean, j’entends des discussions de haut niveau, mais à voix très basse sur l’impact du coronavirus d’ici quinze jours... Toi qui es dans le milieu médical, comment le sens-tu ? – On risque de flamber très rapidement»,répond Jean Rottner alors qu’il ignore encore qu’un foyer de contamination, né dans sa ville lors d’un rassemblement évangélique, va embraser les alentours, puis la France. Les cas de Covid-19 pullulent à Mulhouse, premier malade en réanimation le 2 mars. « On est en plein dedans », textote Rottner.

Moreno reprend les derniers chiffres parus, en Chine, en Corée, en Italie où commence l’hécatombe. Il élabore un modèle pour tenter d’anticiper la suite : « C’est simple, je prends une vitesse de propagation entre deux et trois personnes, une variable de décalage avec les quatorze jours d’incubation. Je me base sur le premier cas, cela donne une viralisation quasi territoriale à l’horizon du week-end suivant.» Voilà le message qu’il adresse le 5 mars à un ami macroniste, haut fonctionnaire en lien avec l’Elysée, dont il supplie qu’on taise le nom afin de le préserver. « C’est pas clustérisable », insiste Moreno. Autrement dit, le modèle jusqu’ici adopté, isolant les foyers infectieux – comme cela a été fait à Creil, en Haute-Savoie, dans le Morbihan –, n’est plus tenable : « La propagation est non endiguable, il faut passer en phase 3... Les élections là-dedans, c’est un risque maximal.» L’ami macroniste sait que Moreno fait la campagne d’Hidalgo, lui soutient son camp, chacun mesure le risque politique de reporter ; « c’est la merde », conclut-il en promettant de faire passer le message à l’Elysée.

"Les scénarios trop pessimistes ne plaisent pas à l’exécutif"

Le Palais est évidemment déjà en alerte, le directeur général de la santé mobilisé depuis plus d’un mois, mais aucune mesure nationale n’a été prise. Moreno inonde toujours son ami de messages, ce 5 mars encore, après avoir à nouveau compilé les données : « La courbe d’infection est exponentielle ! » Il espère atteindre le chef de l’Etat, tout en sachant que Jean Rottner l’a de son côté alerté sur le décalage entre l’urgence vécue dans sa région et le discours national encore rassurant. « Les autorités sanitaires disent alors que porter un masque ne sert à rien, se souvient Rottner. Emmanuel Macron m’écoute et me dit: “Tu peux compter sur moi.”» Les cas de coronavirus se multiplient dans l’entourage présidentiel, à l’Elysée l’inquiétude monte, ça diffuse dans les ministères : « C’est le caca », écrit l’ami haut fonctionnaire. Moreno continue de lui envoyer ses courbes, ses alertes, enrichies par ses échanges avec un groupe d’experts informels sur le Covid-19, constitué notamment de pneumologues, non représentés dans le premier cénacle scientifique créé autour du président. « On dirait que ce putain de virus a pris des cours de mathématiques, martèle-t-il. On a un taux important d’infectés non guéris, davantage de décès sont inévitables... » Son ami demande s’il s’est calqué sur les simulations alarmistes de Ferguson, le chercheur de l’Imperial College qui avait pré- dit, pour H1N1 et le Sras, « des millions de morts qui ne sont pas arrivés » ? Visiblement, les scénarios trop pessimistes ne plaisent pas à l’exécutif, soucieux de préserver les élections et la vie économique du pays. Moreno formalise alors ses analyses dans un rapport de 13 pages. Il le fait passer au conseil scientifique, ainsi qu’à Emmanuel Macron, par l’intermédiaire d’un autre ami, patron d’une grande entreprise, intime du président. Tous ses contacts haut placés lui rapportent la même chose : le message est passé. Certains ajoutent : « Il faut convaincre le modélisateur du conseil scientifique... » Moreno lui adresse alors son travail, reçoit un simple « merci ».

Ô rage, le virus flambe, chaque jour qui passe fera davantage de morts. Enfin, le 17 mars, Macron annonce le confinement. « La guerre est déclarée, salue Moreno. Maintenant, il faut des masques pour tout le monde, généraliser les tests, mettre en place une vraie politique avec une organisation ultra-rigoureuse, pour anticiper une stratégie de sortie.» Moreno a dialogué avec Philippe Klein, qui a affronté le coronavirus à Wuhan. Le médecin français avait voulu faire partager son expérience dès la mi-mars : « J’ai cherché à joindre l’Elysée, en vain. Ni moi ni le consul de Wuhan n’avons été consultés. Alors, on m’a conseillé de parler avec Carlos Moreno, en me disant qu’il essaie de faire bouger les choses.» Le samedi 21 mars, Klein a reçu un coup de fil de la maire de Paris, qui, bouleversée, a promis de contacter Emmanuel Macron. Une heure après, l’Elysée l’appelait : « Le président m’a longuement écouté, indique le médecin de Wuhan. Et il m’a demandé de lui faire un plan d’urgence.» Klein s’y est attelé dans la nuit, avec une ordonnance radicale : arrêt total de la France pendant quinze jours, couvre-feu, tri minutieux des malades, regroupement des cas sévères dans les hôpitaux, les autres dans des hôtels ou des centres de vacances... Faute d’avoir un numéro, un e-mail à qui l’adresser, il a rappelé Carlos Moreno qui l’a transmis à l’Elysée. Toujours pas de réponse....!

Commentaires

Portrait de jl06

Ces fléaux ont marqué leur empreinte partout où ils sont passés, mais prédire comment réagiront les sociétés à l'issue de la crise liée au coronavirus reste difficile à pronostiquer.Le Triomphe de la mort, par Peter Brueghel l'Ancien (1526-30-1569). | Musée du Prado via WikimediaLe Triomphe de la mort, par Peter Brueghel l'Ancien (1526-30-1569). | Musée du Prado via Wikimedia 

«Plus jamais ça!» Dans une tribune publiée sur France info, vendredi 27 mars, des responsables d'association et de syndicats militent pour «saisir l'opportunité historique d'une remise à plat du système, en France et dans le monde». S'inspirant du slogan pacifiste «Plus jamais la guerre», né après la boucherie de 1914-1918, ces voix rejoignent ainsi la cohorte de tribunes médiatiques prophétisant ou plaidant pour la naissance d'un monde nouveau, plus écologique et égalitaire, après l'épidémie de Covid-19.

Cette référence à la Grande guerre en rappelle évidemment d'autres. Depuis le début de la crise liée au coronavirus, les parallèles avec la grippe espagnole, le SRAS, voire avec les épidémies plus anciennes de peste ou de choléra, sont légion. Mais quelles conséquences ces grandes pandémies ont-elles eu sur les sociétés affectées? Est-on allé, à leur suite, délibérément ou non, vers plus de justice et de sagesse, comme certain·es l'espèrent aujourd'hui? Faisons un petit saut dans le temps pour comprendre en quoi ces crises sanitaires majeures ont pu donner naissance (ou pas) à de nouveaux modèles de vie.

Effondrement et chaos invisible

Pour qu'il y ait métamorphose après une crise, il faut d'abord que la société qui l'éprouve survive. Or, la postérité d'une épidémie a parfois pris le chemin pur et simple d'un effondrement civilisationnel. Les Incas, c'est connu, n'ont pas résisté aux germes de la variole apportés par les conquistadors espagnols au XVIe siècle. Après la grippe espagnole (1918), certains îlots des Vanuatu ont perdu 90% de leur population. «Vingt langues ont alors disparu», note la journaliste Laura Spinney dans son livre La Grande Tueuse. Comment la grippe espagnole a changé le monde.

Plus grave pandémie que l'Europe ait jamais connu, la peste noire (1347-1352) a tué entre 25 et 45 millions de personnes en Eurasie. Certaines villes ont perdu la moitié de leurs habitant·es en quelques mois. Dans la série documentaire Quand l'histoire fait datesl'historien Patrick Boucheron rappelle que le virus de la puce du rat a eu également raison de deux empires en Asie: «Après le passage de la peste, la seconde moitié du XIVe siècle verra s'effondrer le règne turco-mongol de la Horde d'or, ainsi que la disparition des Yuan, au profit de la dynastie Ming, en Chine. [...] Il est fort probable que la peste fasse rupture. En tout cas, elle est contemporaine d'une rupture politique.»

Mais ce qui est frappant, poursuit l'historien au Collège de France, c'est que «fondamentalement en Europe, la pandémie ne change rien. Comme si ce monde qui a été terrorisé par la peste ne doutait pas de lui-même et repartait sur les mêmes bases». Pour expliquer cette «énigme», Patrick Boucheron évoque notamment la solidité du pouvoir religieux catholique, alors installé en Avignon.

«La majorité des historiens s'accorde à reconnaître que la grippe espagnole a accéléré la fin de la Grande guerre.»

Laura Spinney, autrice

L'archéologue Michel Signoli, auteur d'un Que sais-je? sur la peste noire, signale quand même quelques nouveautés. Le recul démographique sans précédent rend la main d'œuvre plus rare et donc, plus chère. En Angleterre, les salaires grimpent en flèche. Ni une ni deux, le roi Edouard III fait adopter deux lois encadrant le statut des travailleurs (en 1349 et 1351), fixant notamment un plafond aux salaires. Un autre bouleversement lié à la démographie touche les paysages: «Certains villages disparaissent complètement. Et comme il y a moins de bouches à nourrir, des terres agricoles sont laissées à l'abandon. Après deux siècles de déforestation, la forêt reprend ses droits dans de nombreuses régions.»

Plus près de nous, la grippe espagnole, qui a fait entre 30 et 50 millions de morts dans le monde, a également eu un impact non négligeable à long terme. Elle a sans doute précipité certains événements politiques, un peu comme la peste d'Athènes (430 av. J.-C.) avait hâté la défaite de la cité assiégée contre Sparte. «La majorité des historiens s'accorde à reconnaître que la grippe espagnole a accéléré la fin de la Grande guerre», écrit Laura Spinney, qui indique aussi qu'en Asie du Sud, la pandémie «marque l'instant où les Indiens se sont définitivement éloignés de la domination britannique»«Considérée dans son ensemble, l'humanité a pu manifester une certaine résilience», nuance-t-elle toutefois.

Le commerce avant tout

Une constante dans ces pandémies, c'est le souci de protéger le commerce. Comme la peste justinienne (VIe-VIIIe siècle), la peste noire met à rude épreuve les voies de négoce traditionnelles. Certains axes commerciaux, comme la Méditerranée, perdent de leur attractivité au profit d'autres. Les Flandres deviennent ainsi une plateforme d'échanges majeure en Europe, au Moyen-Âge. «La mise en quarantaine est synonyme de pertes financières énormes et potentiellement de troubles politiques, relève Michel Signoli. Du coup, on réfléchit à deux fois avant de déclarer sa ville “pestiférée”. En 1720, pendant la dernière peste provençale, les autorités ont nié le plus longtemps possible la réalité sanitaire pour protéger les intérêts commerciaux.»

Cette préoccupation pèse lourdement sur la gestion des crises. Au XIVe siècle, naît ainsi le débat entre les «contagionnistes» et les «anti-contagionnistes» (ou «aéristes»). L'immunologiste Patrice Debré s'en fait l'écho dans Vie et mort des épidémies, coécrit avec Jean-Paul Gonzalez. Les premiers estiment que la maladie se transmet par la peau, tandis que les seconds croient davantage à un châtiment divin frappant au hasard, depuis le Ciel: les mesures que préconisent les aéristes sont donc moins radicales... et ont davantage l'oreille du pouvoir.

L'inquiétude ne survient pas dès les tout premiers morts, ce qui explique aussi certains retards à l'allumage.

«L'harmonisation des quarantaines s'est longtemps heurtée à une opposition d'ordre économique ou diplomatique, aboutissant à des désastres», développe Patrice Debré. Et ce débat n'est pas propre au Moyen Âge. La controverse perdure des siècles: «C'est ainsi qu'au XIXe siècle, l'Angleterre a changé la quarantaine par un simple interrogatoire», moins contraignant pour les marchands.

De fait, l'inquiétude ne survient pas dès les tout premiers morts, ce qui explique aussi certains retards à l'allumage. «On s'inquiète vraiment quand la peste tue trop de gens de bonne condition», ironise Michel Signoli. Les épidémies de peste renforcent un peu plus les inégalités: les riches se réfugient (déjà à l'époque!) à la campagne tandis que le bas peuple est sommé de faire tourner l'économie. «Dans les ports, naît une nouvelle profession: des hommes de condition misérable sont chargés de ventiler les marchandises. Ce sont des cobayes qu'on sacrifie pour détecter la maladie: quand un épisode de peste revient, ce sont eux qui meurent en premier.» Les dockers actuels sont leurs lointains descendants.

Isolement, exclusion, persécution

Pour lutter contre les pandémies, institutions et populations peuvent être prises d'une «frénésie de purification», selon l'expression de Patrice Debré. «Au milieu du XIVe siècle, une loi, la première de la sorte en France, enjoint par ordonnance royale les indigents, oisifs et mendiants de quitter Paris sous peine “de bannissement en passant par le pilori”», relate-t-il. Dans les ladreries où on les a reclus·es, certain·es malades de la lèpre, soupçonné·es d'avoir transmis la peste, sont tué·es sans sommation. On cherche d'autres boucs émissaires: on accuse la population juive. Des pogroms ont lieu, la moitié des juifs et juives de Strasbourg sont ainsi exécuté·es en février 1349. Des protestant·es subiront le même sort pendant les pestes plus tardives.

«Lorsque la peste arrive en 1347, raconte Michel Signoli, tout le monde est pris de court. La maladie avait disparu depuis cinq siècles! Devant l'effroi, le seul secours à solliciter, c'est Dieu. Des flagellants se mettent à sillonner l'Europe torse nu pour tenter de calmer le divin. Des groupes religieux dissidents apparaissent. L'autorité pontificale sera vite soucieuse de reprendre les choses en main.»

Là encore, la période contemporaine n'est pas exempte de comportements similaires, entre stigmatisation et exclusion. Au début du XXe siècle, la cuisinière Mary Mallon a ainsi passé plusieurs décennies en quarantaine sur l'île de North Brother Island (New York) alors qu'elle n'était plus porteuse de la fièvre typhoïde. Patrice Debré rappelle aussi qu'en 1987, les autorités américaines ont ajouté le sida à la liste des maladies contagieuses interdisant l'entrée sur le sol des États-Unis.

L'émergence des politiques de santé publique

Avec la lèpre dès le VIIIe siècle (isolement), puis la peste à partir du XIVe siècle (confinement), les premières mesures politiques contre les pandémies sont mises en place. «Au Xe siècle, les Chinois pratiquent déjà des inoculations de croûtes de pustules varioliques pour diminuer le risque de contamination», écrit Patrice Debré. La première quarantaine est instaurée à Raguse (Dubrovnik) au XIIIe siècle. Sous Louis XIV, le système se structure davantage en France grâce aux contrôleurs généraux. On passe peu à peu d'un modèle «juridico-légal» à un modèle «sécuritaire», selon l'analyse foucaldienne: la surveillance des populations succède à leur répression (voir Michel Foucault, Sécurité, Territoire, population).

Si la médecine tâtonne encore à la fin du Moyen Âge, certaines mesures d'hygiène commencent à s'imposer. On change le linge à partir du XVIe siècle. Le lavage des mains est recommandé par le médecin Ignace Semmelweiss au début du XIXe siècle, alors même qu'on n'a pas encore découvert les microbes.

Après l'épidémie de choléra qui frappe Londres en 1854, étudiée par le médecin John Snow, les autorités encadrent l'approvisionnement en eau. La recherche en bactériologie menée en Allemagne (avec Robert Koch) et en France (avec Louis Pasteur) font entrer la médecine dans une ère nouvelle, au cours de laquelle les ministères de la Santé publique naissent ou se renforcent.

Si la grippe espagnole est contemporaine de ces changements, elle ne les provoque pas directement. Laura Spinney signale par exemple que le premier programme d'assurance maladie vient de Bismarck en 1883, que les polices d'assurance-vie existaient déjà aux États-Unis avant 1918 et que l'ancêtre de l'Organisation mondiale de la santé avait été créé dès 1907. Paradoxalement, l'incapacité de la médecine moderne à endiguer la maladie suscitera même la méfiance chez certain·es: signe parmi d'autres, l'homéopathie sera homologuée aux États-Unis en 1938 et la chiropractie fera de plus en plus d'adeptes. Ce que montre cet épisode meurtrier, c'est donc que «l'après» d'une pandémie n'a rien de linéaire: elle peut susciter des réactions totalement inédites tout en renforçant certaines tendances historiques plus profondes.

Des imaginaires collectifs à géométrie variable

À plus ou moins long terme, et de façon différenciée selon chaque pays, les grandes pandémies laissent donc leur empreinte. Et dans l'imaginaire collectif? Pour Patrick Boucheron, «si la peste fait date, ce n'est pas parce qu'elle est demeurée en Europe jusqu'en 1722, mais parce que son empreinte la plus profonde, c'est dans l'imaginaire qu'on la trouve. Toutes les grandes catastrophes vont être comparées à elle. La peste noire s'installe comme image même de la désolation». Une image qui prendra par exemple les traits des Danses macabres, dans l'art médiéval, ou d'autres tableaux célèbres (tel Le Triomphe de la mort, peint en 1445 et dont Picasso reprendra certains motifs dans Guernica).

Qui dit combat contre la maladie dit aussi héroïsation des combattant·es. «À Marseille, ces figures de la lutte contre la peste de 1720 s'appellent François-Xavier de Belsunce et Nicolas Roze, rappelle Michel Signoli. Une des tribunes du stade Vélodrome porte d'ailleurs le nom de Chevalier Roze!» Mais la mémoire collective a ses raisons que la raison ignore, parfois. «Après la grippe espagnole, écrit Laura Spinney, le ministère de la Guerre français a octroyé une “médaille d'honneur des épidémies” aux milliers de civils et militaires qui s'étaient distingués dans la bataille contre la maladie.» Un siècle plus tard, qui s'en souvient encore?

Finalement, les réactions à la survenue d'une épidémie «sont à peu près les mêmes à chaque fois, selon Michel Signoli. On a ceux qui ont peur, ceux qui profitent de la situation, ceux qui aimeraient changer ceci ou cela. L'épidémie de Covid-19 est une très belle leçon d'humilité pour nous tous».

 

Si nous sommes mieux éduqué·es et informé·es qu'il y a cent ans, reconnaît Patrice Debré, le schéma reste globalement le même: «Chaque nouvelle épidémie est une lutte contre les démons des hommes, prévient-il. Seules les armes ont changé. Le mur fait de pierre et de torchis qui jadis séparait la Provence du reste du monde pour faire barrage à la contagion porte aujourd'hui un nom: recherche scientifique.» Patrice Debré assure prudemment que l'on «en tirera forcément des leçons, d'un point de vue sociétal, économique et médical, quoique davantage au niveau national, sans doute». Mais au chapitre des prévisions, s'il est une chose que l'histoire enseigne, c'est que l'avenir est aussi imprévisible que ne l'est la survenue d'une épidémie.

Portrait de mohican

Mais  ;       " S'inspirant du slogan pacifiste «Plus jamais la guerre», né après la boucherie de 1914-1918, ces voix rejoignent ainsi la cohorte de tribunes médiatiques prophétisant ou plaidant pour la naissance d'un monde nouveau, plus écologique et égalitaire, après l'épidémie de Covid-19."

On a malheureusement vu ce qui c'est passé ensuite,les guerres ne se sont pas arretés bien au contraire.L'être humain a une facheuse tendance a oublier les grands malheurs une fois qu'une période plus ou moins longue de bonheur ou de paix s'installe....."Chasser le naturel et il revient au galop" et je suis sur que ces mandarins de la médecine,les nantis du haut de la pyramide , ces grands capitaines d'industries reviendront très vite à leurs habitudes néfastes pour la population comme si il ne s'était rien passé.

Portrait de ouhlala

une grande famille de découvreurs, la carte à puce, l'Amérique...

Portrait de mohican

"Près des deux tiers de ces cas ont été déclarés dans quatre pays", a expliqué le directeur général de l'organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

© Fournis par Franceinfo

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait état, mercredi 20 mai, du plus grand nombre de nouveaux cas de Covid-19 dans le monde en une seule journée depuis le début de la pandémie, disant craindre ses conséquences dans les pays les plus pauvres. "Nous avons encore beaucoup de chemin à faire dans cette pandémie de Covid-19. Au cours des dernières 24 heures, 106 000 cas ont été déclarés à l'OMS – le chiffre le plus élevé pour une seule journée depuis le début de l'épidémie", s'est alarmé le directeur général de l'OMS.

"Près des deux tiers de ces cas ont été déclarés dans quatre pays", a ajouté Tedros Adhanom Ghebreyesus lors d'une conférence de presse virtuelle depuis le siège de l'OMS, à Genève. Il n'a pas précisé quels étaient ces pays mais, selon le dernier rapport de l'OMS publié sur son site internet, il s'agit des Etats-Unis, de la Russie, du Brésil et de l'Arabie saoudite, suivis de près par l'Inde, le Pérou et le Qatar.

 

Plus de 320 000 morts dans le monde

"Nous sommes très préoccupés par le nombre croissant de cas dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires", où le système de santé est défaillant ou inexistant et les mesures de distanciation physique plus difficiles à mettre en œuvre, a souligné Tedros Adhanom Ghebreyesus. Ces pays sont par ailleurs les plus vulnérables, sur le plan économique, à l'effondrement des échanges commerciaux et des déplacements internationaux qui les prive notamment d'une manne touristique indispensable.

Le cap des cinq millions de cas dans le monde sera bientôt atteint, a ajouté Michael Ryan, responsable des urgences sanitaires de l'OMS. Partie de Chine il y a cinq mois, la pandémie de nouveau coronavirus a fait le tour du monde, tuant sur son passage 323 370 personnes, selon un décompte de l'AFP.

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"Depuis le début, je le dis, j’ai peur de la peur". Didier Raoult revient dans une interview accordée au journal quotidien La Provence sur la gestion de la crise du coronavirus en France. Pour le professeur marseillais, l’épidémie a été gérée par la "peur" plus que par une "mauvaise gestion médicale". 

 

"Parmi ces morts, plus de la moitié l’ont été, non pas en raison de la mauvaise gestion médicale, ni du Covid, mais du bordel qu’on a foutu dans la santé, car en pratique on n’a pas soigné les gens", tranche Didier Raoult.

"Deux fois moins de morts"

Le professeur marseillais poursuit en expliquant que les autorités sanitaires n’étaient pas prêtes à l’arrivée d’une telle vague et ont été "terrifiées parce que la moyenne d’âge est importante". "À force d’avoir peur des risques, on n’arrive plus à les gérer", estime-t-il, engendrant alors "une surmortalité". 

"Si on n’avait pas eu peur, on aurait eu deux fois moins de morts, si on m’avait écouté, on aurait eu deux fois moins de morts" pour Didier Raoult qui pense que son discours a été “inaudible”, et rappelant que la surmortalité a été “quatre fois plus à Paris que dans les Bouches-du-Rhône”.

Cette mauvaise préparation est liée également, selon Didier Raoult, à l’absence d’un "véritable programme réfléchi sur le devenir de la recherche hospitalière et médicale". 

"Domaine régalien"

Didier Raoult relance le débat sur la recherche en France et le retrait de l’Etat dans ce domaine. Mis en cause pour sa frénésie de publications, le médecin de la Timone assure avoir fait faire des économies "à l’Assistance publique", argent dont il n’a pas "vu un sou". "En pratique, la recherche médicale est payée par l’industrie pharmaceutique", assure le professeur.

“Alors que les maladies infectieuses, cela devrait être un domaine régalien, martèle encore Didier Raoult. C’est de la défense nationale." Il appelle à la création de "sept infectiopoles en France".

Didier Raoult s’en prend également au conseil scientifique qui selon lui n’a pas fait les bons choix dans la gestion de cette crise. "Si cela avait été un vrai conseil scientifique, on aurait fait des sondages dans quatre ou cinq endroits pour mesurer la cinétique de l’épidémie. On aurait eu des chiffres plutôt que des fantasmes", lance-t-il expliquant avoir été l’un des premiers à définir, grâce à des dépistages, que l’épidémie serait en forme "de cloche". 

"On a fait tout l’inverse"

La gestion de la crise a été selon lui parasitée par "les pieds nickelés" qui ont travaillé sur le Remdesivir, un antiviral envisagé comme traitement du Covid-19. “Il n’y en avait que pour le Remdesivir, s’insurge-t-il. Je n’ai jamais vu ça. La puissance de Gilead!” Didier Raoult réagit également à la polémique autour de l’étude controversée sur l’hydroxychloroquine publiée dans The Lancet. Cette publication avait entraîné l’interdiction de l’utilisation de la molécule contre le covid-19.

“La plus grande faute gouvernementale ne concerne pas les décisions sur la chloroquine. Ils ont été embarqués dans une histoire dont ils n’arrivaient plus à se sortir, dans l’émotion, ils étaient dans la surréaction. En revanche, on a fait tout l’inverse de ce que l’on doit faire dans le traitement des maladies infectieuses”, conclut Didier Raoult.

Le professeur marseillais sera entendu mercredi 24 juin par la commission parlementaire sur la gestion de la crise du coronavirus.