Générations positives : Jean-Paul et Dimitri

Publié par Rédacteur-seronet le 28.01.2021
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Jean-Paul a 58 ans et vit avec le VIH depuis 1985. Dimitri a 27 ans. Il vit avec le VIH depuis 2018. Ils ne se sont jamais rencontrés ni parlé. Aujourd’hui, ils participent à un entretien croisé autour de la question de la vie affective et sexuelle.

Quelle était votre situation personnelle au moment où vous avez découvert votre séropositivité ?

Jean-Paul : J’étais célibataire avec quelques aventures avec des femmes, mais la stabilité est arrivée quelques années plus tard. J’avais 23 ans à l’époque et pas forcément l’envie de me caser.
Dimitri : Moi, j’avais 25 ans et j’étais également célibataire avec quelques aventures avec des hommes, mais pas si souvent en fait.

Qu’est-ce que le VIH a changé dans votre façon d’aborder votre vie affective et/ou sexuelle ?

Dimitri : Contrairement à ce que j’aurais pu penser, ça n’a pas changé beaucoup de choses, car j’ai décidé d’annoncer dès le départ que j’étais séropositif à chaque personne avec qui j’envisageais de faire une rencontre. Au début, c’était un peu compliqué de se dire à chaque fois, il faut que je l’annonce à un inconnu. Mais au final, j’ai eu beaucoup de personnes bienveillantes et je n’ai pas subi beaucoup de rejets. Je pense que cela m’a aidé à accepter les choses au début. Pra exemple, il y a ce garçon que j’ai rencontré et qui, du coup, s’est informé sur le sujet et a décidé de prendre la Prep. Je trouve ça important d’informer les personnes sur le VIH. Ça donne de l’espoir de savoir que de belles rencontres sont possibles malgré le VIH.
Jean-Paul : Pour moi, c’était une autre époque et ce n’est pas un sujet qu’on abordait facilement. Il faut se remettre dans le contexte de 1985, les débuts de l’épidémie. J’avais pour projet de partir vivre en Angleterre et quand le médecin m’a annoncé mon diagnostic, il m’a conseillé de rester en France pour profiter de mes « derniers instants », avec mes parents. Ce bouleversement m’a empêché de me projeter dans quoi que ce soit, y compris d’un point de vue affectif. Ce n’était pas dicible, alors je gardais cette information pour moi et je mettais des préservatifs avec mes partenaires, mais je me refusais toute relation suivie à cause du VIH. À cette époque, je me suis réfugié dans la drogue, qui était la cause initiale de ma contamination. Et puis une fois sorti de la drogue, j’ai eu une période de stabilité de 1988 à 1992 avec la même personne. Ma « chance » a été que je suis resté en bonne santé, je n’ai pas développé de maladies liées à mon VIH et je n’ai jamais été en stade sida, même si mes CD4 ont fini par baisser dangereusement. Mais heureusement, c’était juste au moment de l’arrivée des trithérapies efficaces [1996, ndlr].

Parlez-vous de votre statut sérologique avec vos partenaires ? Si oui, à quel moment de la relation ?

Jean-Paul : J’ai parlé de ma séropositivité à visage découvert dans plusieurs médias importants comme Canal+. Le VIH est devenu une part de mon identité quasiment revendiquée ; donc oui, en parler est important pour moi et le plus tôt possible. À ce jour, j’ai la chance de ne jamais avoir subi de rejet dans mes rencontres amoureuses, en raison de mon statut sérologique, du moins pas de façon frontale. Ça complique les débuts d’une relation, c’est vrai, mais ce n’est pas un obstacle insurmontable pour moi. Et puis, si rejet il y a, c’est une façon de faire du « tri » et de m’épargner une personne qui ne serait pas pour moi.
Dimitri : Sur les applis de rencontre, j’en parlais assez rapidement dès le début et maintenant je précise même cette information sur mon profil. J’ai l’impression que moins de mecs viennent me parler sur les applis depuis que je précise mon statut sérologique, mais, effectivement, c’est une façon de faire du tri. Si la personne réagit bien, on reprend le cours de notre discussion. Une fois, j’étais à un mariage. C’était juste trois mois après la découverte de ma séropositivité, et j’ai rencontré un mec qui me plaisait bien. L’alcool aidant, je lui ai annoncé le soir même que j’étais séropositif et que je venais tout juste de commencer un traitement, donc j’ignorais si ma charge virale était déjà indétectable. Il a très bien pris cette annonce et on a passé plusieurs jours ensemble après le mariage.

Comment gérez-vous la sérophobie sur les applis de rencontre de type Tinder ou Grindr ?

Jean-Paul : J’ai essayé les applis, mais ce fut une expérience catastrophique ! Je pense que c’est plus simple dans la communauté gay car on a tous un pote gay séropo, mais chez les hétéros, la proximité n’est pas la même. Les personnes à qui je parlais étaient à des années lumières de connaître et comprendre la vie avec le VIH. C’est un autre monde pour les hétéros. Et puis, je n’ai pas les codes de la drague en ligne. Dans mon ancienne vie, je faisais partie du milieu de la nuit et de la musique ; les opportunités étaient plus nombreuses. Aujourd’hui, je vis à la campagne et j’ai peu de vie sociale. La vie a fait que je suis devenu asexuel. Ce n’est pas un choix, c’est une évolution, mais je n’en souffre pas et je reste ouvert à une éventuelle rencontre amoureuse.
Dimitri : Je me souviens d’un mec qui est venu me parler sur Hornet, après avoir vu que j’étais séropositif sur mon profil et la première chose qu’il m’a écrite était : « T’as le sida ? » J’ai d’abord essayé de faire preuve de pédagogie en lui expliquant la différence entre VIH et sida, mais j’ai vite compris qu’il était plus dans la provocation et l’agressivité, et j’ai fini par le bloquer. J’ai trouvé cet échange assez blessant et sur le coup ça m’a fait mal, mais ensuite j’ai pris du recul car je ne le connaissais pas, au final, et je ne voulais pas que ça m’atteigne. Heureusement, la plupart des mecs réagissent bien et j’aime bien faire de la pédagogie autour du VIH, que ce soit sur les applis de rencontres, mais aussi sur Twitter où j’ai parlé de ma séropositivité à visage découvert pour inciter ma communauté à se faire dépister (1).

Quelles ont été les réactions sur Twitter suite à l’annonce de votre séropositivité ?

Dimitri : J’ai reçu des dizaines de messages privés. J’ai d’ailleurs eu du mal à répondre à tout le monde. Beaucoup d’encouragements et des questions aussi. Il y a ce mec, par exemple, qui pensait avoir pris un risque, mais qui n’osait pas aller voir le médecin. Je l’ai incité à aller faire un dépistage en lui expliquant bien que le plus important c’était de connaître son statut sérologique puis d’agir en conséquence. C’est valorisant de transmettre un savoir et de rassurer les gens.
Jean-Paul : Moi aussi, j’ai été repéré sur les réseaux sociaux suite à mes différents témoignages et des gens ont commencé à venir se confier par message privé sur Twitter.

Abordez-vous votre vie affective et/ou sexuelle avec votre médecin ?

Jean-Paul : Ce sujet n’a jamais été abordé avec aucun de mes médecins aussi loin que je me souvienne. J’ai le même médecin hospitalier depuis 25 ans et on s’entend très bien, mais on n’aborde pas ces sujets.
Dimitri : Personnellement, je ne ressens pas le besoin d’en parler avec mon infectiologue. Les consultations sont assez expéditives.

Dimitri, quel regard portez-vous sur la génération des personnes qui vivent avec le VIH depuis 25/30 ans, voire plus ?

Dimitri : Je suis impressionné car ces personnes ont un vécu très différent du mien. Le contexte VIH des années 80/90 n’est pas du tout le même que celui d’aujourd’hui. Elles ont vécu l’horreur et ont subi des traitements très toxiques. J’ai beaucoup de respect pour cette génération.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération U=U ?

Jean-Paul : Clairement le contexte n’est pas le même, le diagnostic non plus. On m’a annoncé que j’allais mourir à 23 ans, c’est un vrai traumatisme. Après, le choc de l’annonce existe toujours et les angoisses qui vont avec aussi. Moi, je leur dis que ça va aller et qu’ils vont avoir une vie normale. Je leur dit : « Surtout ne changez rien ! ». Mon plus gros regret, c’est d’avoir arrêté tous mes projets personnels suite à l’annonce.
Dimitri : L’annonce a été un choc pour moi, c’est clair ! Je me suis vu mourir. Cette peur n’était pas forcément rationnelle car j’avais des amis séropos et je savais que j’allais avoir accès à des traitements efficaces, mais sur le coup, j’ai vraiment eu peur. Aujourd’hui, je ne pense même plus au VIH, à part quand je prends mon comprimé quatre jours par semaine.

Comment renouer le dialogue entre ces deux générations ?

Jean-Paul : Certaines personnes n’ont pas su évoluer aussi vite que les progrès thérapeutiques. Je suis content que la nouvelle génération bénéficie de ces traitements efficaces et je ne vais pas leur souhaiter de vivre ce que j’ai vécu. L’essentiel pour moi, c’est de respecter le vécu de chacun. On a tous une histoire de vie différente avec le VIH et on n’est pas dans un concours de celui qui a le plus souffert. Dire qu’on vit avec le VIH de façon différente, ce n’est pas nier ce que d’autres ont vécu.
Dimitri : Il faut que chacun s’écoute et fasse preuve d’ouverture d’esprit. La maladie a évolué avec son temps. Personnellement, une fois l’annonce digérée et avec le recul, je trouve que le VIH m’a rendu plus fort et a changé complètement ma vision de la vie et ma relation avec les autres. Je m’en serai passé, bien sûr, mais aujourd’hui j’ai appris à vivre avec et ça me convient.

Pourquoi avez-vous accepté de participer à cet entretien aujourd’hui à visage découvert ?

Jean-Paul : Être visible, c’est une façon de rompre l’isolement et de lutter contre les discriminations liées au VIH. J’ai la chance d’être libéré de toute pression familiale, sociale ou professionnelle, alors je le fais pour celles et ceux qui ne peuvent pas le faire.
Dimitri : J’ai cette facilité à en parler. Mon entourage a été une première étape, puis il y a eu Twitter ; alors je me suis dit : pourquoi pas avoir une portée un peu plus large. Je comprends ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas en parler. Mais, personnellement, je ne veux plus que le VIH soit un sujet tabou ou honteux.

Propos recueillis par Fred Lebreton.

 

(1) : Dans un tweet publié le 15 janvier 2019, Dimitri incitait les gens à se faire dépister pour le VIH en révélant sa séropositivité. Le tweet a été liké par plus de 1 000 personnes et partagé plus de 200 fois.

 

Le vécu des personnes vivant avec le VIH a beaucoup évolué depuis l’arrivée des trithérapies en 1996. Avec les années et les avancées thérapeutiques, un fossé s’est creusé entre une génération qui a connu des traitements avec de nombreux effets indésirables, des comorbidités apparaissant avec le vieillissement et parfois même les décès de personnes très proches et une nouvelle génération qui s’est construite  autour du Tasp et de la Prep, de traitements simplifiés. Pourtant, chaque expérience de vie avec le VIH est unique et mérite d’être racontée et entendue. Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre ces générations ? Comment les plus anciens-nes peuvent-ils-elles transmettre l’histoire de la lutte contre le VIH tout en acceptant l’optimisme et le vécu de la génération U = U ? Quels sont les points de convergences de ces générations ? Si vous voulez participer à un entretien croisé, n’hésitez pas à envoyer un mail à Fred Lebreton (flebreton "@" aides.org).

 

Commentaires

Portrait de Butterfly

Quel parcours interressant ! Oui c'est vrai que chez les heteros on en parle moins en même temps ce sont pas les mêmes fêtard !! donc moins de rencontre entre eux j'en suis triste .. mes amis sont + des homos hommes d'ailleurs et ont se lache plus on s'aime - 

Ma vie c'est arrêté aussi en 84 quand j'avais appris ma séropositivité .. certe les médocs y en avait pas j'ai eu mon 1er traitement en 92 et la tri en 96 bref j'avais eu l'AZT mais peu de temps car ne supportait pas les effets secondaires , aujourd'hui j'ai la tri en un cachet mais avant plusieurs autres car mon organisme rejette au bout de 2 ou 3 ou 5 ans les médocs bah là ca va même si effet secondaires j'assure on va dire - Bien sur du a la maladie  et des traitements des maladies opportuniste ; cholestérol artère bouché du coeur hypotrophie de certains membre car les traitements n'arrange rien même si tu fait du sport ça bouffe de la graisse tu maigris et la graisse se place ou elle veut bah .. toujours vivante - 

Si j'avais été une personnalité je l'aurai dit devant les caméras mais là victime de harcèlement moral a l'armée ... on me disait vous une handicapé pfff ça se voit même pas On me donné pas de travail bref depuis 2018 je prie pour avoir un avocat et me défendre car dans la fonction de l'état no témoin les syndicats que dalle bref cata .. et bref 

Donner conseil a ceux qui l'ont que depuis 5/10/15/20/25/30 etc comme moi no pbl .. sachant qu'on a tous des organismes différent a la réception de chaque traitements pour tout donc wy not 

BON MESSIEURS BONNE ANNEE ET BON COURAGE POUR ACTUELLEMENT ! BISOUS