Écriture inclusive… un point, c’est tout !

Publié par jfl-seronet le 14.08.2021
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Ces dernières années, les débats ont été vifs concernant l’écriture inclusive. Cette dernière (pour faire simple et court) vise à « reféminiser » la langue française dans l’objectif de permettre, en complément d’autres mesures structurelles, de faire reculer la discrimination dont les femmes font l’objet… dans de trop nombreux champs de la vie quotidienne et de l’espace social (emploi, place dans les médias, représentativité politique, etc.). Et ainsi assurer l’égalité des sexes. On parle d’ailleurs aussi d’écriture égalitaire.

Certains médias ont opté pour l’écriture inclusive depuis longtemps. C’est aussi le cas d’une bonne partie de la presse LGBT. D’autres rechignent encore. Cette écriture que nous appliquons entend rappeler (pour ne citer que quelques exemples) que les personnes qui font de la recherche scientifique ne sont pas uniquement des hommes, que les personnes qui soignent sont bien souvent des femmes, que l’Assemblée nationale ne comprend pas que des parlementaires masculins, mais que des élues y tiennent leur place, que les « consommateurs » de drogues sont aussi des femmes, que les « patients » sont aussi des femmes…  Et l’on pourrait multiplier les exemples.

Mais tout change à partir des années 80. C’est là que le dogme vacille. Sous l’impulsion des mouvements féministes, on se dit qu’il serait temps de féminiser les noms de métier et de fonction. Une commission est créée en 1984. Elle est présidée par l’écrivaine Benoite Groult. Elle aboutit à la circulaire du 11 mars 1986 qui entend imposer la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades dans les documents de l’administration. Elle suscite déjà la colère de l’Académie française, jamais en retard d’une réaction ! Elle ne sera pas appliquée… Cette forme d’égalité de traitement peut bien attendre. Il faut être patient-e… et attendre pas moins de trois autres circulaires (1998, 2002 et 2017) pour que celle-ci soit mise en œuvre.

Comme le rappelle une très bonne émission de France Culture, la polémique quitte les noms de métiers et fonctions pour rebondir sur les formes féminisées du langage. C’est-à-dire le « retour d’usages syntaxiques et l’invention d’astuces graphiques pour mieux rendre visibles les femmes dans la langue française ». C’est cet ensemble que « résume le concept de langage inclusif ou épicène [dont la forme ne varie pas selon le genre, ndlr] ou non sexiste ». On y fait preuve d’inventivité, d’astuce… bref ce qui participe du charme d’une langue vivante. C’est, à titre d’exemple : le point médian (ou tiret) qui vise à féminiser un mot masculin via une abréviation (exemple : cette loi a été votée par des député.e.s élu.e.s récemment ; que l’on peut aussi écrire : cette loi a été votée par des députés-es élus-es récemment). Lancé en 2017, ce « point » focalise les débats et les polémiques. Une autre innovation est l’accord grammatical de proximité ou de logique (exemple : Les immeubles et maisons ont été détruites par l’ouragan.) Ici, l’adjectif s’accorde avec le sujet le plus proche. Dans la tradition, c’est le masculin qui « l’emportait ». Cela prend un sens particulier lorsqu’il ne s’agit plus d’objets, mais de personnes (exemple : les hommes et les femmes privées de droits sont éloignés.es du soin ou : les hommes et les femmes privés-es de droits sont éloignés-es du soin). Et il existe encore d’autres innovations de ce type.

On a beau prendre le problème par quelque bout que ce soit : écrire ne mentionnant pas la présence, le rôle et l’importance des femmes dans des champs entiers de notre vie, c’est les rendre invisibles aux yeux de tous-tes ; comme une volonté de faire croire que leur apport serait accessoire et qu’il y aurait en toutes circonstances, toutes époques, tous domaines, un irrémédiable primat du masculin sur le féminin déguisé en règle grammaticale : l’un écrasant l’autre ; le « premier » gommant le second. Durant des décennies (en fait, beaucoup plus...), nous nous sommes collectivement pliés-es à cette idée fixe que le masculin l’emportait toujours sur le féminin ; à tel point que lui seul s’imposait dans l’esprit de tous-tes ! Cette option grammaticale a un poids plus vaste et plus signifiant que s’il ne s’agissait que d’un aménagement technique du langage, une facilité d’usage. Cette option est lourde de sens et délivre un message. Elle l’a toujours été, l’a toujours fait. Il s’avère qu’aujourd’hui des ils et des elles le contestent. Si on est sensible aux nuances, au sens des mots… on comprend bien que parler des « droits de l’Homme » ne résonne pas de la même façon que de parler des « droits humains », dès lors qu’on entend considérer les femmes, le féminin. L’écriture inclusive est indéniablement plus juste pour refléter et incarner une égalité des sexes que nous méritons tous-tes !

L’écriture inclusive a évidemment ses détracteurs-rices. Ils-elles passent souvent à l’offensive (avec l’immigration, c’est un des sujets phares du Figarovox), y compris dans le camp gouvernemental. Ainsi sur le site du ministère de l’Éducation nationale figure en bonne place le texte d’une circulaire (en date du 5-5-2021). Adressée aux « recteurs et rectrices d'académie ; aux directeurs et directrices de l'administration centrale ; aux personnels du ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports », cette circulaire rappelle les règles en usage dans l’enseignement, l’administration, mais elle fait un peu plus que cela : elle argumente et prend le contrepied de celles et ceux qui défendent l’écriture inclusive. « Au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l'écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l'intelligibilité de la langue française ». Sur le dernier argument, le texte signé par le ministre Blanquer explique que : « L'apprentissage et la maîtrise de la langue française, au cœur des missions de l'École, contribuent (…)  à lutter contre les stéréotypes et garantissent l'égalité des chances de tous les élèves. Ces objectifs ne doivent pas être pénalisés par le recours à l'écriture dite « inclusive » dont la complexité et l'instabilité constituent autant d'obstacles à l'acquisition de la langue comme de la lecture ». Au nom de la « combinaison séculaire de l'histoire et de la pratique », du « respect de l’écologie du verbe » notre langue ne pourrait procéder qu’à quelques menus aménagements, comme « la féminisation de certains termes, notamment les fonctions, dans le respect des règles grammaticales ». Mais on voit bien que ce simple toilettage (d’une envergure fort modeste) est bien loin de l’objectif d’une « égalité entre les filles et les garçons, prélude de l'égalité entre les femmes et les hommes » que l’Éducation nationale prétend promouvoir et garantir. Bien sûr, le ministère semble conscient de son rôle dans la « transmission d'une culture de l'égalité », « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles » et la promotion d’une « politique d'orientation en faveur d'une plus grande mixité des filières et métiers ». Mais la seule féminisation de certains titres ne permet pas d’aller bien loin. Sous la plume du ministre Blanquer, on lit que « Notre langue est un trésor précieux que nous avons vocation à faire partager à tous [tes ?] nos élèves, dans sa beauté et sa fluidité, sans querelle et sans instrumentalisation ». Il faut être honnête, le ministère de l’Éducation recommande de « recourir à des formulations telles que « le candidat ou la candidate » afin de ne pas marquer de préférence de genre, ou à des formules telles que « les inspecteurs et les inspectrices de l'éducation nationale » pour rappeler la place des femmes dans toutes les fonctions ». De fait, il souligne que les usages anciens (et parfois toujours actuels) posent problème en ce qu’ils privilégient un genre au détriment d’un autre et ne permettent pas de montrer toute la place que les femmes occupent dans différents champs de la société.

Cette prise de conscience (relative et modeste) de l’Éducation nationale ne doit pas faire oublier que l’écriture inclusive est devenue un sujet éminemment politique. L’Académie française y est allée de ses commentaires et de son opposition à toute évolution (comme d’hab’ !) Pour faire simple (et court), l’institution considère le masculin comme générique. Elle le voit comme le successeur de l’ancien neutre du français du Moyen Âge. Et avec le sens de la nuance qui caractérise l’institution, elle va même jusqu’à proclamer que le point médian serait un « péril mortel pour notre langue ». Elle défend cela quelques temps, puis lâche l’affaire en 2019. Elle renvoie la patate chaude aux politiques.

Bingo ! Le Premier ministre Édouard Philippe édite une circulaire interdisant l'usage de l'écriture inclusive au Journal officiel. Le texte officiel stipule que le masculin est une forme neutre qui convient aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Il demande également aux services de l'État de ne pas faire usage de l'écriture inclusive. Le combat contre l’écriture inclusive va nettement porter à droite (quelle surprise !) Même la Manif pour tous va s’y mettre. « Depuis juillet 2020, pas moins de trois propositions de loi visant à interdire et sanctionner l'emploi de l'écriture inclusive dans les administrations et les entités qui reçoivent de l'argent public ont été déposées à l'Assemblée nationale », rapporte France Culture. C’est dire si cela préoccupe : l’extrême droite, à l’initiative du premier projet, puis la majorité LREM (deuxième proposition de loi), puis la droite classique LR (troisième proposition de loi). D’autres organismes réfléchissent au sujet. C’est notamment le cas du Haut conseil pour l’Égalité entre les femmes et les hommes depuis 2015.

Depuis les années 80 donc, les débats sur l’écriture inclusive ont fait émerger deux camps. Sommes-nous condamnés-es durablement à cette « guerre » des camps retranchés, dont l’antagonisme a pour source nos réflexions sur le « déterminisme linguistique ». Pas si sûr, comme l’explique une excellente enquête du Monde. La journaliste Isabelle Mayault y raconte comment en Suisse et en Belgique des étudiants-es en design et en typographie créent de « nouveaux alphabets non binaires ». Leur objectif  étant de « donner une place aux minorités LGBTQIA+ ». Le point de départ du reportage est un événement au Mudac, le Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne. On y accueille l’exposition « Subversif.ive.s, graphisme, genre et pouvoir ». En marge de l’événement, des étudiants-es y travaillent à un projet. « Le projet, bien plus révolutionnaire, consiste à chercher comment, avec les outils de la typographie, faire émerger une nouvelle langue française qui se serait débarrassée du féminin et du masculin pour qualifier les personnes, en fusionnant des lettres, en inventant de nouveaux signes. Et donc de matérialiser dans la langue française l’existence de minorités habituellement balayées sous le tapis, à la fois par la société et par la langue », explique Isabelle Mayault. La réflexion est surtout alimentée au sein du collectif Bye Bye Binary, créé en 2018. Le collectif, très actif, a travaillé sur différents projets « par le biais d’ateliers avec des universités et des écoles d’art, à Saint-Étienne, à Lyon, à Nîmes, et de participation à des colloques, comme cette année à Typo Berlin, la grand-messe des designers en Allemagne », raconte Le Monde. Le reportage nous fait découvrir des innovations typographiques, dont la première typo inclusive, justement baptisée : « l’inclusif-ve »… ça change de Garamond !

On le voit, nombreux sont aujourd’hui les endroits où l’on réfléchit aux changements nécessaires à la langue, aux façons de l’écrire, à ses usages. Cette réflexion est salutaire car l’évolution (que souhaitent certains-es) entend contribuer à la reconnaissance de tous-tes et à favoriser l’égalité des sexes, en changeant les codes. « L’écriture inclusive peut amener à s’interroger sur la place accordée aux femmes dans la société, en cela elle est bénéfique. Cependant, on peut douter que son adoption suffise à changer les mentalités », expliquait Antoine Gautier, maître de conférences en linguistique à la Sorbonne, dans Le Monde en octobre 2017. Qu’elle suffise… probablement pas, mais elle reste néanmoins une avancée indispensable à préserver et entretenir.

Écriture inclusive… un point, c’est tout !

Commentaires

Portrait de jl06

Je regrette le temps des HiéroglyphesCool ....