Le sida au Mucem : 40 ans de luttes

Publié par Fred Lebreton le 22.12.2021
4 171 lectures
Notez l'article : 
1
 

Le 14 décembre dernier, le Mucem organisait une visite presse de sa nouvelle exposition « VIH/sida. L’épidémie n’est pas finie ! » Difficile de résumer une expo qui retrace 40 ans de luttes et d’histoires personnelles et collectives. Difficile de sélectionner parmi tant d’œuvres, de témoignages et d’archives. Je vous livre ici mes impressions, forcément subjectives et non exhaustives, d’un journaliste avec la triple casquette d’observateur, de militant et de personne concernée. Suivez-moi…

Crédit photo : Jean-Marc Armani, Encapotage de l’Obélisque place de la Concorde par Act Up-Paris, Paris, 1er décembre - 1993 © Jean-Marc Armani / PINK / Saif Images

Peur, stigmatisation et culpabilité

Dès l’entrée, le ton est donné : un compteur affiche « en temps réel » le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde, à savoir une infection toutes les 19 secondes ! Les chiffres de l’épidémie au niveau mondial sont rappelés sur un mur : 38 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde et 37 millions sont décédées des suites de maladies liées au sida depuis 1981. Florent Molle, co-commissaire de l’exposition, explique que « la volonté de cette exposition était de retracer l’histoire sociale et politique de cette épidémie de VIH/sida ». Juste à côté un dispositif vidéo montre des témoignages de Marseillais-es vivant avec le VIH issus-es du Réseau santé Marseille Sud, comme pour mettre des visages sur des données épidémiologiques froides et déshumanisées.

La salle suivante est intitulée : « Le choc des premières années ». On peut y voir des archives de presse et de télévision des années 80, notamment le fameux bulletin du 5 juin 1981 du Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) qui évoque cinq cas de malades californiens atteints de symptômes similaires : pneumonie et sarcome de Kaposi. Il y a aussi cette fameuse Une du journal Libération datée du 17 mai 1983 qui titre « Cancer gay : la contagion par le sang ». Nous sommes clairement dans le registre de la peur, la stigmatisation et la culpabilité, le syndrome de la « victime accusée ».

Un visuel attire mon attention, il s’agit d’une affiche du Front national qui date de 1991 et représente une main qui tient une fleur, avec ce qui semble être le virus du sida en lieu et place des pétales de rose (alors emblème du Parti Socialiste) et l’acronyme sida décliné en « Socialisme, Immigration, Drogue, Affairisme ». Une affiche d’une violence raciste et sérophobe inouïe qui rappelle, pour celles et ceux qui auraient tendance à l’oublier » l’histoire nauséabonde du FN/RN, tout particulièrement sur le VIH, dans un climat politique où les « théories » et discours de l’extrême droite n’ont jamais été aussi surreprésentés en France.

Une série de photos me bouleverse littéralement. Elles datent de 1987 et sont réalisées par Jane Evelyn Atwood, une photographe franco-américaine basée à Paris. On peut voir Jean-Louis, un Français séropositif en stade sida, dans son intimité chez lui et à l’hôpital les derniers mois de sa vie. « Jean-Louis a été la première personne en Europe atteinte du sida à accepter d’être photographié pour que ces photos de lui paraissent dans la presse. Tout au long de ce reportage, même au moment les plus difficiles, Jean-Louis ne m’a jamais demandé d’arrêter de la photographier », explique la photographe. Des instants de (sur)vie captés avec beaucoup de tendresse, de dignité et d’humanité.

Le deuil et la mémoire sont au centre de cette première partie de l’exposition avec de nombreuses photos, autoportraits et également une pièce dédiée au Names Project donné en 2018 au Mucem par la fondation Projets des Noms des Pays-Bas. Une œuvre communautaire composée de patchwork textiles qui nomment et commémorent les personnes décédées des suites d’une maladie liée au sida.

Luttes personnelles et collectives

La seconde section, certainement la plus vaste, est intitulée : « Lutter contre le VIH ». On peut y voir de nombreuses affiches, tracts, tee-shirts, banderoles et documents d’archives des associations de lutte contre le sida. Act Up-Paris est très (trop ?) présente dans cette section au détriment d’autres associations historiques comme AIDES, Arcat, Vaincre le Sida (VLS) ou encore Sidaction et Sida Info Service. Cela s’explique notamment par le fait que le Mucem a récupéré une grande partie des archives de l’association. Derrière une vitre sont exposés des exemplaires de l’ensemble des publications papiers consacrés à la lutte contre le sida en France avec notamment les revues Action (Act Up-Paris),  le Journal du Sida (Arcat), Remaides (AIDES), Transversal (Sidaction) ou encore Info Traitements (Actions Traitements) à une époque où l’accès à une information fiable sur le VIH/sida n’était pas du tout évidente.

En face, sur un mur est retranscrite la fameuse lettre de Daniel Defert, datée du 25 septembre 1984, dans laquelle le sociologue, qui vient de perdre son compagnon Michel Foucault, propose à ses proches de fonder une association permettant de s’organiser face au sida. Première pierre à l’édifice de AIDES qui naitra quelques semaines plus tard.

Cette partie de l’exposition est très dense et émouvante. C’est un hommage à celles et ceux qui luttent contre le VIH de manière collective ou individuelle. On peut y lire des témoignages de personnes anonymes comme Alain, 33 ans, séropositif qui écrit : « J’associe le sida au racisme (…). Pour moi, c’est par l’information et le témoignage qu’on peut faire évoluer les gens et lutter contre cette peur (…). Le sida, c’est une réalité et un combat de solidarité ».

Plus loin, une affiche avec la photo de Cleews Vellay, ancien président d’Act Up-Paris qui est mort du sida le 18 octobre 1994 ou encore une pancarte de l’association Migrants contre le sida datant de 2002 qui dit : « Nous avons survécu à l’esclavage. Nous avons survécu à la colonisation. Nous avons survécu à l’immigration forcée. Nous survivrons au sida ».

Je m’arrête un moment pour observer de plus près une photo impressionnante d’un die-in géant qui a eu lieu le 1er décembre 1994, journée mondiale de lutte contre le sida, à Paris au pic de l’épidémie en France. On y voit des milliers de personnes allongées dans la rue, la nuit et le froid. L’image saisissante d’une marée humaine qu’on doit à Jean-Marc Armani. Présent lors de cette visite, le photographe se souvient : « J’étais un jeune photographe, arrivé à Paris en 1992 et j’ai découvert Act Up-Paris lors de l’action à Notre Dame de Paris où des activistes ont balancé des cendres dans l’église. Ce die-in, rue de Rennes en 1994, était le plus gros de l’histoire d’Act Up avec 10 000 personnes. Il y avait une telle urgence et une telle hécatombe à cette époque, c’était la folie ! »

La révolution des traitements

La section suivante intitulée : « Accéder aux traitements et vivre avec le VIH » propose une installation qui montre la plupart des grandes classes de molécules qui ont permis dans un premier temps de (sur)vivre avec le VIH, puis à partir de 1996 et l’arrivée des anti-intégrases d’envisager le VIH comme une infection chronique, avec l’appui des trithérapies. Chaque boite de comprimés est accompagnée des fameuses infocartes de l’association Actions Traitements. Ce voyage chronologique des années 80 à nos jours à travers tous ces traitements montre à quel point la science a progressé en moins de 40 ans. Des multi-thérapies à base de 20 comprimés par jour dans les années 90 jusqu’à 2021 avec le traitement injectable tous les deux mois, en passant par l’allègement thérapeutique, le comprimé unique par jour (STR), etc. C’est une révolution à laquelle nous assistons. Cette section montre aussi le combat des activistes sida pour défendre les intérêts des personnes concernées, lutter contre les monopoles de l’industrie pharmaceutique et donner un accès aux traitements génériques dans les pays du Sud.

Un final un peu sombre

Comment terminer une exposition sur une épidémie toujours en cours ? La réponse n’est pas facile. Le Mucem a fait le choix de terminer par des installations un peu sombres comme cette œuvre intitulée Tu, sempre de Yann Beauvais. Un écran rotatif dont une des parois est un miroir qui reçoit et diffuse dans l’espace des textes et des images ayant trait aux représentations liées au sida. Des textes en français, en anglais et en italien passent de l’écran au mur dans un tournoiement constant. Le tout dans une pièce très sombre. Une installation qui ne m’a pas vraiment touché ni ému. La dernière section propose une chronologie de l’histoire de l’épidémie, une cartographie de la diffusion du VIH à travers les continents des années 1920 à nos jours et un dispositif vidéo avec des témoignages de militants-es et/ou personnes concernées comme Didier Lestrade (Act Up-Paris), Gwen Fauchois (Act Up-Paris), Giovanna Rincon (Acceptess-T), Romain Mbiribindi (Afrique Avenir) ou encore le docteur Thibaut Jedrzejewski (Le 190). L’exposition se termine par une dernière œuvre intitulée Mémoire Nomade qu’on doit à l’artiste allemand Tom Fecht. Des pavés en granit gravés par l’artiste lui-même du prénom et éventuellement du nom des personnes décédées du sida.

En tant que personne vivant avec le VIH et militant, je regrette ce final un peu sombre. J’aurais aimé voir quelque chose de plus lumineux et optimiste qui montre que, certes, l’épidémie n’est pas finie mais qu’elle a changé et que l’espoir d’une fin est possible. J’aurais aimé un final qui mette en valeur les révolutions qu’ont été la Prep et  I = I (indétectable = intransmissible). Cette exposition reste incontournable de par sa richesse et sa puissance émotionnelle. Le sida au Mucem, c’est un voyage intime à travers 40 ans de luttes et d’histoires. Chacun-e pourra y trouver une résonnance selon son histoire avec cette épidémie.

Je suis ressorti ému, un peu frustré aussi car cette visite de presse très encadrée et chronométrée (1h30) ne laissait pas vraiment de place à la contemplation et à l’introspection. Je reviendrai et je prendrai le temps de lire et écouter tous les témoignages et m’imprégner de cette histoire collective si liée à mon histoire personnelle.

 

VIH/sida, L’épidémie n’est pas finie !
Mucem (1 esplanade J4 - 13002 Marseille), du mercredi 15 décembre 2021 au lundi 2 mai 2022. Réserver votre billet en ligne. Découvrir et commander la catalogue de l’exposition, co-édition Anamosa / Mucem. Format 17 x 23,5 cm, livre broché de 304 pages (32 euros). Un catalogue très riche et complémentaire à l’exposition qui propose des interviews, témoignages et images d’archives qu’on ne voit pas forcément au Mucem.


Qui a travaillé sur cette expo ?
De nombreuses personnes ont travaillé sur le montage de cette exposition depuis 2017. Huit commissaires : Stéphane Abriol (anthropologue, CNRS-Cerlis, université Paris-Descartes), Christophe Broqua (anthropologue, CNRS-Imaf), Renaud Chantraine (anthropologue, EHESS), Caroline Chenu (chargée des collections, Mucem), Vincent Douris (responsable recherches opérationnelles, Sidaction), Françoise Loux (anthropologue, directrice de recherches au CNRS), Florent Molle (conservateur du patrimoine, Mucem et Musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole) et Sandrine Musso (anthropologue, Amu, CNE-EHESS). Les commissaires ont travaillé avec un comité de suivi composé de plusieurs dizaines de personnes concernées à différents titres par l’épidémie (personnes vivant avec le VIH, soignants-es, militants-es, chercheurs-ses…). La scénographie est de Amélie Lauret et Émilie Delanne, Græphème et le graphisme est signé Cécilia Génard et Alma Gromard.


Une collection de 12 000 pièces
L’exposition « VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! » est l’aboutissement d’une histoire qui a commencé il y a près de trente ans au Musée national des Arts et Traditions Populaires (ATP), auquel était associé un laboratoire du CNRS, le Centre d’ethnologie française. Dès 1994, ont été organisés des débats entre chercheurs-ses, soignant-es, personnes vivant avec le VIH et militants-es. En 2002, commença la première collecte. Des banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures et matériel de prévention, objets militants, vêtements, badges et rubans rouges, mais également des médicaments, photographies et œuvres d’art ont été collectés auprès de nombreuses associations de lutte contre le VIH/sida, permettant au Mucem de constituer une collection de référence à l’échelle européenne (plus de 12 000 pièces portées à l’inventaire). De nombreux prêts de particuliers et d’institutions viennent dialoguer avec cette collection pour permettre aux visiteurs-ses de découvrir plus en détails l’histoire de la lutte contre l’épidémie (440 objets ou œuvres présentés dont 300 issus des collections du Mucem).

 

Commentaires

Portrait de bernardescudier

L’exposition au Mucem sur le Vih est plutôt l’exposition d’objets irréels ou d’une culture confisquée. Que penser d’une exposition qui projette des slogans communautaires américains ou parisiens ? La misère des réflexions est flagrante.

Cette expo est l’expression d’objets irréels ou d’une culture populaire, vivante, locale, confisquée ? En fait tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Je crains que malheureusement le langage technique, universaliste ou communautaire LGBT ne soit pas audible pour les visiteurs de l’expo..

Des articles de journaux locaux à Marseille évoquent l’histoire du vih et d’acteurs parisiens sans mentionner .... l'expo au Mucem ! Ou alors j'ai lu très rapidement. Les objets irréels ou la culture confisquée ? A la place du langage des peuples, des malades et des morts, des interprètes composés de conservateurs ou de journalistes ont entrepris un langage élitiste et savant sans aucun intérêt. Beaucoup font croire que l'épidémie est sous contrôle et que les nouvelles contaminations sont dues au Covid ... qui a empêché les test de dépistages du VIH.

« Le sida ne fait plus peur », titre d’un journal local marseillais ... sur l’histoire politique et sociale vue de la capitale .... c'est le message le plus minimal que je connaisse.

Portrait de Superpoussin

Il me semblait avoir posté ici un message où j'évoquais les séropositifs oubliés de l'histoire associative dominante, aurait-il disparu?

Portrait de Sophie-seronet

Bonjour,

Tu as posté ton commentaire à la suite de cet article.

Bonne journée. Sophie