Avortement : contre le reste du monde

28 Juin 2022
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Le 24 juin, la Cour suprême des États-Unis a révoqué le droit à l’IVG au niveau fédéral revenant sur son arrêt emblématique « Roe versus Wade » de 1973 et renvoyant aux États la possibilité, ou non, d’interdire les IVG. Chaque État peut désormais choisir dans ce domaine. Au moins sept ont activé, dans la journée-même, cette interdiction. Cette décision, très controversée, a suscité de très vives réactions dans l’opinion publique américaine qui est favorable au libre choix des femmes de disposer de leur corps ; ce que conteste donc une majorité de membres de la Cour suprême. Cette décision est également contestée par l’administration Biden. Washington a d’ailleurs annoncé (25 juin) qu’il comptait poursuivre le soutien aux « droits de la santé reproductive » à travers le monde malgré l’arrêt historique de la Cour suprême révoquant ce droit aux États-Unis, a ainsi expliqué le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken. La réaction de la diplomatie américaine s’explique d’autant plus que des ches-fes d’État et de gouvernement alliés des États-Unis, comme le Canada, le Royaume-Uni et la France ont déploré un retour en arrière avec cette décision qui place l’Amérique à contre-courant de la grande majorité des pays, en particuliers des pays développés. La décision américaine a même relancé le débat dans certains pays étrangers à ce sujet. À rebours des États-Unis, l'avortement a été inscrit dans le projet de Constitution du Chili (27 juin). Considéré, il y a encore quelques décennies, comme un des pays latino-américains les plus conservateurs, le Chili pourrait voir très prochainement le droit à l'avortement inscrit dans sa Constitution, le plaçant à l'avant-garde mondiale en la matière, explique l’AFP. La nouvelle Loi fondamentale chilienne, rédigée pendant près d'un an par une Assemblée constituante composée de citoyens-nes, sera soumise à référendum le 4 septembre prochain.  Si le texte est approuvé, il placera le Chili aux antipodes des États-Unis qui viennent de révoquer le droit fédéral à l'avortement : le droit à une « interruption volontaire de grossesse » (IVG) sera alors gravé dans la nouvelle Constitution. L'avortement suscite toujours le débat au Chili, mais il est loin le temps où l'Eglise catholique pesait de tout son poids pour empêcher toute évolution. Une majorité de Chiliens-nes (73 %) sont désormais en faveur de l'IVG, sans conditions (41 %) ou sous conditions (32 %), selon un sondage Ipsos de septembre 2021. Actuellement, l'avortement est autorisé en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de malformations fœtales.  Au sein de l'Assemblée constituante, totalement paritaire, certaines avaient d'abord douté de l'opportunité de mentionner explicitement l'IVG dans la Loi fondamentale craignant de braquer la droite sur l'ensemble du texte.  Mais le mouvement féministe a donné l'élan décisif en recueillant les 15 000 signatures nécessaires pour inscrire la proposition à l'ordre du jour. L'article 16 du projet de Constitution qui, si elle est votée en septembre, remplacerait l'actuelle héritée de la dictature de Pinochet (1973-1990) établit que l'État garantit les droits sexuels et reproductifs sans discrimination. En la matière, il assure « l'accès à l'information, à l'éducation, à la santé et aux services et prestations nécessaires à cet effet, en assurant à toutes les femmes et aux personnes capables de porter des enfants, les conditions pour une grossesse, une interruption volontaire de grossesse, un accouchement et une maternité libres et protégés ». Le jeune président de gauche, Gabriel Boric, s'est clairement dit favorable à l'IVG durant sa campagne présidentielle qu’il a gagnée contre l’extrême-droite. En France, le sujet revient aussi dans les débats politiques. Après la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer ce droit, la nouvelle cheffe de file des députés-es LREM Aurore Bergé a annoncé (25 juin) une proposition de révision constitutionnelle pour inscrire « le respect de l'IVG » dans notre Loi fondamentale. La Première ministre, suivie par plusieurs membres du gouvernement, a aussitôt soutenu « avec force » la proposition. « C'est catastrophique pour les femmes dans le monde : vous avez une femme qui meurt toutes les neuf minutes parce qu'un avortement a été mal pratiqué, de manière non sécurisée », a d’ailleurs souligné sur France Inter samedi 25 juin la nouvelle présidente du groupe LREM à l'Assemblée, Aurore Bergé. « Les droits des femmes sont toujours des droits qui sont fragiles », selon Aurore Bergé.  Pointant les nouveaux députés-es RN, « des opposants farouches à l'accès des femmes à l'IVG », elle a jugé qu'il ne fallait « prendre aucun risque en la matière et donc sécuriser » ce droit.  Le FN (devenu RN) a été pendant longtemps radicalement anti-avortement. En 2011, Marine Le Pen avait redit son souhait de dérembourser l'IVG, puis prôné le statu quo sur le sujet.  Dès le 24 juin, la cheffe des députés-es Insoumis Mathilde Panot avait annoncé aussi qu'elle proposerait à l'alliance de gauche Nupes « de déposer une proposition de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution ».  « La présidente du groupe LREM reprend cette proposition que les parlementaires LREM avaient rejetée à plusieurs reprises dans la mandature précédente », ont relevé, dans un communiqué, les présidents-es des groupes de gauche, se félicitant de ce « revirement » et invitant au « dépôt d’un texte commun » par l'ensemble des groupes volontaires. « Privés de majorité, les marcheurs réfléchissent mieux », a taclé le numéro un du PS Olivier Faure, tandis que Mathilde Panot les mettait en garde contre tout « sectarisme ». Reste à voir comment le nouveau texte sociétal pourrait cheminer. « Le temps législatif est limité, ne perdons pas de vue l'urgence économique et sociale dans notre pays », a pressé le député LR Fabien Di Filippo, cité par l’AFP. « Pour masquer son incapacité à régler les vrais problèmes du pays, la majorité s'en invente des fictifs », a renchéri le patron des sénateurs-rices LR Bruno Retailleau  hostile à toute initiative sur le sujet.  De son côté, François Bayrou, président du MoDem et allié d'Emmanuel Macron, a pris ses distances (26 juin) avec la proposition LREM, soutenue par Élisabeth Borne, d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution, en se demandant si c'était bien « utile en ce moment ». Une révision constitutionnelle nécessite l'adoption du même texte par Assemblée et Sénat, puis elle doit être approuvée par référendum. Autre option : si la révision a été initiée par l'exécutif, ou reprise par lui, le texte doit aussi être validé par les deux chambres mais peut être soumis au Parlement réuni en Congrès, qui doit le voter à une majorité des 3/5e des suffrages exprimés. « Est-ce qu'il est bon, est-ce qu'il est utile de faire ça, alors même que, à ma connaissance, aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil » de 1975 qui a autorisé l'avortement en France, a insisté François Bayrou, qui traditionnellement bloque toujours sur les avancées en matière d’IVG. « C'est quand même surprenant que ce soit ce qui se passe aux États-Unis (...) qui entraîne un certain nombre de réactions effervescentes dans la vie politique française », a poursuivi le dirigeant centriste, qui n'est « pas pour qu'on décalque la vie politique américaine ». L’enjeu n’est évidemment pas là et traduit surtout le choc de la décision de la décision de la très conservatrice Cour suprême que montre à quel point sont fragiles les droits accordés aux femmes, y compris ceux gagnés de haute lutte.

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Portrait de jl06

ETATS-UNIS: FACEBOOK ET INSTAGRAM SUPPRIMENT LES PUBLICATIONS PROPOSANT L'ENVOI DE PILULES ABORTIVES

Des internautes proposaient via Facebook et Instagram d'envoyer des pilules abortives. - Manoocher Deghati - AFP

Alors que la Cour suprême américaine a décidé de ne plus protéger le droit à l'avortement, Facebook et Instagram suppriment les messages proposant d'envoyer par voie postale des pilules abortives. 

Des publications retirées dans la minute. La Cour suprême américaine ayant décidé la semaine dernière de ne plus garantir le droit à l'avortement dans tout le pays, des messages ont rapidement fleuri sur Facebook et Instagram.

Des internautes proposaient d'envoyer par voie postale des pilules abortives aux femmes en ayant besoin, et vivant désormais dans des états américains où l'avortement n'est plus autorisé. Mais ces publications sont promptement retirées par Facebook et Instagram, a repéré Vice.

Suite à l'annonce de la décision de la Cour suprême, les mentions évoquant l'avortement médicamenteux en général, mais aussi des pilules spécifiques - comme le mifepristone et misoprostol - se sont multipliées vendredi matin sur Twitter, Facebook ou encore Reddit, selon le cabinet d'analyse Zignal Labs. Plus de 250.000 références ont ainsi été comptabilisées entre vendredi et dimanche par Zignal Labs, rapporte Associated Press.

L'envoi de pilule abortive légal depuis 2021

La pilule abortive représentait 54% des avortements aux Etats-Unis en 2020, selon les chiffres de l'institut Guttmacher, une organisation de défense du droit à l'avortement. La possibilité d'en envoyer de façon permanente par voie postale a été légalisée en décembre 2021 par la Food and Drug Administration (l'agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux), alors que la décision de la Cour suprême était toujours en attente.

Pour autant, Meta, maison-mère de Facebook et Instagram, considère que les publications y faisant référence contreviennent à sa politique de modération.

"Les contenus qui visent à acheter, vendre, échanger, donner, demander ou donner des produits pharmaceutiques ne sont pas autorisés", a affirmé lundi Andy Stone, directeur de la communication de Meta, dans un message publié lundi sur Twitter.

Tout en précisant qu'il était cependant possible de publier des informations sur l'accessibilité des médicaments sur ordonnance.

Une politique de modération à géométrie variable

La politique de modération de Meta est régulièrement critiquée, accusée d'être tantôt trop laxiste ou trop arbitraire. Les règles concernant les médicaments doivent aussi s'appliquer, en théorie, aux armes ou encore aux drogues.

Dans les faits, cette application reste à géométrie variable. Un journaliste d'Associated Press a ainsi fait le test aux Etats-Unis, en publiant sur Facebook lundi le message suivant: "Si vous me communiquez votre adresse, je vous enverrai une pilule abortive". La publication a été retirée dans la minute.

Le journaliste a ensuite publié le message à l'identique, en remplaçant une première fois "pilule" par "pistolet" et une seconde fois, par "cannabis". Les deux publications sont restées en ligne.

Anaïs Cherif

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"Le fascisme est très confortable car il ne vous oblige pas à raisonner"