Déconjugalisation de l’AAH : enfin les décrets !

Publié par jfl-seronet le 14.01.2023
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Droit et socialDéconjugalisationAAH

La déconjugalisation de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) signifie que les revenus du ou de la conjoint-e d'un-e adulte handicapé-e ne sont plus pris en compte dans le calcul de l'AAH pour cette personne. Les décrets d’application se sont fait attendre… comme souvent. Finalement, fin décembre, ils ont été publiés au Journal officiel, ouvrant la voie à la mise en œuvre effective de la déconjugalisation de l’AAH (allocation aux adultes handicapées). Le principe a été décidé par le Parlement le 16 août 2022, après des mois de blocage de l’ancienne majorité et du gouvernement, et, surtout, des années de combat de la part des associations de santé, dont celles de lutte contre le VIH/sida. Mais cela ne sera effectif qu’en octobre prochain.

De quoi parle-t-on ?

« L’allocation aux adultes handicapés est un minimum de ressources garanti aux personnes en situation de handicap, de façon subsidiaire, c’est-à-dire qu’elle n’est allouée qu’à la condition que la personne n’a pas pu faire valoir ses droits à d’autres prestations », rappelle la fiche pratique de Santé Info Droits, consacrée à l’AAH. Les personnes touchées par une incapacité du fait du VIH ou d’une hépatite virale peuvent donc bénéficier de cette allocation à défaut de disposer de ressources minimales (salaire, pensions, etc.). Ces dernières années, l’accès à l’AAH s’est réduit pour les personnes vivant avec le VIH et/ou avec une hépatite virale. Comme pour toute allocation, son versement se fait selon certains critères ; autrement dit « sous réserve de remplir un certain nombre de conditions d’ordre administratif et médical ». Côté médical, la personne doit présenter un taux d’incapacité permanente d’au moins 80 % ; ou de 50 à 79 % avec une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi. Le taux de handicap est apprécié selon le Guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées figurant à l’annexe 2-4 du Code de l’action sociale et des familles. Les conditions administratives sont les suivantes : la personne qui fait la demande doit justifier « d’une résidence stable, permanente et régulière sur le territoire français ». C’est-à-dire plus de trois mois, sauf exceptions particulières. Pour les personnes étrangères (hors ressortissants-es de l’Union européenne ou de l’espace social économique), la régularité est justifiée par la production d’un titre de séjour ou d’une attestation de demande de renouvellement de titre de séjour.

La durée de validité de l’AAH ne peut être inférieure à un an, ni supérieure à dix ans. Elle peut toutefois être attribuée sans limitation de durée (attention : retenez votre souffle…) « à toute personne qui présente un taux d’incapacité permanente supérieur à 80 % et dont l’évaluation établit l’absence de possibilité d’évolution favorable à long terme des limitations d’activités ou des restrictions de participation sociale occasionnant une atteinte définitive de l’autonomie individuelle des personnes qui ont besoin d’une aide totale ou partielle, d’une stimulation, d’un accompagnement pour l’accomplissement des actes de la vie quotidienne ou qui nécessitent une surveillance ». Et enfin son versement dépend des ressources perçues par le foyer au cours de l’année civile de référence, c’est-à-dire l’avant-dernière année précédant la période de paiement (soit N-2). Le plafond de ressources varie selon que le-la demandeur-se vit seul-e ou en couple. Et à deux… c’est un problème !

Le couperet du couple

Ces dernières années, jusqu’au changement de la loi à l’été 2022, le montant de l’AAH était calculé en fonction des ressources du-de la conjoint-e. Ce qui conduisait de nombreuses personnes en situation de handicap ou atteintes de maladie invalidante à percevoir une AAH réduite, voire carrément à en être privées… car leur conjoint-e gagnait trop ! Les règles alors applicables ne permettaient pas aux personnes concernées de vivre dignement et de manière indépendante de leur conjoint-e. Comme si le handicap était incompatible avec toute autonomie. Cette injustice manifeste était contestée par les personnes concernées et notamment de la part des associations de santé. En revanche, le gouvernement n’y voyait pas de problème, s’opposant, bec et ongle, à toute avancée en matière de déconjugalisation. Lors de l’adoption du texte l’été dernier, plusieurs associations (dont AIDES, APF France handicap, Collectif Handicaps, FNATH, France Assos Santé, La Ligue des droits de l’Homme, Les Séropotes, Renaloo, Sidaction, etc.) avaient salué le fait que la suppression de la prise en compte systématique des revenus du-de la conjoint-e dans le calcul de l’AAH allait permettre à ses bénéficiaires de s’installer en couple sans voir leur allocation diminuée ou totalement supprimée. Mais, elles avaient surtout dénoncé la course d’obstacles que le gouvernement leur avait opposée pour contrer leur revendication. Ainsi, sous la précédente législature (la 15e, avant juin 2022), l’ancienne majorité (LaREM) est allée jusqu’à imposer un vote bloqué à l’Assemblée nationale afin d’empêcher l’adoption de la mesure en 2021. Obstruction aussi avec l’ancien président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand (LaREM), qui avait refusé de convoquer une commission mixte paritaire pour statuer sur la mesure, malgré une forte exigence de la société civile pour que soit adoptée cette déconjugalisation De fait, l’ancienne majorité a utilisé tous les outils à sa disposition pour bloquer cette mesure, portant votée par le Sénat. Il aura fallu la mobilisation unitaire des personnes concernées, celle des associations, et des parlementaires de différents groupes politiques pour pousser au revirement de la position du gouvernement et de la nouvelle majorité présidentielle (Renaissance) dans la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale.

Que disent les nouveaux décrets ?

Ces derniers mois, des travaux réglementaires ont donc été menés pour mettre en œuvre la réforme ; réforme dont le gouvernement dit aujourd’hui qu’elle est « majeure ». Il y a tout d’abord un décret relatif à la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, suivi d’un décret simple, a indiqué le gouvernement. Ces deux décrets permettront aux personnes en situation de handicap de calculer une AAH sur la base de leurs seules ressources individuelles, sans dépendre des ressources de leur conjoint-e : 120 000 personnes en situation de handicap vivant en couple devraient donc voir leur AAH augmenter de 350 euros par mois en moyenne. Revalorisé au moins une fois par an, le montant maximum de l’AAH s’élevait en juillet 2022 à 956,65 euros, pour une personne seule et sans ressources. Elle n’a pas été revalorisée en janvier dernier comme c’est normalement le cas, mais devrait l’être (sans doute de 1,7 %) en avril prochain.

Le gouvernement s’est engagé à mettre en place « un mécanisme » permettant « de garantir que la mise en place de cette mesure ne fasse aucun perdant ». Et cela, en respectant les principes suivants :

  • le changement de mode de calcul s’effectue uniquement s’il est à l’avantage de la personne bénéficiaire de l’AAH. Ainsi, les personnes déjà allocataires de l’AAH au 1er octobre 2023 qui ont intérêt au mode de calcul conjugalisé conservent ce mode de calcul ;
  • la déconjugalisation est définitive : une fois que l’AAH d’un-e bénéficiaire est déconjugalisée, il ne lui est pas possible de revenir à un calcul conjugalisé ;
  • la déconjugalisation est automatique si elle est favorable, sur la base des calculs effectués par les caisses d’allocations familiales (CAF) ou de la mutualité sociale agricole (MSA). Les CAF et MSA auront à déterminer quels-les allocataires ont vocation à basculer dans le nouveau système. Une comparaison sera faite à chaque changement de situation, pour vérifier lequel des deux modes de calcul est le plus favorable.
  • Il n’est pas effectué de double calcul pour les nouveaux bénéficiaires à partir du 1er octobre 2023.

 

Il faut encore attendre

Sur le papier, cela semble bien. Le décret, paru fin décembre, permet de continuer les travaux nécessaires pour une entrée en vigueur de la réforme, à compter du 1er octobre 2023 au plus tard. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) va élaborer un modèle d’explication de la réforme pour expliquer aux personnes allocataires les conséquences de la réforme sur leur situation personnelle. Les maisons départementales du handicap (MDPH), les caisses d’allocations familiales et les associations de personnes en situation de handicap vont être mises à contribution « pour éviter au maximum le non-recours ». Mais pourquoi attendre encore ? Ce délai à rallonge a fait l’objet de critiques de la part des associations. « L’horizon d’octobre 2023 pour la mise en place effective de la mesure demeure lointain, surtout au regard du temps déjà perdu par les refus successifs du gouvernement sous la précédente législature », dénonçaient-elles en août dernier, au moment du vote de la loi. Les associations ont indiqué qu’elles comptent être vigilantes sur le fait que le droit d’option créé (on reste sur l’ancien mode de calcul ou on change pour le nouveau, en fonction de ce qui est plus favorable pour soi), « repose sur des mécanismes ne créant aucun perdant, notamment pour les personnes devant renouveler leurs droits à l’AAH régulièrement ». Si la déconjugalisation de l’AAH constitue une avancée importante. Cette dernière ne suffit pas à répondre à l’ensemble des attentes concernant l’évolution des ressources des personnes en situation de handicap. Le montant de l’allocation ne peut décemment demeurer inférieur au seuil de pauvreté ! Dans le contexte actuel, sa revalorisation trimestrielle au regard de l’inflation s’avère essentielle pour permettre aux personnes bénéficiaires de vivre dignement. Et nous sommes encore loin du compte.

 

Commentaires

Portrait de Superpoussin

Pour rappel c'est bien ce gouvernement que vous critiquez ici qui a fortement augmenté le montant de l'AAH.

Avez-vous un tuyau pour avancer que la prochaine augmentation de l'AHH serait de 1,7%

Portrait de Sophie-seronet

Hello,

L'estimation provient du rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS) pour 2023.

Bonne journée. Sophie

Portrait de Superpoussin

Merci pour la précision, est-ce cette commission qui décide de ces augmentations?

Dans deux mois nous saurons si cette estimation était bonne.